Les bibliothèques universitaires canadiennes se démarquent pendant la pandémie

Alors que la plupart se sont facilement tournées vers les services en ligne, certaines ont fait face à des défis uniques.

20 août 2021
Students in Library

Contraintes de fermer leurs portes le 24 mars 2020 en raison du décret du confinement de l’Ontario dû à la COVID-19, les 42 bibliothèques de l’Université de Toronto ont réussi un tour de force dont Larry Alford peut être particulièrement fier : un passage aux services en ligne pratiquement sans failles, et ce, du jour au lendemain.

Toutefois, le travail le plus gratifiant du bibliothécaire en chef pendant la pandémie a pris forme le lendemain matin, lorsqu’il a croisé une jeune étudiante dans le stationnement de la Robarts Library où il travaille.

« Elle était assise par terre près des ascenseurs, se souvient M. Alford. Son ordinateur portable était ouvert, en plus de quelques livres et documents. Je lui ai demandé pourquoi elle était là et elle m’a dit que c’était pour le réseau Wi-Fi. J’ai donc décidé d’aménager un espace technologique doté d’un accès Wi-Fi pour les étudiants qui n’en avaient pas chez eux. »

Au terme de six semaines de planification et de préparation rigoureuses pour respecter les directives de la santé publique, certaines sections de deux des plus grandes bibliothèques de l’Université, soit la Robarts et la Gerstein, ont pu réouvrir afin de répondre aux besoins des étudiants sur place.

De nombreuses histoires semblables témoignent de la vitesse à laquelle les bibliothèques universitaires du pays ont surmonté les défis posés par la pandémie afin de remplir leur mission de soutien aux étudiants et aux professeurs dans leur quête de connaissances.

On y souligne surtout la rapidité d’adaptation dont elles ont fait preuve lors de la mise en place de services à distance, notamment quant à l’accès aux livres, revues et bases de données numériques, mais également en matière d’aide par clavardage, en plus des services de dépannage comme la collecte à l’auto des documents imprimés et les services gratuits de numérisation à la demande.

Toutefois, les bibliothèques ont aussi été confrontées à des difficultés en matière de technologie, de conditions d’accès et de ressources humaines qui continuent de se faire sentir dans le milieu universitaire canadien malgré le ralentissement de la pandémie.

« Nous sommes fiers des universités et de leur réponse face à cette crise générationnelle », déclare Vivian Lewis, bibliothécaire à l’Université McMaster et présidente de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC). « Mais la pandémie n’a pas été facile et a nécessité des efforts colossaux. »

Selon elle, le changement le plus radical pour les bibliothèques universitaires depuis mars 2020 – et aussi leur plus grand accomplissement – a été la croissance phénoménale de l’accès aux livres, aux revues et aux autres ressources numériques.

« Une collection de livres numériques qui est, en temps normal, consultée à 50 000 reprises reçoit maintenant 250 000 consultations », précise Mme Lewis. Elle attribue la capacité des bibliothèques à répondre à la hausse soudaine et soutenue des demandes aux décennies et aux millions de dollars consacrés au développement de leurs infrastructures numériques.

« Il faut comprendre que les industries de l’édition et de la consommation de biens se tournent vers les services numériques depuis plus de 30 ans, explique Mme Lewis. Une grande partie de nos ressources humaines et de nos budgets a été consacrée à l’achat de ressources numériques et au développement de services numériques qui répondent aux besoins de nos étudiants et de nos professeurs, ce qui a été bénéfique dès le début la pandémie. »

Outre leurs propres collections, Mme Lewis souligne que de nombreuses bibliothèques ont pu bénéficier d’un accès d’urgence à d’importantes collections de livres numériques accordé par certains fournisseurs, permettant ainsi aux étudiants et aux chercheurs de poursuivre leurs travaux pendant la pandémie. La bibliothèque numérique HathiTrust, un projet collaboratif à but non lucratif qui rassemble plus de 17 millions d’« objets numériques », en est un bon exemple. De telles ententes ont pu voir le jour grâce aux liens professionnels et personnels étroits entre les bibliothécaires universitaires à l’échelle de l’Amérique du Nord. Toutefois, ces ententes devront être renégociées à la fin de la pandémie.

