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Les étudiants qui font réviser leurs travaux sont-ils des tricheurs?

Dans au moins une université, le recours par les étudiants à des services de révision fait l’objet de sévères limitations.

par JESSICA NATALE WOOLLARD | 25 AOÛT 17

Au cours des dernières années, le personnel du Centre de communication universitaire de l’Université de Victoria a fait part aux administrateurs de propos surprenants tenus par des étudiants au sujet de la correction de leurs travaux. Le Centre a pour mandat d’offrir des services gratuits de perfectionnement en rédaction et en compréhension de textes. Toutefois, le personnel n’est pas autorisé à corriger les travaux, leur aide se limitant à soulever certains problèmes. Les étudiants ont par contre d’autres attentes, et certains se sont plaints devant le refus du personnel d’« arranger » leurs textes.

Les professeurs ne comprennent pas eux non plus le rôle du Centre. Certains y envoient des étudiants pour que le personnel améliore leurs travaux. Des parents appellent même le Centre pour savoir dans quelle mesure ils peuvent apporter des corrections aux travaux de leurs enfants sans verser dans la tricherie.

Au moment de ces conversations, la politique de l’Université sur l’intégrité universitaire n’abordait pas explicitement la question de la révision des travaux. De fait, Sara Beam, professeure agrégée à la faculté d’histoire de l’Université de Victoria et présidente du comité sénatorial sur les normes universitaires, a jugé qu’il était temps de mettre les choses au clair : « Que l’étudiant se tourne vers un ami, un parent ou un réviseur, cette personne peut souligner les problèmes, mais doit s’abstenir d’en donner la solution », souligne Mme Beam.

En mai, l’Université de Victoria a revu sa politique pour y aborder explicitement le recours à des réviseurs par les étudiants. La politique définit le réviseur comme une personne ou une entreprise qui remanie, révise, corrige ou modifie le travail écrit ou non écrit d’un étudiant. lle interdit aux étudiants d’utiliser un tel service, rémunéré ou non, à une seule exception : un chargé de cours peut autoriser par écrit la révision d’un document. Il doit alors préciser dans quelle mesure le texte peut être corrigé.

Mme Beam ne croit pas que cette nouvelle politique fait de l’Université une pionnière. « Nous avons consulté de nombreuses ressources, et les politiques universitaires que nous avons examinées abordaient ce problème, mais de différentes façons. »

Néanmoins, un rapide examen en ligne des politiques officielles, des guides pour étudiants et des programmes de cours de 31 universités canadiennes a permis de constater que la révision n’était expressément mentionnée que dans cinq cas. L’Université Ryerson était du nombre. Selon sa politique sénatoriale sur l’intégrité universitaire, l’étudiant qui prétend avoir rédigé un travail qui a été révisé ou corrigé par une autre personne commet du plagiat. Par ailleurs, l’Université de l’Alberta considère comme une infraction la remise d’un travail révisé en grande partie par quelqu’un d’autre.

Des directives claires s’imposent

Comme le souligne Mme Beam, c’est un désir de clarté qui est à l’origine de la modification de la politique. « La plupart du temps, les étudiants tiennent à respecter les règles. Nous voulions aborder précisément la question pour que les étudiants qui commettent des infractions soient bien conscients de leur geste et des conséquences qui en découlent. »

Pour rédiger la politique, l’Université de Victoria a consulté les facultés et l’ombudsman de l’établissement. Elle s’est aussi appuyée sur les lignes directrices (en anglais) sur la révision éthique de thèses et de mémoires, publiées par Réviseurs Canada en 2005. À ce moment, les réviseurs à qui faisaient appel les étudiants « ne savaient pas trop s’ils pouvaient réviser leurs travaux ou dans quelle mesure ils pouvaient corriger le texte soumis », affirme Elizabeth d’Anjou, réviseure pigiste dans le comté de Prince Edward, en Ontario, et directrice sortante des normes professionnelles de Réviseurs Canada. Certains jugeaient que les travaux ne devaient simplement pas être révisés, poursuit Mme d’Anjou. D’autres « croyaient que la révision avait sa place si elle était réalisée selon des principes d’éthique – dans bien des cas, les étudiants s’adressaient à un réviseur à la demande d’un conseiller ».

Lors de la rédaction des lignes directrices, « les gens croyaient que les réviseurs travailleraient seulement avec des étudiants aux cycles supérieurs », indique Mme d’Anjou, pourtant, ses collègues disent recevoir un nombre croissant de demandes d’étudiants au premier cycle. Les lignes directrices sont en cours de modification.

