Un décès sur le campus
Au lendemain de suicides d’étudiants, les universités examinent leur gestion de la santé mentale.
Les derniers jours d’un semestre sont parfois accueillis avec soulagement. Sentiment renforcé par la période des examens finaux à l’Université de Guelph qui s’est terminée l’an dernier un lundi au lieu du vendredi précédent, en raison de la date du long week-end de Pâques. Dans les résidences pour étudiants de premier cycle, les conseillers ont fait l’effort supplémentaire de communiquer avec les étudiants pour savoir comment ils allaient.
« Nous effectuons un suivi et nous nous assurons qu’ils savent que nous sommes là pour les aider jusqu’à la fin de l’année », a affirmé, au printemps dernier, Patrick Kelly, directeur adjoint de la vie en résidence à l’Université de Guelph. L’année scolaire 2016-2017 a été marquée par d’immenses pertes qui ont incité les membres du milieu universitaire à rester vigilants. Quatre étudiants de l’Université de Guelph se sont suicidés; deux des suicides sont survenus dans les résidences pour étudiants.
La première tragédie a eu lieu le 1er novembre, lorsqu’une étudiante de première année en arts a été retrouvée morte dans sa chambre du Prairie Hall, un complexe de la Residence de l’Université. Le recteur de l’établissement, Franco Vaccarino, a publié un communiqué le même jour. « Rien n’est plus difficile pour notre milieu que de perdre un de ses membres. Nous veillerons à offrir du soutien aux étudiants touchés par cette tragédie », a-t-il déclaré. Le communiqué orientait aussi les étudiants et les employés vers les services de counseling, le réseau de sou-tien pour étudiants, le programme d’aide aux employés et aux professeurs et l’équipe de ressources multiconfessionnelles de l’Université, ainsi que la ligne d’assistance provinciale Allo J’écoute pour les étudiants de niveau postsecondaire.
Le 10 décembre, pendant les examens finaux qui ont suivi cette tragédie, un étudiant de première année en commerce s’est suicidé au Lennox-Addington Hall. « Voilà qui nous rappelle combien la vie est fra-gile, a mentionné M. Vaccarino dans un communiqué. Nous devons nous unir pour soutenir la famille et les amis de cet étudiant et nous entraider en cette période de tristesse. »
Ainsi s’est déroulée une année scolaire éprouvante qui n’a jamais semblé ralentir. Le mois suivant, le 7 janvier (le samedi précédant le retour en classe des étudiants après la pause hivernale), un étudiant de première année en biologie marine et des eaux douces a mis fin à ses jours, et le 19 janvier, un étudiant de 22 ans en quatrième année en physique s’est suicidé.
Il est certain que le suicide d’un étudiant est une tragédie, et que toute université peut y être confrontée un jour ou l’autre. Et l’Université de Guelph ne devrait en aucune manière être considérée comme un cas particulier. De fait, le suicide et la maladie mentale sont des enjeux qui touchent toute la société.
De ces quatre décès, seuls les deux survenus sur le campus ont fait l’objet d’un communiqué publié par l’Université. Aucun des communiqués ne mentionnait la cause du décès, mais les étudiants ou les autres parties intéressées pouvaient trouver cette information facilement sur Google. Connie Ly, étudiante à la maîtrise en santé publique, a donc lancé une pétition critiquant les déclarations « brèves et génériques » de l’Université et le manque apparent de transparence de l’administration quant au financement consacré à la santé mentale et aux infrastructures connexes. Intitulée « Guelph: Stop Losing Students to Mental Illness » (Guelph : Ne laisse pas la maladie mentale emporter tes étudiants), cette pétition a recueilli près de 3 000 signatures.
Alison Burnett, infirmière autorisée et directrice du bien-être des étudiants de l’Université de Guelph, reconnaît que la colère fait partie du processus de deuil. Cependant, elle mentionne que l’Université a pour protocole de laisser aux familles le soin de déterminer les renseignements qu’elles souhaitent diffuser publiquement sur le campus, comme le nom de l’étudiant et la cause du décès. Et aucune des familles n’a souhaité diffuser ces renseignements.
« Les décès d’étudiants sont dus à diverses causes. Dans tous les cas, notre principale préoccupation est de respecter la famille et ses volontés », affirme-t-elle. Trouver le juste équilibre entre soutenir le milieu en deuil sur le campus et respecter les volontés de la famille du défunt n’est pas facile. Il peut donc sembler aux étudiants qu’il s’agit d’un manque d’information.
