Pour la défense du gribouillage

Les gribouillis tracés d’une main distraite peuvent aider au traitement de l’information et stimuler la créativité.

06 octobre 2017

En pleine réunion de professeurs, votre concentration diminue graduellement. Pour éviter que vos collègues vous croient dans la lune, vous laissez la pointe de votre stylo errer sur le papier, ce qui donne l’impression que vous prenez assidûment des notes. Une fois la réunion terminée, la page est remplie de cercles, d’étoiles ou d’autres formes plus élaborées.

À la vue de cette oeuvre, vos collègues pourraient croire que vous n’avez porté aucune attention à la réunion. Pourtant, des études ont montré que le gribouillage peut contribuer à la créativité, à l’écoute active et à la mémorisation.

Selon Sunni Brown, qui s’est vue qualifiée d’« évangéliste » du gribouillage, il faut cesser de croire que gribouiller n’est pas une bonne chose. Auteure de The Doodle Revolution, Mme Brown affirmait déjà ce qui suit lors d’une conférence TED Talk donnée en 2011 : « On croit que le gribouillage témoigne d’une perte de concentration, mais en réalité, c’est un réflexe qui permet de rester concentré. Le gribouillage aide aussi grandement à résoudre les problèmes de manière créative et à traiter efficacement l’information. »

Les études sur le gribouillage sont hélas peu nombreuses. Publiée en 2009 dans la revue Applied Cognitive Psychology, celle qui constitue peut-être l’étude phare sur la question a montré que le gribouillage peut aider à la mémorisation. Dans le cadre de l’étude menée par Jackie Andrade, professeure de psychologie à l’Université de Plymouth, au Royaume-Uni, deux groupes ont écouté une conversation téléphonique monotone. Le premier devait se contenter d’écouter passivement, tandis que le second devait le faire tout en gribouillant des formes sur une page. Au bout du compte, les gribouilleurs ont retenu 29 pour cent plus d’information tirée de la conversation que les membres de l’autre groupe.

Pendant ses études de médecine à l’Université de la Colombie-Britannique au début des années 2010, Michiko Maruyama a commencé à griffonner chaque jour, à partir de ce qu’elle apprenait. Puis, elle s’est mise à publier ses dessins sur Facebook, pour que les autres puissent les voir.

Les dessins de Michiko Maruyama. Photo de Michiko Maruyama.

« Un jour, mon père m’a téléphoné pour me faire part de sa vive déception : “Qu’est-ce que tu fais? Tu étudies en médecine! Il faut que tu arrêtes tes petits dessins.” », raconte Mme Maruyama.

Accablée, elle a alors rangé son crayon d’artiste pour revenir à des méthodes classiques : surlignage et autres techniques de prise de notes en bonne et due forme. Or, étonnamment, ses résultats scolaires ont commencé à chuter. « Je me suis rendu compte que gribouiller m’aidait à apprendre, à mémoriser ce que j’avais appris dans la journée. J’ai donc recommencé à le faire, et mes notes ont remonté », indique Mme Maruyama, qui achève actuellement sa deuxième année de résidence spécialisée en chirurgie cardiaque à l’Université de l’Alberta.

Mme Maruyama n’est pas la seule à prendre des notes au moyen du gribouillage. Designer, auteur et illustrateur de Milwaukee, au Wisconsin, Mike Rohde s’est toujours considéré comme un preneur de notes expert. Jadis, que ce soit lors de réunions ou de conférences, il notait tout scrupuleusement. « Après coup toutefois, je parcourais mes notes et j’étais incapable d’en dégager les éléments essentiels. Il y avait simplement trop d’information », dit-il.

Une note visuelle de Mike Rohde. Photo de
Mike Rohde/Flickr.

En 2007, M. Rohde a donc changé de méthode. Dès la conférence suivante, il a commencé à coucher sur une seule page, sous forme de dessins, les principaux concepts abordés. « J’ai choisi de retenir seulement ce que j’estimais utile. Il me fallait donc écouter très attentivement, puis analyser l’information pour ne retenir que les éléments essentiels. Cette façon de faire me donnait un peu de temps, et j’ai commencé à m’amuser avec le lettrage, les images et même la mise en page. » M. Rohde qualifie sa technique de sketchnoting, autrement dit de « prise de notes visuelles ». En 2013, il a publié The Sketchnote Handbook, un guide illustré destiné aux néophytes.

« La prise de notes visuelles n’exige pas d’aptitudes remarquables en dessin, mais il faut pouvoir résumer visuellement les choses par des formes, des liens et du texte, explique M. Rohde. C’est autant une méthode de prise de notes qu’une forme d’expression créatrice. »

Giulia Forsythe, gestionnaire de projets spéciaux au Centre for Pedagogical Innovation de l’Université Brock, est également une fervente adepte de la prise de notes visuelles. En 2013, elle a été invitée à une conférence TEDx Talk à Porto Rico pour appliquer cette technique sur support numérique et prendre des notes pendant les exposés des différents conférenciers. « J’adore la prise de notes visuelles, car j’aime griffonner. J’arrive à me concentrer plus facilement et je m’amuse », souligne-t-elle. L’Université Brock mènera cet automne un projet pilote destiné aux assistants à l’enseignement en études anciennes. « Nous modéliserons à leur intention diverses stratégies d’enseignement, dont l’une visera à encourager les étudiants à essayer la prise de notes visuelles. »

Robert Dimeo, qui prend des notes visuelles depuis 2014, affirme que cette technique a considérablement augmenté son rendement. Directeur d’un établissement de recherche au sein d’un organisme gouvernemental américain, au Maryland, M. Dimeo précise qu’il faut du temps pour maîtriser la technique. Cependant, « ça devient un jeu d’enfant une fois les aptitudes nécessaires acquises, comme l’écoute et la capacité à dessiner rapidement et à synthétiser le message ».

Un dessin de Robert Dimeo. Photo de Robert Dimeo/Flickr.
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