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À mon avis

Un petit pas dans une université, un grand pas pour l’humanité

Depuis novembre, les étudiants et le personnel de l’Université de Sherbrooke peuvent choisir leur nom, prénom et genre apparaissant sur des documents officiels.

par JULIE-CHRISTINE COTTON, ALEXA MARTIN-STOREY & SÉRÉ BEAUCHESNE LÉVESQUE | 11 DÉC 19

Le mois de novembre 2019 a marqué un tournant important pour les personnes trans et non binaires qui fréquentent l’Université de Sherbrooke. Après trois années d’échanges et de délibérations avec le Bureau de la registraire, toute personne employée ou étudiante pourra désormais être identifiée par une dénomination qu’elle aura elle-même choisie, du moins dans les différents documents non officiels et dans les modalités de communication internes de l’institution. Cette modification peut se faire à tout moment via un formulaire en ligne, en cours d’étude ou d’emploi, que ce soit pour le pronom, le nom ou le genre. Aucune justification n’est nécessaire.

Selon une récente étude, approximativement 1,3 pour cent de la population étudiante fréquentant les universités québécoises pourrait s’identifier comme trans ou non binaire. (Le terme trans désigne les personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe assigné à la naissance et le terme non binaire désigne les personnes qui ne s’identifient ni au genre féminin ni au genre masculin de façon exclusive). Cela pourrait potentiellement représenter 3834 individus dont le vécu est non négligeable.

Prenons l’exemple d’un étudiant trans ayant fait son « coming out » auprès de sa famille et de ses ami×e×s. Après un certain temps, il choisit d’exprimer son identité de genre auprès de ses collègues de classe également. Il se sent à la fois soulagé et piégé. En effet, même si ces derniers acceptent de faire appel à lui selon le prénom et le pronom appropriés, il vivra, via la structure administrative de son université, des rappels quotidiens du genre assigné à sa naissance.

Sur toutes les plateformes informatiques universitaires, le prénom qu’il n’utilise plus s’affichera et sera à la vue de tou×te×s ses collègues et enseignant×e×s. Sa carte étudiante le lui rappellera, aussi, en plus d’induire en erreur les divers membres du personnel à qui il devra la présenter. Une liste des étudiant×e×s sera également remise à chaque début de session aux personnes qui lui enseigneront, le forçant ainsi, chaque trimestre, à répéter et à justifier son identité de genre à chacune d’elles.

Une personne chargée de cours non binaire vivra iel (amalgame des pronoms il et elle) aussi son lot de défis en milieu universitaire. Si par malheur iel n’a pas encore complété le changement légal de son prénom, même si iel se présente en fonction de son genre à son groupe d’étudiant.es, ces derniers accèderont rapidement à son morinom (le prénom d’état civil ou de naissance) et à son genre assigné à la naissance via son plan de cours et son adresse courriel. Quel casse-tête!

Il n’est pas étonnant que, selon les résultats préliminaires d’une récente étude québécoise un nombre inquiétant de personnes trans, non binaires et en questionnement identitaire de genre abandonne leurs études ou reportent leur inscription dans un programme collégial ou universitaire, le temps de procéder à des démarches de transition qui les satisferont.

Pour les personnes se demandant encore pourquoi il faudrait accommoder une portion de la population qui est minoritaire, il importe en premier lieu de rappeler que, depuis 2016, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne inclut l’identité de genre et l’expression de genre à la liste des motifs interdits de discrimination. En ce sens, mais aussi dans une perspective de justice sociale, les milieux universitaires doivent désormais mettre en place des politiques et des mesures d’accommodement visant à contrer la discrimination à l’encontre des personnes trans et non binaires.

En second lieu, il est documenté que les personnes issues de la diversité de genre présentent des niveaux de détresse psychologique non seulement plus élevés que les individus cisgenres (qui ne sont pas trans), mais également plus élevés que les minorités sexuelles issues des communautés LGBTQ+. Les recherches démontrent de plus en plus le rôle de la stigmatisation dans l’explication de cette disparité. Une identité stigmatisée est une identité dévalorisée.

Comme l’explique la théorie du stress minoritaire, cette dévaluation a des conséquences spécifiques sur la santé mentale et physique des individus, en augmentant le nombre et l’intensité des facteurs de stress qu’ils vivent. En conséquence, en plus du stress quotidien propre à tout individu, un×e étudiant×e dont l’identité est stigmatisée sera confronté×e à des facteurs de stress supplémentaires tels que la victimisation.

Les expériences de discrimination peuvent être évidentes et directes en milieu universitaire (ex. : se faire injurier ou agresser physiquement). Ces expériences peuvent également se vivre de façon indirecte (ex. : se faire exclure d’un travail d’équipe ou se voir refuser un logement sous de faux prétextes). Les chercheur×e×s s’intéressent de plus en plus à la manière dont les expériences quotidiennes, souvent indirectes et jugées mineures sapent le bien-être d’un individu.

Ces expériences sont aussi appelées « microagressions ». Les personnes trans et non binaires subissent fréquemment plusieurs types de microagressions, notamment le fait d’être mégenrées (utiliser un terme du mauvais genre) ou morinommées (désigner une personne par son prénom de naissance) malgré une demande claire, d’être interrogées sur leur apparence ou d’être accusées de se trouver dans la mauvaise toilette publique.

Ces expériences rappellent à l’individu trans ou non binaire qu’il n’est pas en sécurité ni accepté, ce qui nuit de façon répétée à son bien-être. Sachant que les personnes aux études passent une bonne partie de leur temps dans leur milieu scolaire, la qualité de vie qu’il y trouve est déterminante pour leur santé physique et psychologique.

Les taux de suicide et de détresse psychologique étant élevés chez cette portion de la population, nous pouvons considérer que la récente initiative de l’Université de Sherbrooke changera des vies. Nous souhaitons que celle-ci inspire d’autres milieux de l’éducation, tous niveaux confondus, à emboiter le pas.

Enfin, il importe de rappeler l’importance de consulter les personnes trans et non binaires dans ces démarches qui les concernent directement. Celles-ci étant déjà minoritaires au sein des populations étudiantes, il est nécessaire qu’elles soient suffisamment représentées et impliquées lorsque vient le temps de réfléchir aux mesures d’inclusion devant être mises en place. C’est souvent ce qui fait la différence entre le désir d’être inclusif et le fait de l’être réellement.

Julie-Christine Cotton est professeure adjointe au département d’orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke et responsable à la coordination du Comité de concertation pour la santé trans en Estrie. Alexa Martin-Storey est professeure agrégée au département de psychoéducation de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la stigmatisation et le développement psychosocial. Séré Beauchesne Lévesque est responsable à la coordination du Groupe d’action trans de l’Université de Sherbrooke et est auxiliaire de recherche au sein du département d’orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

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