Selon Lenore Hietkamp, membre de Réviseurs Canada et pigiste établie à Shawnigan Lake, en Colombie-Britannique, le nombre d’étudiants qui se tournent vers des services de révision a augmenté dans la dernière décennie. Les attentes sont également plus élevées envers les réviseurs. Certains clients de Mme Hietkamp étaient mécontents lorsqu’ils apprenaient qu’elle ne corrigerait pas leur texte, mais leur poserait seulement des questions pour souligner les problèmes.

S’appuyant sur les lignes directrices de Réviseurs Canada, Mme Hietkamp a commencé à demander aux clients potentiels de fournir une autorisation écrite de leurs professeurs concernant leur collaboration avec un réviseur. Bien souvent, elle n’entendait plus parler d’eux. Mme Hietkamp a maintenant cessé de réviser les travaux d’étudiants au premier cycle, puis de ceux à la maîtrise.

« Les réviseurs interviennent à différents degrés dans les textes », déclare Mme Hietkamp, qui supprime souvent des corrections qu’elle a effectuées et préfère jouer de prudence pour ne pas commettre de faute d’éthique et nuire à l’apprentissage de l’étudiant. « Les universités devraient adopter une politique sur la révision. Les étudiants ont besoin de règles. Nous nageons dans le flou actuellement. »

Étant donné le dilemme éthique auquel sont confrontés les réviseurs comme Mme Hietkamp et le personnel de l’Université de Victoria, il y a lieu de se demander si les compétences des étudiants canadiens en rédaction et communication sont à la hauteur. Claudia Haagen, réviseure de Victoria, estime que non. « Je crois fermement, tout comme mes collègues universitaires, que les normes d’admission ont changé et que le niveau d’alphabétisation des étudiants n’est plus ce qu’il était. »

Roy Jensen, professeur en chimie à l’Université de l’Alberta, estime que les universités doivent mieux enseigner la rédaction et la communication, dans toutes les facultés. « L’aptitude à la communication a son importance dans toutes les disciplines », affirme M. Jensen, auteur du livre Communicating Science (PDF, en anglais) qui vise à aider les étudiants en science à transmettre clairement et efficacement l’information scientifique. Selon lui, le problème s’explique partiellement parce que les professeurs des facultés où la rédaction ne fait pas partie des objectifs pédagogiques ne se croient pas en mesure d’évaluer les compétences rédactionnelles.

Distinction subtile

Tous les rédacteurs, peu importe leur talent et leur expérience, tirent profit de la révision. Néanmoins, comme les étudiants doivent principalement démontrer ce qu’ils ont appris, peuvent-ils utiliser les services d’un réviseur? Est-il acceptable qu’une thèse de doctorat soit révisée? Et une dissertation au premier cycle ou un rapport de laboratoire?

L’Université de Victoria prévoit des exceptions dans sa nouvelle politique, explique Mme Beam. « Nous voulions que le libellé de la politique soit assez général pour couvrir tous les types de travaux évalués tout en offrant la souplesse nécessaire pour tenir compte des divers objectifs pédagogiques. »

Les professeurs ont reçu des lignes directrices sur la mise en oeuvre de la politique, poursuit-elle, entre autres de l’information sur les exemptions possibles et les situations où il est formellement interdit de faire réviser des travaux. « Les professeurs en informatique ou en science interdisent la révision du code de programmation, mais autorisent peut-être celle du paragraphe d’introduction. Tout dépend de leur principal objectif pédagogique », explique Mme Beam.

Mme Haagen estime que la révision selon certains principes n’est pas du plagiat, puisque l’étudiant peut apprendre même si un réviseur a corrigé son travail. « Nous utilisons tous le suivi des modifications. L’étudiant doit donc examiner chacune des recommandations avant de les accepter ou non. La décision lui appartient », précise-t-elle.

Todd Pettigrew, professeur agrégé d’anglais à l’Université du Cap Breton et auteur d’un blogue sur l’enseignement supérieur, croit lui aussi que le problème ne vient pas de la rétroaction offerte par un professionnel comme le décrit Mme Haagen. Il soutient cependant qu’il faut fixer une limite pour déterminer à quel moment l’étudiant n’est plus légitimement l’auteur de son propre travail.

« Les gens craignent sans doute que le texte original de l’étudiant soit décousu et parsemé de fautes de grammaire, et que le réviseur le revoie entièrement ou en corrige chacune des phrases, indique M. Pettigrew. Si le réviseur améliore l’argumentation ou apporte de nouvelles données, il devient alors un coauteur, voire l’auteur principal du texte. La distinction est très subtile entre cette situation et le fait de payer quelqu’un qui effectuera le travail dans son intégralité. »

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