La recherche en pause forcée

Après avoir subi des retards importants, de nombreux chercheurs espèrent pouvoir bientôt retourner travailler sur le terrain.

05 janvier 2022
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Résumé de l’article « Getting back to fieldwork »

Chaque printemps, les étudiants aux cycles supérieurs étant sous la direction d’Andrew Derocher survolent de vastes étendues glacées de la baie d’Hudson à la recherche d’ours polaires. « Nous les suivons en hélicoptère. Les journées ensoleillées et peu venteuses sont idéales », explique le biologiste de la faune de l’Université de l’Alberta. Après avoir localisé leur cible, ils atterrissent, neutralisent l’ours avec une fléchette anesthésiante, prennent des mesures, prélèvent du sang, des poils et des échantillons de tissu adipeux, tatouent la lèvre supérieure de l’animal et lui mettent des étiquettes d’oreille et un collier relié à un satellite, le tout avant son réveil.

Les dispositifs de localisation dévoilent les déplacements des ours et leur habitat, tandis que les prélèvements donnent de l’information sur la génétique, le régime alimentaire, l’âge, le degré de pollution et de stress, l’exposition aux maladies et d’autres facettes de leur vie, autant de données qui aident les scientifiques à mieux comprendre les menaces grandissantes liées aux changements climatiques et à la pollution.

Malheureusement, au cours des deux dernières années, la pandémie de COVID-19 a empêché les chercheurs de s’aventurer dans les collectivités nordiques. « Mes étudiants ont non seulement raté l’occasion de voir l’habitat des ours de leurs propres yeux, mais ils ont aussi manqué des conférences où ils auraient pu présenter leur travail, rencontrer des experts et réseauter avec d’autres biologistes. C’est une perte immense. »

L’annulation des activités de surveillance des ours polaires n’est qu’un exemple des effets perturbateurs de la pandémie sur la recherche scientifique dans les universités canadiennes, où les laboratoires ont été fermés, des restrictions de voyage ont été imposées et l’interaction avec les sujets humains a été rendue impossible, pour ne nommer que ceux-là. Ces interruptions ont particulièrement perturbé les programmes de recherche qui dépendent du travail sur le terrain.

Retards « démoralisants »

C’est ce qui attendait la professeure agrégée Cora Young et le professeur adjoint Trevor VandenBoer de l’Université York. L’équipe a décroché une bourse s’échelonnant sur quatre ans d’Environnement et Changement climatique Canada pour faire des recherches sur le transport atmosphérique d’une catégorie de produits chimiques appelés PFA qui pourraient polluer l’habitat de deux espèces en voie de disparition : les épaulards de la mer des Salish en Colombie-Britannique et les bélugas du fleuve Saint-Laurent au Québec. Des PFA ont été détectés dans les tissus des deux groupes de mammifères et bien que l’effet précis sur leur santé n’ait pas été établi, cela n’augure rien de bon.

« Les résultats de la recherche aideraient les décideurs à adopter des lois qui protégeraient ces animaux », explique Mme Young. Cependant, le projet a été interrompu en raison des protocoles de voyage liés à la pandémie. « Ce fut difficile pour les étudiants, puisque cela devait constituer la base de leurs thèses, dit-elle. Nous avons dû organiser d’autres projets de recherche. C’était décevant et démoralisant. » L’équipe a récemment reçu l’autorisation d’utiliser de l’équipement de surveillance au Québec et elle espère faire de même en Colombie-Britannique sous peu. Ce sera très difficile de tout faire en un an et demi, indique Mme Young, qui prévoit une collecte de données et un processus d’analyse accélérés, à moins d’obtenir une prolongation de la bourse gouvernementale.

Protéger les chauves-souris contre le SRAS-CoV-2

Au Bat Lab de l’Université de Winnipeg, la pandémie a occasionné un drôle de rebondissement. Au début, elle a empêché le biologiste Craig Willis et ses étudiants de travailler sur le terrain, car on craignait que les chercheurs puissent propager le SRAS-CoV-2 aux populations locales de chauves-souris, qui souffraient déjà d’une maladie fongique mortelle appelée syndrome du museau blanc (SMB). Cette maladie se propage vers l’ouest depuis son apparition dans l’État de New York en 2006 et aurait tué 10 millions de chauves-souris.

