L’avenir des universités québécoises en question

Christian Blanchette, récemment nommé à la tête du Bureau de coopération interuniversitaire, souligne les défis majeurs du milieu universitaire québécois et les pistes pour y répondre.

17 décembre 2024
Christian Blanchette
Photo courtoisie de : UQTR

Christian Blanchette, recteur de l’Université du Québec à Trois-Rivières, a été nommé président du conseil d’administration du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) pour un mandat de deux ans. Il est titulaire d’un doctorat en physique de l’Université York et spécialiste de l’environnement. M. Blanchette s’est d’abord consacré à l’enseignement avant de se tourner vers la recherche sur les répercussions d’internet et des technologies de l’apprentissage en enseignement supérieur.

Il fait le point sur les défis auxquels fait face l’enseignement supérieur au Québec ainsi que les stratégies envisagées.

Affaires universitaires: Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer le rôle du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) ?

CB: Le BCI est le regroupement des universités présentes sur le territoire québécois. C’est un lieu de concertation où se rencontrent à la fois les recteurs et rectrices, mais également les vice-recteurs et vice-rectrices. Il y a toute une série de services que le BCI offre aux universités afin de clarifier les besoins et enjeux et définir une voie commune interuniversitaire. Nous entretenons également des échanges avec le ministère de l’Enseignement supérieur. Je suis président du conseil d’administration, mais il y a une direction au BCI qui gère l’ensemble de l’œuvre. Chaque université demeure autonome, mais le BCI coordonne les discussions, et agit en tant que porte-parole, mais est aussi le timonier qui aide à développer les consensus.

AU: Que représente pour vous le milieu universitaire?

CB: Avant tout, les universités sont un lieu de succès. La grande majorité des gens qui entrent à l’université complètent leurs études. Elles créent les succès par les diplômes, par les recherches, par les projets avec la communauté, par le développement économique et culturel des régions dans lesquels elles se trouvent. C’est un milieu positif, de passion et de création, car on est avec des gens passionnés qui créent des choses nouvelles avec la connaissance. Quand on est recteur et rectrice, le plus grand plaisir est de découvrir ce que les chercheurs font. C’est énergisant. 

AU: Quels sont les grands enjeux auxquels font face les universités québécoises ?

CB: Un des enjeux qui me préoccupe est la place des sciences sociales, humaines et des arts dans les universités.   Lorsqu’on examine la manière dont s’opèrent les grandes transitions — qu’elles soient numériques, énergétiques, écologiques ou liées à l’intelligence artificielle —, on constate qu’elles commencent généralement par des préoccupations d’ordre technique. Cependant, après quelques années, les enjeux sociaux prennent le dessus, et c’est là que les diplômés des sciences sociales, des humanités et des arts jouent un rôle déterminant dans leur adoption et leur intégration. Malheureusement, ce rôle est rarement reconnu. Ces disciplines et programmes sont souvent dévalorisés. On le constate notamment au niveau fédéral, où l’arrivée des étudiants internationaux est orientée vers des domaines spécifiques, et il en va de même au niveau provincial. Les sciences sociales et humaines ne figurent pas parmi les priorités. Le défi réside donc dans la reconnaissance par notre société de l’importance fondamentale de ces formations dans les grandes transitions, car elles ne doivent en aucun cas être marginalisées. 

Il existe aussi un défi démographique au Québec, et une baisse des personnes en âge d’étudier, les 18-24 ans.  Il y a un défi de pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs domaines : infirmiers, enseignants, ingénieurs, etc. Cette diminution fait que la capacité de la société québécoise à former de jeunes diplômés dans ces secteurs est affectée. Ce n’est pas parce que les jeunes ne veulent pas aller dans ces domaines-là. Depuis 6-8 ans, le nombre d’étudiants dans les universités québécoises est sensiblement resté le même. L’arrivée des étudiants internationaux a compensé pour la baisse des jeunes étudiants québécois.

AU: Pouvez-vous développer sur la pénurie de main-d’œuvre?

CB: Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, un autre enjeu est l’impatience dans l’espace public. Cela fait plusieurs années qu’on parle de pénurie d’enseignants. Les universités forment des gens hautement spécialisés et il faut s’assurer que les professionnels soient conformes pour bien effectuer le travail. Cela prend plusieurs années à former une personne. Il faut protéger les citoyens pour s’assurer que les professionnels qui vont les soigner ou leur enseigner soient compétents.

AU: Que proposez-vous pour contrer cet enjeu ?

CB: Il s’agit d’expliquer au public pourquoi un diplôme prend 3 ou 4 ans, de le répéter et de mieux faire connaître les universités. Si un diplôme prend plusieurs années à acquérir, c’est qu’il y a des raisons, il faut que la personne accède à l’ensemble des compétences nécessaires.

AU: Qu’en est-il des infrastructures ?

CB: Les universités font face à un besoin urgent de réaménagement et d’espaces supplémentaires en raison du vieillissement de leurs infrastructures. C’est une problématique qui ne fera que s’aggraver avec le temps. Ces enjeux sont au cœur de nos discussions constantes, mais le véritable défi reste de trouver le financement nécessaire, d’autant plus que les coûts de construction continuent d’augmenter de façon exponentielle.

AU: Aimeriez-vous ajouter quelque chose pour conclure ?

CB: L’université reste encore méconnue pour une grande partie de la population québécoise et canadienne, alors qu’elle joue un rôle essentiel dans l’essor économique des pays. En formant des personnes capables de créer et d’innover, les universités contribuent directement à la prospérité collective. Au Québec, le secteur universitaire génère chaque année des retombées économiques d’environ 30 milliards de dollars. Mais leur apport ne s’arrête pas à l’économie : elles sont également un moteur de développement social et culturel. En effet, l’ascension sociale passe souvent par l’obtention d’un diplôme universitaire.

Un aspect encore trop peu abordé à l’échelle canadienne, mais davantage discuté au Québec, concerne les étudiants de première génération, ceux qui sont les premiers de leur famille à accéder à l’université. Cela témoigne d’une transformation profonde : la tour d’ivoire qu’incarnait l’université il y a 70 ans est devenue beaucoup plus accessible. Aujourd’hui, elle est ouverte à tous, à tous les âges, et reste un lieu d’apprentissage tout au long de la vie. Avec l’évolution constante des connaissances nécessaires pour progresser dans nos carrières, retourner à l’université en cours de vie professionnelle est désormais une réalité pour de nombreuses personnes. Je n’ai jamais vu une personne sortir de l’université et dire : ce n’était pas bon pour moi.

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