La rhétorique… des émojis?

Un nouveau cours et un laboratoire à l’Université de Toronto à Mississauga s’intéressent à ces symboles numériques 😀

15 mai 2025
Photo de : Kindel Media

En 2023, pendant le cours de Jordana Garbati sur les communications interculturelles à l’Université de Toronto à Mississauga, l’enthousiasme a soudainement gagné les étudiantes et étudiants : la personne animant la séance venait d’aborder la question des émojis.  

« Chaque personne avait son mot à dire sur les différentes utilisations des émojis avec ses pairs et avec ses parents. Et la classe faisait des liens entre ces symboles et la matière du cours sur les communications interculturelles », raconte Mme Garbati, professeure adjointe, volet enseignement à l’Institut d’études sur la pédagogie universitaire. 

Le père de Mme Garbati, dont l’anglais n’est pas la langue maternelle, utilise souvent à 80 ans les émojis, mais la plupart des personnes de son âge ne sont pas aussi à l’aise que lui. Et chaque fois que la professeure aborde le sujet avec d’autres personnes, surtout les jeunes, on lui répond avec enthousiasme. Or, aucun cours donné à l’Université de Toronto ne traite substantiellement des émojis. « C’est pourtant ce qui intéresse les étudiantes et étudiants », s’est-elle dit, ce qui lui a donné l’idée d’un cours.  

« Et le sujet m’intéresse moi aussi. Il allie mes connaissances en apprentissage et en développement du langage, en étude de l’écriture et en communication d’entreprise, et mon intérêt pour ces domaines. » 

Ses étudiantes et étudiants ont donné à son projet un pouce en l’air – au moins métaphoriquement, et sûrement littéralement –, et l’Université a rapidement approuvé son cours La rhétorique des émojis : un nouveau paradigme de communication. En janvier 2025, elle l’a enseigné à 25 personnes et elle a lancé son laboratoire de recherche sur la communication symbolique, un pôle où concentrer ses travaux sur le sujet. 

Il y a beaucoup de matière à enseigner, notamment sur l’origine des émojis. Ceux-ci découlent des émoticônes ayant fait leur apparition dans les années 1980, soit la combinaison de caractères typographiques pour représenter des expressions faciales comme la joie (: )) et un clin d’œil (;-)). Ont vu le jour à la même époque les kaomojis japonais, très détaillés, qui mettent l’accent sur les yeux et se lisent verticalement. Voici par exemple un kaomoji exprimant la tristesse : ╯_╰.  

Les émojis ne sont maintenant qu’à un clic sur votre ordinateur (💻) ou votre téléphone (📱) grâce à l’organisme sans but lucratif Unicode Consortium, qui a établi un jeu de caractères universel pour le texte numérique, y compris les émojis. Il a approuvé plus de 3 700 symboles que les équipes développant les logiciels intègrent à leurs produits, si bien que vous pouvez envoyer un émoji depuis votre iPhone à une personne utilisant un appareil Android, qui pourra vous renvoyer la même image. Vous pouvez également générer vos propres émojis à l’aide d’un outil d’IA, mais ils ne figureront pas sur le menu des caractères de votre ordinateur. 

En classe, Mme Garbati présente l’intéressant mais pratiquement illisible Emoji Dick, soit une traduction de Moby Dick… en émojis. Dans le cadre de leurs travaux, les étudiantes et étudiants doivent notamment s’appuyer sur les préceptes de rhétorique pour défendre l’inclusion d’un nouvel émoji dans le jeu universel. (Un tambour métallique et un visage les cheveux en bataille ont été proposés au dernier trimestre.) Pour leur travail final, les étudiantes et étudiants font une recherche sur un émoji utilisé dans une discipline qui les intéresse, comme les affaires, l’anthropologie ou la médecine.  

Mme Garbati explique que son laboratoire ne manque pas de pistes de recherche à explorer, et ce, dans un éventail de disciplines. Par exemple, quatre étudiantes et étudiants au premier cycle ont analysé l’utilisation des émojis sur les médias sociaux pendant le Super Bowl 2024. Ces personnes ont passé au peigne fin 5 300 publications pour établir que les principaux émojis utilisés étaient 🏈 😭 et ❤️. (L’une de ces personnes connaissait bien le football et une autre savait reconnaître la symbolique associée à Taylor Swift, qui a assisté à l’événement; ces deux expertises se sont avérées très précieuses, explique Mme Garbati.) 

Une étude à venir s’intéressera à l’utilisation des émojis que font les marques de luxe, et à la manière dont leur clientèle répond à cette approche, car les émojis sont souvent présents dans les communications d’entreprise. « On a tendance à croire que leur usage est réservé aux jeunes, aux médias sociaux ou aux communications par téléphone intelligent, mais les émojis figurent aussi dans les courriels et les infolettres. » Une autre collaboration avec des chercheuses et chercheurs en biologie de l’Université de Toronto portera sur l’utilisation des émojis que font les ornithologues dans leurs communications. 

Forte de son parcours universitaire – deux diplômes en éducation, un doctorat en linguistique appliquée et une maîtrise en administration des affaires – Mme Garbati est bien placée pour enseigner les émojis à l’université. Pourtant, son nouveau champ d’études l’étonne encore.  

« J’ai l’impression d’y être arrivée par hasard. Jamais je n’aurais prédit que mon travail d’enseignement et de recherche me mènerait ici. »