Le SMB est causé par un champignon qui vit dans les grottes et qui infecte les chauves-souris pendant leur hibernation, les tuant en détruisant le tissu de leurs ailes, en perturbant leur chimie corporelle et en provoquant leur déshydratation. Les chauves-souris infectées sortent de leur torpeur pour faire leur toilette et essaient de retirer la prolifération fongique, mais cela a des conséquences mortelles, car elles doivent soigneusement rationner leur énergie durant l’hibernation pour survivre sans se nourrir jusqu’au printemps.

Lorsque la pandémie a frappé, la chercheuse postdoctorale Yvonne Dzal venait juste de décrocher une bourse Liber Ero de deux ans pour étudier les chauves-souris. Elle n’a pu reprendre ses travaux que récemment et tente de trouver des caractéristiques susceptibles d’influer sur la vulnérabilité au SMB et d’améliorer les habitats où les chauves-souris se nourrissent près des grottes afin de rehausser le taux de survie des sujets infectés. En juillet 2021, elle est descendue en rappel dans l’une des cavernes où la population de chauves-souris a été dévastée par le SMB. Elle mentionne que la situation s’est améliorée, ce qui suggère que les animaux survivants pourraient développer une immunité naturelle. « Mais le rétablissement sera long, car les femelles n’ont normalement qu’un petit par an », dit-elle.

Adopter la « science citoyenne »

Les restrictions de voyage liées à la pandémie ont également entraîné l’annulation des travaux de recherche de Mark Mallory au Nunavut en 2020 et en 2021. Au cours des deux dernières décennies, M. Mallory, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les écosystèmes des zones humides côtières à l’Université Acadia, a surveillé les effets des contaminants environnementaux et de l’accélération rapide des changements climatiques sur les oiseaux marins de l’Arctique, comme les mouettes, les goélands, les sternes et les canards.

Contrairement à la croyance populaire, les contaminants industriels se trouvent en abondance dans l’Arctique canadien. Les produits chimiques sont transportés vers le Nord par les courants océaniques et un processus géochimique d’évaporation et de condensation appelé « l’effet sauterelle ». « Tous ces polluants du Sud finissent dans l’Arctique, soutient M. Mallory. Ils entrent dans la chaîne alimentaire en commençant par les plus petits organismes, le phytoplancton, se rendent au zooplancton, aux poissons et finalement aux oiseaux marins, qui sont au sommet de la chaîne. » Dans les dernières années, les microplastiques se sont ajoutés aux polluants détectés dans le tube digestif et les excréments des oiseaux marins.

Le problème des toxines dans l’Arctique ne touche pas seulement la faune et l’écosystème. Comme M. Mallory l’explique : « Les contaminants sont un immense problème dans le Nord, puisque de nombreux Inuits chassent et pêchent encore pour se nourrir. »

Normalement, son équipe, composée entre autres d’étudiants aux cycles supérieurs, recueille des oeufs et tue des oiseaux à des fins d’échantillonnage. Ces activités ont toutefois été annulées en 2020. Puisque ses chercheurs ne pouvaient toujours pas se rendre dans le Nord en 2021, M. Mallory a demandé à des chasseurs autochtones de lui envoyer des échantillons aux fins d’analyse. Il a été satisfait des résultats et estime que la pandémie pourrait mener à de nouvelles façons de partager les travaux de recherche et d’échanger les connaissances avec les peuples nordiques. « La science citoyenne n’est pas une panacée, dit-il, mais le fait de renforcer les capacités des collectivités locales nous a permis de répondre à des questions scientifiques d’une importance internationale. »

M. Mallory et d’autres scientifiques canadiens espèrent que les taux élevés de vaccination et le recul des effets de la COVID-19 permettront d’assouplir les restrictions de voyage et de reprendre le travail sur le terrain, même dans le Nord du Canada, où les collectivités éloignées et vieillissantes sont particulièrement vulnérables aux maladies infectieuses. M. Derocher, l’expert des ours polaires, se montre optimiste : « J’ai bien l’intention de retourner sur les étendues glacées de la baie d’Hudson. L’hélicoptère nous attend, j’ai trouvé mon financement et je vais présenter ma demande de permis de capture d’animaux sauvages sous peu. C’est vrai que j’ai entrepris les mêmes démarches en vain en 2020 et en 2021, mais j’ai bon espoir que nous serons de retour au printemps 2022. »

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