Une étude de l’UQ documente la crise de l’édition savante francophone

Sans financement supplémentaire, plusieurs revues québécoises en sciences humaines et sociales sont appelées à disparaître.

13 février 2019

Les auteurs d’un rapport de recherche (PDF) sur l’état de l’édition savante francophone en sciences humaines et sociales prédisent, ni plus ni moins, la disparition de dizaines de revues savantes au Québec si rien n’est fait pour les aider.

Pour en arriver à cette conclusion alarmante, les auteurs du rapport, financé par le Fonds de développement académique du réseau (FODAR) de l’Université du Québec (UQ), ont sondé les responsables de 31 revues savantes francophones de disciplines variées : de l’histoire à la sociologie, en passant par les arts.

Cette étude réitère des préoccupations graves, déjà soulevées dans le passé, qui demeurent irrésolues malgré les multiples cris d’alarme, dont ceux lancés par Richard Marcoux, chercheur en sociologie et responsable de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone.

« Alors que les comités de rédaction sont tous en attente de renouvellement de financement de la part du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), […] on doit se rappeler que les résultats du derniers concours, [il y 4 ans], ont mis en péril des revues qui existaient depuis 60 ans », affirme M. Marcoux.

Résumé des quatre recommandations :

  1. Augmenter le soutien financier des revues;
  2. Diversifier les modèles économiques à mettre en place en partenariat avec les revues;
  3. Informer les revues des outils numériques qui peuvent faciliter leur travail; et
  4. Réfléchir à la pertinence d’intégrer l’usage des nouveaux modes de communication scientifique.

En 2015, seulement 28 des 56 revues recommandées par les comités d’évaluation multidisciplinaires et indépendants avaient reçu un financement de la part du FRQSC.

« Les revues qui n’ont pas reçu de financement sont sous respirateur artificiel» estime-t-il. À la suite d’une levée de boucliers des revues non financées, le FRQSC a accepté, deux ans plus tard, de financer huit autres revues.

Pour aider à contrer la crise, la plateforme de diffusion de revues savantes Érudit, mise sur pied il y a 20 ans, a offert aux 20 autres revues recommandées, mais non financées, de les diffuser gratuitement.

Selon le rapport de l’UQ, par contre, ce n’est pas tant la diffusion numérique des revues qui souffre d’un manque de financement, mais davantage le travail en amont de création et d’édition.

Outre l’avènement du numérique, du libre accès et de la concurrence qualifiée de « déloyale » des grandes maisons d’édition qui ont mené à des bouleversements irréversibles dans le monde de l’édition savante, c’est l’appui à la rédaction et à l’édition des publications de recherches en sciences humaines et sociales au Québec qui semblent toujours être l’enfant pauvre de la crise des revues savantes.

Les auteurs du rapport estiment que l’édition de chaque article coûte environ 2500 dollars; or, les revues touchent en moyenne 1000 dollars par article.

Plusieurs éditeurs font le travail « bénévolement et ne compilent pas leurs heures de travail, souligne Béatrice Lefebvre, analyste et rédactrice du rapport. Ceci a pour effet de fausser les modèles et de minimiser les besoins économiques des revues. »

« Nous sommes d’accord avec les conclusions du rapport, mais notre analyse va plus loin », affirme Louise Poissant, directrice scientifique du FRQSC.

C’est ainsi que le FRQSC soutient actuellement un groupe de travail mis sur pied par Catherine Mounier, vice-rectrice à la recherche, à la création et à la diffusion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui à la demande du Fonds inclut quelques autres universités québécoises.

« Ce groupe de travail devrait permettre de mettre en marche des ressources et une structure au sein des universités, via les bibliothèques, pour appuyer les éditeurs des revues savantes », poursuit Mme Poissant.

« Nous avons donc élaboré avec les bibliothèques de l’UQAM une aide centralisée et surtout une aide aux éditeurs pour assurer le virage numérique », explique Mme Mounier, qui n’était pas au courant du rapport financé par le FODAR.

« Nous avons élargi le groupe avec des représentants de l’Université de Montréal, de l’Université Concordia et de l’Université Laval afin de penser implanter une solution plus large incluant bien sur Érudit », ajoute-t-elle.

Une démarche qui correspond à l’esprit du rapport produit. « Nous avons fait un état des lieux, démontré une réalité. C’est maintenant aux établissements de prendre le leadership et de faire reconnaître les revues comme des acteurs qu’on peut structurer », affirme Éric Duchemin, l’un des membres du comité rédactionnel du rapport ainsi que fondateur et codirecteur de la revue Vertigo.

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