Quand la démocratie vacille, que peuvent encore les universités ?
Lors d’un entretien mené dans le cadre du Congrès 2025 de la Fédération des sciences humaines, Marc Spooner, professeur à l’Université de Regina, a livré une analyse des menaces qui pèsent sur la mission publique des universités.

C’était une conversation dense, tenue devant un auditoire attentif à Toronto, mais aussi une alerte. Pour Marc Spooner, professeur à la Faculté d’éducation de l’Université de Regina et voix engagée de la liberté académique, les signes d’un basculement autoritaire dans les démocraties libérales s’accumulent — et les universités sont en première ligne.
« Nous vivons un moment particulier », affirme-t-il d’entrée de jeu. « Ce que l’on croyait immuable — droits civiques, institutions publiques, liberté académique — est désormais remis en question. » Les États-Unis, selon lui, offrent un exemple frappant, mais le Canada n’est pas à l’abri. En Alberta et en Ontario notamment, des politiques de financement axées sur la performance et des réformes curriculaires restrictives visent à redéfinir la mission universitaire autour de la seule employabilité. « C’est un rétrécissement inquiétant du rôle des universités dans nos sociétés. »
La pandémie de COVID-19 a amplifié cette tendance. Non seulement a-t-elle exacerbé la méfiance envers les institutions, mais elle a aussi accéléré un rejet de la science et de l’expertise. M. Spooner cite notamment le retour de maladies comme la rougeole en Alberta, qu’il relie à un affaiblissement du discours scientifique dans l’espace public. « Il y a une remise en cause généralisée des faits, de la recherche, du savoir en tant que tel. C’est une crise de confiance sans précédent. »
L’un des terrains privilégiés de ce recul, selon lui, est l’offensive contre les politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI). Loin d’être un débat strictement américain, cette remise en question traverse aussi le paysage politique canadien. « La droite populiste a réussi à opposer EDI et mérite, comme s’ils étaient incompatibles. Mais ce n’est pas le cas. L’EDI vise justement à élargir l’accès au mérite, à faire en sorte que toutes les personnes talentueuses puissent être reconnues. »
La montée de cette hostilité s’explique aussi, selon M. Spooner, par un changement de perception. Avant la pandémie, l’EDI pouvait sembler abstraite ou lointaine pour certains groupes majoritaires. « Mais dès que les politiques publiques ont commencé à toucher directement leur quotidien, une partie de la population s’est sentie menacée, voire ciblée. Et cette réaction a glissé vers une remise en cause de tout ce qui est perçu comme ‘progrès social’. »
Les réseaux sociaux ont fait le reste. M. Spooner décrit une polarisation accrue, nourrie par des algorithmes qui privilégient les contenus clivants. Sur X (anciennement Twitter), dit-il, les publications modérées sont noyées sous une avalanche de contenus extrêmes. « J’ai vu la plateforme se transformer sous mes yeux. Aujourd’hui, dès qu’on exprime une opinion favorable au gouvernement libéral, on se fait attaquer. Souvent par des
bots. »
Face à cette réalité, .M. Spooner estime que la gauche institutionnelle a failli. Elle a, selon lui, sous-estimé l’ampleur de la contre-offensive. « Il y a eu un sentiment de supériorité morale, l’idée que le progrès allait de soi. Résultat : elle a cessé d’écouter, surtout les classes populaires, qui ne se retrouvaient plus dans son discours. »
C’est dans ce contexte qu’il critique vivement le projet de loi 33 du gouvernement ontarien, qui impose aux universités de recruter des personnes étudiantes « sur la base du mérite ». Pour lui, cette mesure constitue une attaque directe contre l’autonomie des établissements. « Réduire le mérite aux seules notes scolaires, c’est ignorer tous les facteurs systémiques qui influencent la réussite : la pauvreté, la précarité, les responsabilités familiales, l’accès à un espace d’étude. » Il dénonce aussi les dispositions de la loi qui permettent au gouvernement de limiter les frais accessoires choisis par les étudiants, ce qui menace, selon lui, des services essentiels comme les banques alimentaires, les centres de santé ou les programmes de soutien à l’emploi.
Mais au-delà de la critique, Marc Spooner appelle à l’action. Il insiste sur le rôle des chercheurs, particulièrement ceux qui bénéficient de la permanence, qu’il voit comme des « lanceurs d’alerte potentiels ». Trop souvent, dit-il, la peur ou l’autocensure paralysent la prise de parole. « Le silence des universitaires, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire aux gouvernements autoritaires ou autoritaristes. »
Il plaide également pour un rapprochement stratégique entre les milieux universitaires et journalistiques, notamment dans le domaine de l’enquête. « Les rédactions n’ont plus les moyens d’approfondir comme avant. Mais les universités, elles, ont encore les ressources pour fouiller, documenter, comprendre. Nous avons un rôle à jouer pour maintenir une information rigoureuse dans l’espace public. »
Lorsqu’on l’interroge sur la possibilité de préserver son intégrité dans un climat aussi tendu, Spooner tranche : « La neutralité peut devenir une posture commode, voire complice. Moi, je ne suis pas neutre. Je suis pour des universités inclusives, pour des services publics forts, pour une société juste. Et je crois qu’on doit l’assumer. Ce n’est pas aux étudiants qu’on rend service en prétendant ne pas avoir de valeurs. »
Il rappelle enfin que l’université, tout comme les médias ou la justice, constitue l’un des piliers de la démocratie. Elle ne peut remplir cette fonction qu’à condition de conserver une indépendance réelle, tant face au marché que face au pouvoir politique. Et cette autonomie, souligne-t-il, n’est jamais acquise. « Chaque génération doit apprendre à défendre la démocratie. C’est un apprentissage constant. Si on prend nos institutions pour acquises, on les perdra. »
Postes vedettes
- Sciences de l'éducation - Professeure suppléante ou professeur suppléant (didactique des mathématiques au secondaire)Université du Québec à Trois-Rivières
- Médecine vétérinaire - Professeure adjointe / agrégée ou professeur adjoint ou agrégé (chirurgie des animaux de compagnie)Université de Montréal
- Systèmes d’information organisationnels - Professeure réguliere ou professeur régulierUniversité Laval
- Finance - (2) Professeures adjointes/agrégées ou professeurs adjoints/agrégés (compabilité)Université Laval
- Chaire d’excellence en recherche du Canada en sciences sociales computationnelles, en intelligence artificielle et en démocratie (Professeure agrégée ou professur agrégé ou titulaire)Université McGill
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