Parcourir 7 600 km au nom de la recherche universitaire

Des aventuriers québécois ont consacré sept mois pour traverser le Canada du nord au sud, tout en collaborant à trois projets de recherche.

10 janvier 2022

Un groupe de Québécois a récemment complété l’une des expéditions les plus sensationnelles jamais entreprise au Canada. Un rêve fou que celui de traverser le pays d’un bout à l’autre, surtout lorsque le plan est de débuter l’aventure à l’extrême nord, avec le but de se rendre complètement au sud, sept mois plus tard. Et comme si le défi n’était pas déjà assez imposant, les aventuriers ont également pris la décision de contribuer à trois projets de recherche au cours de leur interminable périple!

C’est à quelques jets de pierre du point le plus au nord du Nunavut que l’Expédition AKOR a débuté en mars 2021. Par la suite, les individus ont marché, skié, ramé et pédalé jusqu’à la pointe sud de l’Ontario, avec au final plus de 7 600 kilomètres parcourus. Les ravitaillements étaient sporadiques, les repos rares, et les divertissements laissés à la fine imagination des participants. Une vraie histoire de dépaysement, quoi.

En novembre, les membres de l’expédition ont finalement atteint leur objectif situé aux limites des États-Unis. En calculant que sept mois séparent mars et novembre, la première question qui vient en tête est clairement : « En aviez-vous assez à la fin? » Guillaume Moreau, stagiaire postdoctoral en sciences forestières à l’Université Laval, avait effectivement certaines nuances à apporter.

« C’est un sentiment vraiment unique d’être en autonomie complète, à des milliers de kilomètres des grands centres. On est dans le dépassement », expliquait-il à quelques jours de la fin de l’expédition. « La réponse courte est donc oui, nous avons eu du plaisir, mais ce n’est pas ce qui nourrit nos journées. Le fait de parcourir tous ces kilomètres, de faire vivre notre expérience aux gens à distance, de contribuer à la science, ça crée une immense satisfaction », ajoute-t-il, rappelant également que plusieurs journées ont été souffrantes en raison de la fatigue et des blessures accumulées. Pour le « pur plaisir », on repassera!

Faire progresser la recherche

N’empêche, la satisfaction de servir la recherche scientifique a de quoi stimuler. Concrétiser sur le terrain le fruit de travaux théoriques rend certainement la démarche plus engageante. Voilà pourquoi le groupe est parti armé de trois ententes de collaboration à la recherche scientifique menée en milieu universitaire.

Tel que l’indique son titre au postdoctorat, M. Moreau est lié de près à ce qui touche les sciences forestières. En 2019, il a participé à la toute première expédition AKOR au Nunavik, alors qu’il débutait son doctorat. Il avait profité du voyage pour prélever des spécimens de bois, pour ultimement étudier le comportement des arbres, au fil du temps.

L’expédition de 2021 présentait des similitudes avec celle d’il y a deux ans. Des carottes d’arbres ont encore été récoltées afin de mesurer l’impact des changements climatiques sur la forêt, un peu partout au pays, selon les climats. « Le cerne de croissance permet de soutirer des tonnes d’information », confirme l’aventurier et chercheur, qui estime que la récolte s’est faite à une fraction du coût d’un déploiement en hélicoptère.

Un autre volet de recherche mené en collaboration avec les départements de kinésiologie de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Rimouski consistait à observer la dépense énergétique afin de comprendre comment le corps humain s’adapte à des environnements extrêmes. « Vivre à -35 degrés pendant des mois, tirer un traîneau de 300 livres, 10 heures chaque jour… Disons que nous sommes des bons sujets de recherche! », s’esclaffe M. Moreau. « C’est un domaine qui évolue lentement, tu ne peux pas demander à quelqu’un de se soumettre à une telle vie. Ça prenait des volontaires, comme nous », élabore-t-il, précisant au passage que leur régime quotidien était stable et extrêmement riche. « L’un des nôtres a perdu 18 livres le premier mois de l’expédition, même en consommant 7 000 calories par jour! », se remémore-t-il, amusé.

Une épreuve collaborative, à distance!

Finalement, la dernière partie de l’expédition dont bénéficie le milieu de la recherche universitaire est la plus surprenante. Avec l’aide de Nathalie Clément de l’Université de Sherbrooke, près d’une douzaine de personnes vivant avec des douleurs chroniques sévères ont parcouru à leur rythme et à leur façon les 7 600 kilomètres de l’expédition. « Le fait d’être en constant contact avec les [aventuriers] a certainement joué sur la motivation des gens qui souffrent de douleurs chroniques », explique Dre Clément, qui souffre elle-même de ces problèmes récurrents. « Nous voulions mesurer l’impact de l’association avec les patients. De constater à quel point ça permettrait aux gens de bouger, d’augmenter la qualité de vie », précise-t-elle.

D’ailleurs, c’est la durée de l’expédition qui a permis de se lancer ainsi. « En sept mois, les participants vont réaliser les bienfaits de l’activité physique sur leur corps. Il existe de tels projets plus courts, mais qui n’ont pas le même impact », se réjouit-elle. « Ils disent : ʺMaintenant, je suis capable de faire telle ou telle choseʺ. Leur discours a changé, avant il y avait souvent un doute. »

« On a adoré cette partie de l’expédition parce que plusieurs personnes sous-estiment le potentiel de la motivation. Nous aussi, ça nous a motivé », renchérit M. Moreau, quelques secondes avant de raccrocher et de retourner vivre dans son abri minimaliste, au froid, et seul.

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