Une conception de cours qui passe aussi par les étudiant.e.s

Une approche invitant professeur.e.s et étudiant.e.s à collaborer vise à améliorer l’expérience universitaire.

08 mars 2023
The word curriculum with several hands holding a variety of objects.

Même si elle n’en est qu’à sa première année à l’Université Bishop’s, Sonoma Brawley a déjà contribué à améliorer le format de cinq cours offerts par son établissement.

Elle est consultante dans le cadre du programme de consultant.e.s en apprentissage et en technologie en ligne (CATL) de l’Université Bishop’s, qui invite les membres du corps professoral et la population étudiante à collaborer pour concevoir ou repenser des cours. « Nous travaillons avec les professeur.e.s pour évaluer et comprendre leurs besoins, et ensuite les aider », explique l’étudiante de premier cycle en musique. Après avoir participé à un atelier d’été, Mme Brawley a été invitée à se joindre au programme par l’une des personnes l’ayant cofondé. « J’ai tout de suite eu envie de voir comment les professeur.e.s conçoivent leurs cours, de comprendre leurs besoins, et de les aider à repenser le format », ajoute-t-elle.

Comme bon nombre d’établissements au Canada, l’Université Bishop’s a dû revoir ses façons de faire au printemps 2020, alors qu’elle effectuait une transition vers des activités en ligne. Voyant ce défi comme une occasion à saisir, un petit groupe de personnes a décidé de concevoir un programme pour mettre à profit les technologies et transformer à long terme l’apprentissage. Jessica Riddell, professeure d’anglais et titulaire de la Chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat, a cofondé le programme CATL avec Scott Stoddard, gestionnaire des services à la clientèle en technologies de l’information, et Georges-Philippe Gadoury-Sansfaçon, alors étudiant au premier cycle et vice-président des affaires universitaires pour le conseil étudiant de l’Université Bishop’s.

« Nous nous intéressions déjà à la différence entre apprentissage transactionnel et apprentissage transformationnel. Quels sont les principes de conception? Comment les appliquer? Comment faire participer les étudiant.e.s?, illustre Mme Riddell. La COVID-19 n’a fait qu’accélérer le processus. » Elle explique que l’équipe cherchait alors à essayer « quelque chose de différent ».

Le programme CATL s’appuie sur un modèle de partenariat avec les étudiant.e.s, qui incite la population étudiante à participer activement à son apprentissage et à y collaborer sur un pied d’égalité avec le corps professoral. Ce modèle a été appliqué à diverses sphères, dont la recherche, l’enseignement, l’évaluation, l’avancement des connaissances en enseignement et en apprentissage et la conception de cours. Si des professeur.e.s avaient déjà entrepris des démarches similaires auparavant, c’est il y a environ 10 ans que le partenariat avec les étudiant.e.s s’est imposé comme un domaine de recherche, et ce, surtout chez les universitaires du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada et des États-Unis.

Officiellement lancé en juin 2020, le programme CATL a trois grands objectifs : aider les professeur.e.s de l’Université Bishop’s à s’adapter aux nouveaux contextes d’enseignement; fournir aux étudiant.e.s des expériences d’apprentissage intégré au travail et de perfectionnement des compétences; et faire de la salle de classe du XXIe siècle un endroit où les étudiant.e.s jouent un rôle clé dans leur apprentissage et leur expérience universitaire. Le programme embauche des étudiant.e.s comme consultant.e.s. Pour intégrer l’équipe, une personne doit étudier à temps plein à l’établissement et avoir de bonnes compétences sociales et émotionnelles, comme des aptitudes pour la communication, une bonne gestion du temps, de la créativité et de la curiosité. Elle recevra ensuite une formation de cinq à six semaines sur la pédagogie, les technologies, la pratique réflexive et critique ainsi que l’équité, la diversité, l’inclusion et la décolonisation, avant d’être intégrée à un petit groupe de travail qui sera jumelé à un.e. professeur.e mentor.e, où elle pourra s’exercer à mettre ses compétences en pratique, explique Mme Brawley. « [Cette année], nous avons collaboré avec des professeur.e.s qui avaient déjà participé au programme CATL, ce qui nous a donné un aperçu de notre travail. Nous avons ensuite été jumelé.e.s à des professeur.e.s qui avaient besoin de notre point de vue. »