« Il y a beaucoup d’ambiguïtés. Confrontés à de telles tragédies, les gens tentent de trouver des réponses, et les rumeurs abondent, explique M. Kelly qui collabore avec Mme Burnett à des initiatives favorisant le bien-être des étudiants dans les résidences. Nous tenons à respecter la volonté des familles en ce qui concerne les renseignements divulgués. Cette pratique contribue toutefois à maintenir les gens dans l’ignorance et peut en effrayer
certains. »
Mme Burnett affirme que la pétition des étudiants a soulevé des préoccupations légitimes, qui indiquent les secteurs dans lesquels l’Université peut mieux faire connaître ses activités. « Certains des éléments auxquels ils ont fait allusion [dans la pétition] ont fait et font encore l’objet de discussions, affirme-t-elle. Mais si les étudiants ne sont pas au courant, c’est que nous ne réussissons pas à les informer adéquatement. »
La pétition a incité l’Université à revoir son cadre en matière de santé mentale et à examiner ses lacunes, surtout en ce qui concerne l’engagement des étudiants. L’Université élabore aussi un plan d’action qui comprendra un mécanisme visant à recueillir les commentaires du milieu universitaire.
Mme Burnett mentionne qu’elle avait constaté un changement d’attitude marqué sur le campus en ce qui concerne la santé mentale dès le début de l’année universitaire 2016-2017. « De nombreux étudiants avaient recours aux services de counseling beaucoup plus tôt que d’habitude dans le semestre », se souvient-elle.
Habituellement, une hausse du nombre d’étudiants recevant des services de counseling s’observe habituellement lorsque le poids des travaux et des examens de mi-session se fait sentir. « Ce phénomène était nouveau pour nous. Cela nous a permis d’ajuster la manière dont nous offrons nos services et de reconnaître que nous devions apporter certains changements. »
Elle ajoute que les suicides ont rendu l’année très difficile. « Ils ont certainement eu une incidence, partout sur le campus, sur l’humeur des gens et sur le stress qu’ils ont subi. »
Ces tristes événements ont entraîné de nouvelles collaborations entre l’Université et ses partenaires communautaires. L’hôpital de la région et la section de Guelph de l’Association canadienne pour la santé mentale ont collaboré avec l’Université à des initiatives de promotion de la santé et de prévention des crises.
Cependant, il semble que la population souhaite souvent trouver des solutions immédiates. « Les gens font tout de suite un lien avec les traitements. Ils demandent combien de thérapeutes nous avons et veulent savoir si la situation aurait pu être partiellement évitée en offrant davantage de services de counseling », explique Mme Burnett. Pendant une crise, c’est ce que les gens veulent savoir.
« Mais ce n’est qu’une partie du problème, poursuit-elle. Nous devrions plutôt consacrer des ressources aux avantages à long terme de la prévention et de la promotion de la santé, en tenant compte des enjeux systémiques. » Elle précise que des soins de santé mentale efficaces se composent d’un large éventail de mesures de soutien (comme un milieu solidaire disposé à tenir des conversations franches, ou des outils et des compétences pour accroître la résilience des gens et les aider à gérer leur stress) qui vont au-delà des mesures qui sont les plus facilement quantifiables.
À moins d’une heure de voiture de Guelph, à l’Université de Waterloo, deux autres étudiants se sont suicidés en l’espace de trois mois. Le 12 janvier, une jeune femme de 18 ans a mis fin à ses jours au Beck Hall de la UW Place, une résidence pour étudiants. Le 20 mars, Chase Christopher Graham, âgé de 19 ans, s’est suicidé, lui aussi à la UW Place. Des membres de la famille de ce dernier ont été cités dans les médias locaux au sujet de la mort de l’étudiant — l’Université n’avait pas diffusé son nom.
Les étudiants ont appris la nouvelle de ce deuxième décès au cours de la journée. Lorsqu’elle l’a su, Nicole St. Clair, étudiante de deuxième année en science politique, affirme avoir été contrariée par le fait que les problèmes de santé mentale sont souvent « dissimulés, ignorés ou stigmatisés ». Ce soir-là, elle a publié une pétition en ligne pour demander à l’Université de changer sa démarche en matière de santé mentale. Elle a depuis recueilli 15 000 signatures.
Mme St. Clair ne s’attendait pas à une réaction aussi impressionnante. Une semaine plus tard, elle et d’autres étudiants ont rencontré l’administration de l’Université pour discuter de leurs préoccupations.
