Le Canada sous-finance les étudiants aux cycles supérieurs et les chercheurs postdoctoraux

L’indexation des bourses et subventions est un moyen simple de maintenir le niveau de vie des chercheurs en début de carrière.

18 mai 2021
Man working on tablet

Qu’est-ce que j’ai à titre de chercheur postdoctoral au Canada que je n’avais pas en tant que candidat au doctorat en Australie? Une réduction annuelle de mon salaire. Pas en termes salaire versé, ma rémunération reste inchangée, mais en termes de pouvoir d’achat. En Australie, les bourses doctorales sont indexées chaque année en fonction de l’inflation, ce qui contribue à en préserver la valeur. Ici, la valeur de ma bourse reste inchangée bien que mon loyer augmente chaque année. Mon niveau de vie s’érode donc, comme celui de pratiquement tous les étudiants et les chercheurs postdoctoraux au Canada.

Combien manque-t-il?

La mesure dans laquelle la non-indexation des subventions frappe les chercheurs canadiens dépend du temps qui s’est écoulé depuis la dernière augmentation. L’augmentation annuelle des prix a beau être modeste (quelques dollars pour les loyers ou les services publics, quelques cents pour le lait), ça s’accumule. Le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS), qui me subventionne, a porté ses bourses postdoctorales de 30 000 dollars en 2017 à 45 000 dollars en 2018. Or, selon la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada, 45 000 dollars de 2018 représentent 47 269 dollars en 2021. Conséquence : la valeur de ma bourse a reculé cette année de 2 000 dollars, à savoir de 4,4 pour cent.

C’est bien pire pour les étudiants aux cycles supérieurs financés par le gouvernement fédéral. Le montant des bourses d’études supérieures du Canada décernées aux étudiants à la maîtrise et au doctorat est le même en 2021 qu’en 2004 : 17 500 dollars à la maîtrise, 35 000 dollars au doctorat. Si les subventions des organismes subventionnaires avaient suivi les augmentations du coût de la vie depuis 17 ans, elles seraient supérieures de 34 pour cent à ce qu’elles sont aujourd’hui. Les étudiants à la maîtrise toucheraient 23 513 dollars par année, et les doctorants 47 026 dollars, soit bien plus qu’un chercheur postdoctoral. Pendant ce temps, soit de 2004 à 2021, le montant des subventions doctorales a progressé de 54 pour cent en Australie, passant de 18 484 dollars à 28 597 dollars. Si les étudiants canadiens aux cycles supérieurs sont si stressés et malheureux, c’est en partie à cause de leur niveau de vie qui est bien inférieur à ce qu’il était en 2004.

Médiatisation…

Pourquoi les bailleurs de fonds canadiens laissent-ils régresser le niveau de vie des chercheurs en début de carrière? Peut-être en partie par souci d’économie. L’augmentation sporadique de la valeur des subventions, mais non de leur nombre, permet d’économiser la différence entre le montant de chaque subvention et sa valeur rajustée en fonction de l’inflation. En 2021, la FRQS économisera ainsi, 2 269 dollars par bourse postdoctorale, et les organismes subventionnaires canadiens 6 013 dollars par bourse de maîtrise et 12 026 dollars par bourse postdoctorale. Cela ne se traduit hélas pas par une augmentation du nombre de bourses – après avoir décerné annuellement plus de 1 000 bourses d’études supérieures du Canada de 2009 à 2011, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) en décerne moins de 900 depuis 2012. Le nombre de bourses décernées par les IRSC et le CRSH a lui aussi plafonné entre 2009 et 2011, à plus de 800 dans le premier cas et à près de 1 400 dans le second. Depuis 2014, il a même, chuté à moins de 400 pour les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et à environ 1 300 pour le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).

L’augmentation sporadique de la valeur des subventions a pour effet d’engendrer à l’occasion une couverture médiatique positive. En Australie, personne ne parle de l’augmentation annuelle de la valeur des bourses doctorales par le gouvernement. Ici en revanche, l’annonce par le CRSNG en décembre 2020 de l’augmentation du montant des subventions de recherche au premier cycle a généré une couverture médiatique majoritairement favorable. Le président du CRSNG, Alejandro Adem annonçait alors sur Twitter qu’elles passaient de 4 500 dollars à 6 000 dollars, affirmant que le financement de la recherche au premier cycle en science et en génie est une priorité pour le Canada. Salué par 270 « J’aime », ce gazouillis de M. Adem, reste son plus populaire à ce jour.

Selon les données ouvertes du gouvernement canadien, la dernière augmentation du montant des subventions par le CRSNG, de 4 000 dollars à 4 500 dollars, remontait alors à 2002. Bien moins nombreuses et décernées au cas par cas, les subventions de recherche au premier cycle des IRSC valaient entre 4 950 dollars et 5 500 dollars en 2009, et 5 000 dollars en 2020. Quant aux bourses du programme Talent du CRSH, elles ne s’adressent pas aux étudiants au premier cycle. Les 4 500 dollars décernés par le CRSNG en 2002 procureraient aujourd’hui un pouvoir d’achat de 6 352 dollars. Autrement dit, bien que leur montant ait récemment augmenté, ces subventions valent aujourd’hui moins qu’en 2002. De plus, malgré la contribution obligatoire de 25 pour cent apportée par l’université de l’étudiant, la rémunération de ce dernier étalée sur 16 semaines de travail à temps plein est d’à peine 11,72 dollars l’heure. Rappelons que le gouvernement fédéral a proposé de porter le salaire minimum à 15 dollars l’heure. Ayant supervisé les stages d’étudiants au premier cycle, je sais combien ces stages sont exigeants et ne permettent pas toujours d’occuper parallèlement un emploi à temps partiel. La valeur relativement faible des subventions peut donc être un facteur d’exclusion des moins nantis. La recherche au premier cycle est-elle vraiment une priorité quand les subventions, dont la valeur stagne depuis près de 20 ans, n’assurent même pas une rémunération équivalente au salaire minimum?

Une solution simple

La solution est simple : il suffirait que les bailleurs de fonds fédéraux et provinciaux indexent les bourses et les subventions en fonction de l’inflation, comme en Australie. La stagnation de la valeur des subventions pendant 15 à 20 ans donne l’impression que les chercheurs en début de carrière sont sans importance pour le Canada. Le prix des loyers, de la nourriture et des services publics augmente; le revenu des chercheurs doit aussi augmenter. Les chercheurs en début de carrière au Canada travaillent fort pour générer de nouveaux savoirs et résoudre les problèmes de la société. Ils ne méritent pas que leur pouvoir d’achat diminue chaque année.

Shaun Khoo est chercheur postdoctoral à l’Université de Montréal.

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