L’insertion des diplômés universitaires dans la société du savoir
Le sociologue du travail Mircea Vultur présente un ouvrage qui fait le point sur les perspectives socioéconomiques des diplômés universitaires.
Les diplômés universitaires, une catégorie de la population considérée comme privilégiée du point de vue socioéconomique, font pourtant face à plusieurs défis sur le marché du travail. Dans l’ouvrage collectif Les diplômés universitaires. Perspectives socioéconomiques publié aux Presses de l’Université Laval, des chercheurs tentent de répondre à plusieurs questions autour des thématiques de la diplomation, du marché du travail et de la surqualification. Le directeur de l’ouvrage, Mircea Vultur, qui est sociologue de la jeunesse et professeur au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique, a répondu aux questions d’Affaires universitaires.
Affaires universitaires : Pourquoi avoir décidé de publier ce livre?
Mircea Vultur : Cela fait plusieurs années que je travaille sur les diplômés universitaires, une catégorie de main-d’œuvre un peu dans l’angle mort des chercheurs, parce que considérée comme sans problème. En dépit de cette image, on constate que l’accès aux études universitaires, l’insertion sur le marché du travail et l’obtention d’un emploi en lien avec la formation ne sont pas toujours ceux souhaités par les étudiants.
Ce livre est issu d’un projet de recherche financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada que j’ai dirigé. Le livre présente des données récentes et inédites du volet statistique de ce projet.
AU : À qui s’adresse le livre?
M. Vultur : Il s’adresse d’abord aux spécialistes de la sociologie de l’éducation, puis aux décideurs, pour qu’ils prennent la mesure du phénomène et élaborent des politiques plus adéquates. Les universités et ceux qui font les politiques ont toujours un discours de production de diplôme, mais il faut regarder qui on forme et à quoi on les forme, pour ne pas gaspiller les ressources humaines.
Le livre s’adresse aussi à un public plus large. C’est un livre intéressant pour les étudiants, pour qu’ils puissent prendre une décision éclairée en toute connaissance de cause.
AU : Quels sont les points saillants du livre?
M. Vultur : Le livre se divise en trois parties. La première analyse l’accès aux études universitaires, la deuxième, l’insertion sur le marché du travail, et la troisième, la surqualification. On observe qu’il y a de plus en plus d’étudiants qui vont à l’université. En 15 ans, on a connu une forte augmentation de la diplomation. Le nombre de titulaires d’un baccalauréat est passé de 11 % de la population en 2001 à 16 % en 2016; pour la maîtrise, c’est passé de 5 % à 8 %, et la proportion de gens titulaires d’un doctorat a aussi augmenté.
Ce qui est intéressant, c’est que malgré cette massification, l’accès à l’université reste ségrégatif, c’est-à-dire que ceux qui ont accès à l’université, tant au Québec qu’au Canada, sont des jeunes dont les parents appartiennent aux classes plus riches et qui ont un niveau d’études plus élevé. On a par ailleurs démontré que le fait d’avoir des parents plus instruits est un déterminant plus fort pour aller à l’université que d’avoir des parents plus riches.
L’instruction universitaire a également une direction genrée. Par exemple, 70 % des filles dont la mère a un diplôme universitaire en ont un aussi, contre seulement 22 % parmi celles dont la mère a un diplôme d’études secondaires. Pour les garçons, 44 % de ceux dont le père a un diplôme universitaire ont un diplôme universitaire, par rapport à 12 % chez ceux dont le père a seulement une éducation secondaire. L’université reproduit donc les inégalités de la société.
AU : Le diplôme universitaire est-il toujours rentable?
M. Vultur : Les études restent rentables en général, mais il y a des différences selon les domaines : les sciences et technologies sont plus payantes que les sciences humaines, les sciences de l’éducation et les sciences sociales. Le chapitre d’un de mes collègues montre les taux de rendement privés des études universitaires, mesurés par rapport aux diplômes d’études secondaires. On voit par exemple que ces taux de rendement privés sont d’environ 14 % pour les hommes qui ont un baccalauréat, et 16 % pour les femmes. Si on compare aux taux d’intérêt d’une banque, aucune ne nous donnerait un taux de rendement si élevé!
Toutefois, même si la rémunération des diplômés universitaires demeure parmi les plus élevées, on observe une diminution de la rémunération pour certaines catégories de diplômés. Il y a des inégalités à l’intérieur même des diplômés universitaires : certains gagnent beaucoup, d’autres moins. C’est un phénomène nouveau.
AU : Quelle est l’ampleur de la surqualification?
M. Vultur : La surqualification désigne la situation d’un diplômé qui occupe un emploi dont les exigences sont moindres que son niveau de formation. Le phénomène a beaucoup augmenté au cours des 15 à 20 dernières années. Il touche aujourd’hui le tiers des personnes en emploi. La surqualification affecte davantage les plus jeunes, les femmes et les immigrants, particulièrement les minorités visibles.
La surqualification a des effets d’abord du point de vue du salaire : les surqualifiés gagnent 37 % de moins que les non surqualifiés. Elle a aussi un effet sur le patrimoine accumulé.
AU : Est-ce qu’on peut en conclure qu’on diplôme trop de gens?
M. Vultur : Il y a une dévalorisation relative des diplômes sur le marché du travail, mais en même temps l’importance des diplômes reste très forte : c’est le paradoxe du diplôme. Le diplôme est plus important que jamais, parce que sans diplôme, tu ne peux pas entrer en compétition pour les bons emplois, bien rémunérés.
Indépendamment du fait que les diplômes soient rentables ou non sur le marché du travail, les gens vont à l’université parce que l’éducation universitaire est devenue une valeur. Évidemment, cette augmentation pose des problèmes en relation avec le marché du travail, et il y a une inadéquation croissante des diplômes avec les besoins du milieu du travail. Mais ça ne veut pas dire qu’il y a trop de diplômés, parce que les diplômes et la formation universitaire ont des effets positifs sur d’autres plans. Les diplômés universitaires sont des gens plus en santé, qui s’impliquent plus socialement, montrent des comportements politiques plutôt progressifs, et ont une influence positive dans leur entourage.
AU : Quelles sont les suites de cette recherche?
M. Vultur : Le volet qualitatif de cette recherche est en cours d’analyse, et fera l’objet d’articles et de chapitres de livre. Le volet qualitatif est très important : les données statistiques montrent l’étendue du phénomène, mais derrière les chiffres, il y a des processus très différenciés; les raisons d’aller à l’université sont différentes d’un individu à l’autre. Pour beaucoup, l’université est un milieu de socialisation qui a comme objectif de former les bons travailleurs.
Cet entretien a été revu et condensé pour plus de clarté.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
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