Un chercheur se frotte au cyberharcèlement subi par des professeurs québécois

Les réalités, les causes et les conséquences de la cyberintimidation auprès de professeurs d’université étudiées par Stéphane Villeneuve.

15 décembre 2020
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Perte de confiance, stress, démotivation, colère et anxiété : tous des conséquences bien réelles de la cyberintimidation, même si elle se déroule dans le monde « virtuel ». Avec l’utilisation croissante des réseaux sociaux et des outils technologiques, Stéphane Villeneuve, professeur au Département de didactique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a voulu savoir si les professeurs d’université étaient aussi touchés par cette problématique. Celui-ci termine ainsi une étude qui a recueilli les témoignages de 184 professeurs de l’UQAM et de l’Université du Québec à Trois-Rivières grâce à un sondage en ligne.

Affaires universitaires : Comment en êtes-vous venu à vous travailler sur le sujet?

Stéphane Villeneuve. Photo d’Émilie
Tournevache 2013 – (UQAM).

Stéphane Villeneuve : On constate qu’il y a de plus en plus d’intimidation sur les réseaux sociaux. Pourtant, à peu près aucune étude n’a été menée là-dessus, sauf une dans l’Ouest canadien. Je me suis donc intéressé à cette problématique chez les journalistes, les enseignants du primaire, du secondaire, et maintenant, à l’université.

Les interactions avec les professeurs à l’université sont majoritairement en ligne, et encore plus avec la COVID — on a d’ailleurs fait un autre appel pour voir s’il y avait des différences entre la situation prépandémie et pendant la COVID, mais on n’a pas encore de résultats de ce côté. Il y a une dizaine d’années, quand j’étais chargé de cours, mes étudiants venaient à mon bureau régulièrement. Aujourd’hui, c’est devenu exceptionnel, tout se fait par courrier électronique, ce qui peut mener à des dérapages. Derrière son écran, l’étudiant se sent courageux, il est exaspéré, ou c’est une mauvaise journée, et écrit quelque chose à un professeur qu’il peut regretter ensuite. C’est important d’étudier de quelle façon prévenir ces dérapages.

AU : Est-ce que le phénomène du cyberharcèlement est important à l’université ?

M. Villeneuve: Le cyberharcèlement, ce n’est pas juste une opinion, c’est dans le ton, la façon dont le message est envoyé, et surtout, c’est dans la perception de l’autre qui le reçoit. Parmi les 184 répondants, 39 pour cent ont dit avoir déjà été cyberharcelé, par des étudiants, des inconnus ou des collègues. C’est un pourcentage élevé, mais il faut faire attention, parce qu’il y a un biais; les gens qui ont subi du harcèlement vont être plus portés à répondre au questionnaire. Je m’intéresse davantage aux causes et aux solutions.

AU : Sous quelle forme le cyberharcèlement se produit-il dans le milieu universitaire?

M. Villeneuve : Celui-ci se déroule principalement par rapport aux activités d’enseignement. Presque 46 pour cent des cas de cyberharcèlement qu’on nous a rapportés sont liés à ce que les professeurs ont enseigné, par exemple des contenus sensibles. Ça peut aussi être sur le plan de l’évaluation : des témoignages ont révélé que des étudiants insatisfaits de leurs notes — et pas nécessairement des étudiants en situation d’échec — vont écrire des courriels insistants, parfois agressifs.

Les professeurs peuvent également exprimer leurs opinions à travers les réseaux sociaux. Des gens de l’externe, des étudiants ou d’autres professeurs vont envoyer en retour des messages plutôt agressifs, ou dénigrer la personne sur les réseaux sociaux. Le cyberharcèlement peut de plus être lié aux activités de recherche. Même dans mon cas, ç’a froissé une personne que j’étudie ce sujet!

Finalement, dans à peu près 20 pour cent des cas, le cyberharcèlement n’a aucune cause apparente. Tout à coup, on reçoit un courriel anonyme agressif, des menaces sur les réseaux sociaux; ça peut aussi prendre la forme de diffamation ou de rumeurs qui circulent.

AU : Quelles sont les pistes de solutions ?

M. Villeneuve : Une des premières choses serait d’avoir des bureaux contre le harcèlement dans les universités. Il faut surtout informer les professeurs, qui ne connaissent pas les procédures lorsqu’ils subissent l’intimidation ou de la cyberintimidation. Doivent-ils se diriger vers leur département? Contacter l’étudiant? Souvent les gens vont rester avec leurs problèmes, attendre que ça passe ou essayer de le régler seuls.

Il est important d’en discuter avec les étudiants dès le début de la session, lorsqu’on présente le plan de cours, au même titre que les autres politiques (plagiat, harcèlement sexuel, etc.). Il faut les informer que toutes les communications doivent rester respectueuses et leur rappeler les conséquences si ce n’est pas le cas. Mais ça prendrait d’abord et avant tout des balises claires de la part des universités en cas de cyberintimidation — envers le personnel enseignant, comme envers les collègues, parce que ça existe. Il est difficile de prévenir la cyberintimidation, mais on doit au moins informer les gens sur cette question et sur les conséquences psychologiques.

AU : Justement, quelles sont les conséquences de la cyberintimidation?

M. Villeneuve : Les conséquences sont sur les plans professionnel (attention accaparée par l’épisode, perte de confiance, d’efficacité et plus envie de travailler) et personnel (stress, démotivation, colère, anxiété, impuissance, humiliation, insomnie et irritabilité). Si le tiers des professeurs ayant vécu du cyberharcèlement disent ne pas avoir vécu de conséquences, les deux tiers ont vécu du stress, un sentiment de solitude, de rejet ou d’insécurité ainsi que de l’anxiété.

AU : Comment le milieu universitaire réagit-il à vos résultats de recherche?

M. Villeneuve : Nos résultats n’ont pas encore été publiés. Mais ça reste un sujet sensible; pour les directions, c’est un problème de plus à gérer. Les syndicats sont intéressés parce que ça concerne les conditions et le milieu de travail. J’ai d’ailleurs dû passer par les syndicats des deux universités pour réussir à diffuser le message, c’était plus difficile de le faire directement via les universités. Ça m’a donné un petit son de cloche à savoir que celles-ci n’étaient peut-être pas trop à l’aise avec le sujet.

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