Comme la grande majorité des employés de bibliothèque étaient déjà familiers avec les services en ligne, Mme Lewis précise que la transition vers le télétravail a été facile pour eux. D’autres employés ont assuré les services de collecte à l’auto pour les étudiants et les chercheurs, particulièrement en sciences humaines, qui comptent sur les vastes collections de documents imprimés, dont certains datent de plusieurs siècles. Selon elle, en plus de renforcer la priorité accordée au numérique, la réponse à la pandémie favorise le développement de nouvelles stratégies et politiques liées aux renseignements personnels, à la transparence et aux droits des bibliothécaires de préserver des contenus. « Nous assurons une pérennité, mentionne-t-elle. L’accessibilité est la clé. »

Certaines bibliothèques universitaires ont embauché davantage d’employés afin d’assurer la prestation de services en personne et en ligne, autant pendant qu’après le confinement. Toutefois, deux établissements ontariens, soit l’Université Laurentienne qui connaît des difficultés financières et l’École d’art et de design de l’Ontario, ont aboli des postes en raison de la reprise de la consultation sur place et d’autres services en personne. L’École d’art et de design de l’Ontario a notamment congédié quatre bibliothécaires d’expérience qui cumulaient entre eux sept décennies de service.

Kate Cushon, bibliothécaire à l’Université de Regina et présidente du comité des bibliothécaires et archivistes de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), mentionne que les congédiements sont les retombées récentes d’un problème vieux de plusieurs décennies, à savoir si les bibliothécaires et les archivistes sont des employés, ou des membres du corps enseignant qui bénéficient d’une permanence et d’une sécurité d’emploi.

« La pandémie a aggravé le problème, précise Mme Cushon. Deux sondages informels menés par l’ACPPU durant la pandémie auprès de ses membres ont révélé une préoccupation à l’égard d’éventuels congédiements. »

Bien qu’elle n’ait pas entendu parler de conflits de travail dans d’autres bibliothèques, Mme Cushon mentionne que l’enjeu en matière de statut d’emploi demeure épineux sur certains campus.

« Tout dépend de la valeur qu’accordent les établissements au rôle et aux compétences de leurs bibliothécaires et archivistes, ainsi qu’aux services rendus aux étudiants et au corps professoral, ajoute-t-elle. Je crois que la pandémie a permis de démontrer notre importance dans le milieu universitaire, particulièrement auprès des étudiants. »

Sylvie Fournier est d’accord. La directrice générale des bibliothèques de l’Université de Sherbrooke souligne que ses installations ont été à la fois des bouées de sauvetage et des refuges pour les étudiants pendant la pandémie, surtout depuis l’automne dernier, lorsqu’ils ont repris une formule hybride d’apprentissage.

« Nous avons été surpris de constater que certains étudiants avaient des cours en classe le matin et sur Teams (Microsoft) l’après-midi, ajoute Mme Fournier. Or, beaucoup d’entre eux n’avaient pas le temps de retourner chez eux et avaient besoin d’un espace avec un réseau Wi-Fi et des ordinateurs où ils pouvaient parler. Ils sont instinctivement venus à la bibliothèque, mais nous n’avions pas ce genre d’espaces. »

Mme Fournier a fait appel à des collègues d’autres départements, qu’elle ne connaissait pas et qu’elle n’aurait probablement jamais rencontrés si ce n’était de la pandémie, et a pu rapidement trouver des espaces où les étudiants pouvaient suivre leurs cours avec des écouteurs. Dès le lendemain, sa bibliothèque avait également créé une page Web pour aider les étudiants à trouver ces nouveaux espaces.

« La camaraderie et l’esprit d’équipe développés à la bibliothèque et sur le campus pendant la pandémie sont exceptionnels, mentionne-t-elle. Je suis à la fois fière et contente de notre travail. »

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