Environ au même moment, Feridun Hamdullahpur, recteur de l’Université de Waterloo, a émis plusieurs déclarations publiques appuyant la cause de la santé mentale des étudiants sur les campus. Après avoir recueilli les commentaires des professeurs, des employés, des étudiants et des membres du milieu universitaire, il a annoncé la création du Comité consultatif du recteur sur la santé mentale des étudiants.
Le Comité a pour mandat de déterminer ce que l’Université peut faire de plus pour aider les personnes qui pourraient éprouver des difficultés, a indiqué M. Hamdullahpur dans une déclaration écrite à l’intention d’Affaires universitaires. Le milieu universitaire aura l’occasion de transmettre des commentaires au Comité avant la publication d’un rapport cet automne.
« Si les récentes tragédies dans les universités et ailleurs nous ont enseigné quelque chose, c’est que nous devons avoir des discussions à ce sujet dès le départ et souvent par la suite. Il faut entamer la discussion dès l’arrivée de l’étudiant et la poursuivre dans une certaine mesure pendant le reste de son parcours, mentionne M. Hamdullahpur. Mon bureau a reçu d’innombrables offres de conseils et de soutien, et il est largement admis qu’il s’agit d’un sujet important qui doit être abordé non seulement sur les campus, mais aussi dans la société en général. »
M. Hamdullapur mentionne qu’il a choisi de réagir publiquement au décès de M. Graham en mars, car « après cette récente tragédie, il était évident que les membres du milieu voulaient discuter des problèmes de santé mentale, y compris du suicide ». La famille de M. Graham a fait des déclarations distinctes à l’intention des étudiants et des membres de l’administration de l’Université, qui ont été lues en son nom lors d’une vigile organisée sur le campus pour rendre hommage aux deux étudiants.
Le suicide chez les étudiants est probablement encore plus répandu que les événements récents ne le laissent présager. Au printemps 2016, 41 établissements postsecondaires canadiens ont participé à l’évaluation National College Health Assessment de l’American College Health Association, dans le cadre de laquelle 43 780 étudiants sur les campus ont répondu à un sondage. Parmi les conclusions, près de 45 pour cent des participants ont affirmé s’être sentis « si déprimés qu’ils avaient du mal à fonctionner » au cours des 12 derniers mois. De plus, 2,1 pour cent des étudiants—soit 905 participants—ont déclaré avoir fait une tentative de suicide au cours des 12 derniers mois.
De manière plus générale, selon Statistique Canada, le suicide est la deuxième cause de décès, après les accidents, chez les jeunes de 24 ans ou moins. Le taux de suicide est plus de trois fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes. « Les femmes font des tentatives et les hommes parviennent à leurs fins », affirme Heather Stuart, titulaire de la Chaire de recherche Bell sur la santé mentale et la lutte contre la stigmatisation au département des sciences de la santé publique de l’Université Queen’s.
L’Université Queen’s a connu son lot de tragédies lorsque six étudiants ont perdu la vie, dont au moins trois en raison d’un suicide, au cours d’une période de 14 mois entre 2010 et 2011.
Il est primordial que des leaders étudiants inspirants, surtout de jeunes hommes, organisent des activités et des conférences sur la stigmatisation associée à la santé mentale, insiste Mme Stuart. C’est le cas à l’Université Queen’s dans le cadre du projet Caring Campus, une initiative financée par la Fondation Movember visant à lutter contre les problèmes de santé mentale et la consommation de drogues chez les étudiants de sexe masculin de première année. Ne se limitant plus à l’Université Queen’s, la portée du projet a été élargie et englobe maintenant l’Université Dalhousie et l’Université de Calgary.
Mme Stuart collabore actuellement avec un large éventail de groupes communautaires à l’élaboration de meilleures pratiques relatives aux programmes de santé mentale. Par exemple, « les professionnels de la santé mentale conviennent que nous ne devrions pas préciser la manière dont la personne s’est suicidée, déclare-t-elle. Nous ne voulons pas non plus présenter la personne comme un héros. » C’est toutefois souvent ce que font, même involontairement, les conférenciers invités à parler de suicide dans les écoles secondaires, ajoute-t-elle.
Les gens qui communiquent avec les écoles pour parler de suicide sont souvent des parents ou des membres de la famille d’un jeune qui a mis fin à ses jours. Le fait de raconter son histoire et de montrer des photos peut être un moyen pour eux de vivre leur deuil, mais pour des membres vulnérables de l’auditoire, s’identifier à la personne décédée ou ressentir pour elle une profonde empathie pourrait les inciter au suicide.
Elle conseille plutôt aux conférenciers de mettre fortement l’accent sur les mesures à prendre si l’on ne se sent pas bien, sur les divers symptômes et sur les choses à faire pour remédier à la situation. « Une compréhension basée sur des faits concrets est la clé, affirme-t-elle. Les gens peuvent avoir beaucoup de connaissances, sans jamais savoir comment agir. »
Au lendemain d’un suicide sur un campus, une équipe de professionnels en santé mentale devrait être présente aux côtés des étudiants, selon Mme Stuart. « Une équipe sera dotée d’un plan précis, qui s’apparente presque à un plan d’urgence en cas de catastrophe », mentionne-t-elle. De telles équipes sont déployées dans les écoles secondaires lors du décès d’un élève, et « cette pratique exemplaire devrait s’appliquer dans les universités aussi ».
Elle ajoute que trop souvent, nous réagissons à une tragédie plutôt que de tenter de la prévenir par une planification efficace. Les universités pourraient s’inspirer de certains milieux de travail, où les superviseurs sont formés à repérer et à gérer les problèmes de santé mentale de leurs employés.
« Je crois que les professeurs et les assistants à l’enseignement doivent faire quelque chose de semblable, affirme Mme Stuart. Ils doivent acquérir les compétences nécessaires pour savoir quoi faire [en cas de problème de santé mentale], et comment orienter la personne vers un intervenant ou discuter avec elle. Selon moi, la plupart des professeurs diraient qu’ils ne savent pas comment s’y prendre. Nous n’avons pas été formés. Nous sommes pourtant les mieux placés pour déceler le problème. »
Désormais, Mme Stuart aimerait une réaction concertée de la part des universités en réaction aux suicides d’étudiants. « Il faut mieux qu’une solution fragmentée à chaque incident ».
Les étudiants de l’Université Queen’s sont du même avis. Les membres du Comité de promotion de la santé mentale de l’établissement, dirigé par des étudiants, effectuent des activités de sensibilisation auprès de leurs pairs sur le campus depuis 1996. Des groupes de promotion d’intérêts semblables existent dans d’autres universités, mais il n’y a aucun effort concerté de partage de connaissances ou de ressources entre les campus. Les présidentes sortantes du Comité aimeraient que des progrès soient réalisés à cet égard. Après tout, « nous savons que tous sont exposés à du stress et à des pressions semblables », affirme Madeline Gillis, qui a terminé son mandat de coprésidente du Comité de promotion de la santé mentale à la fin de l’année scolaire 2016-2017.
« C’est vrai que nous nous limitons à l’Université Queen’s », ajoute Hannah Billinger, coprésidente sortante. Elle et Mme Gillis aimeraient voir une amélioration des communications entre les établissements « pour échanger sur la situation actuelle, le bon comme le mauvais ». Mme Gillis souligne que la mise en place d’une semaine de lecture automnale est un exemple de changement structurel susceptible d’atténuer les pressions sociales et scolaires qui perturbent la santé mentale des étudiants.
Pour réaliser tout ce travail, il faut du coeur et du courage, surtout parce que la maladie mentale demeure une source de stigmatisation et que ceux qui en souffrent peuvent se sentir isolés et effrayés. Mais pour Mmes Billinger et Gillis, le courage réside aussi dans la vulnérabilité.
« Je crois qu’une personne vulnérable est bien placée pour pouvoir en aider d’autres. Il existe une façon d’être vulnérable avec force », mentionne Mme Billinger, qui affirme que le fait de partager sa propre expérience d’un trouble d’anxiété généralisée et d’un trouble dépressif majeur a été un aspect essentiel de son rétablissement.
« Nous percevons le courage comme un acte de bravoure ou d’altruisme, ou comme l’absence de peur, affirme Mme Gillis. Mais il prend aussi d’autres formes comme la capacité d’accepter sa situation ainsi que d’être disposé à la montrer aux autres et à en parler. »
Si vous soupçonnez quelqu’un d’avoir des pensées suicidaires ou êtes vous-même en détresse, veuillez consulter le site Web de l’Association canadienne pour la santé mentale, qui vous redirigera vers les lignes d’écoute téléphonique et les ressources de votre province; le site Web YourLifeCounts.org qui propose un service d’aide en ligne et une liste de lignes d’écoute par région; ou le centre de santé et de bien-être de votre campus. Les étudiants de niveau postsecondaire en Ontario peuvent appeler Allo J’écoute en composant le 1 866 925-5454 ou le 211.
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