Les étudiant.e.s sont généralement jumelé.e.s à des professeur.e.s inscrit.e.s au programme qui s’intéressent à des domaines similaires. Par exemple, les cours auxquels Mme Brawley a travaillé relevaient tous des sciences humaines. « Nous pouvons contribuer à rendre un plan de cours davantage accessible ou faire des recommandations pour la tenue d’un cours en ligne, comme l’ajout d’une déclaration sur le bien-être pour indiquer aux étudiant.e.s que leur santé mentale est prise en compte et respectée, souligne-t-elle. Nous croyons que la clarté est un acte de gentillesse, donc nous veillons à ce tout soit le plus accessible et le plus transparent possible. » L’enseignant.e décide ensuite des recommandations qui seront appliquées. Règle générale, la charge de travail représente de 10 à 15 heures par semaine et un salaire horaire de 14,50 $ est offert.


Directeur général du Centre pour l’apprentissage actif et provost adjoint de l’enseignement et de l’apprentissage à l’Université d’Elon en Caroline du Nord, Peter Felten contribue depuis plus de 10 ans à la recherche sur le partenariat avec les étudiant.e.s et à son application. Actuellement titulaire émérite d’une chaire Fulbright Canada en avancement des connaissances en enseignement et en apprentissage à l’Université Carleton, M. Felten croit que la clé pour faciliter ce type de partenariat est « de reconnaître que chaque personne peut enrichir la conversation d’une expertise et de perspectives qui lui sont propres. Nous ne demandons pas à un.e étudiant.e de premier cycle : sur quoi devrait porter la chimie organique ou quel devrait être le contenu d’un cours de chimie organique? Ce n’est pas son champ d’expertise. Cette personne en sait plutôt beaucoup plus que nous sur la réalité étudiante et peut donc apporter une tout autre perspective au programme d’études. »

Selon M. Felten, les étudiant.e.s sont particulièrement bien placé.e.s pour remédier à ce qu’il appelle nos « angles morts de spécialistes ». « On connaît si bien notre discipline qu’on oublie pourquoi certaines choses sont difficiles, ce qui n’est pas le cas des étudiant.e.s qui s’approprient la matière au fil du cours. » Il ajoute que les étudiant.e.s peuvent également nous faire part de leur précieux point de vue à titre de destinataires des programmes d’études intégrés – ou non intégrés dans certains cas. « Je pourrais être un professeur créatif qui enseigne de manière novatrice tout en ignorant que quatre de mes collègues font la même chose, ajoute M. Felten. Dans l’un des premiers groupes de conception de cours auxquels j’ai participé [à Elon], on m’a dit : “Oh non, pas un autre travail de rédaction d’article!” »

Si le modèle de partenariat avec les étudiant.e.s a gagné en popularité dans plusieurs universités canadiennes ces dernières années, les programmes varient d’un établissement à l’autre. L’Université Carleton, par exemple, a lancé son programme en janvier 2020. Le personnel enseignant et de soutien à l’enseignement, de même que les bibliothécaires peuvent demander du financement pour un projet de conception de cours auquel contribue un.e partenaire étudiant.e. « Dans les faits, plus de 500 cours ont profité du programme de partenariat à l’Université Carleton; cette résonance dépasse toutes nos attentes », raconte David Hornsby, vice-recteur adjoint à l’enseignement et à l’apprentissage. La clé de ce succès, selon lui : avoir déterminé les grandes lignes du programme, sans en fixer tous les détails. « Nous avons établi clairement ce qu’est le programme et ce qu’il n’est pas, et nous en avons laissé les rênes aux étudiant.e.s et professeur.e.s. »

« On connaît si bien notre discipline qu’on oublie pourquoi certaines choses sont difficiles, ce qui n’est pas le cas des étudiant.e.s qui s’approprient la matière au fil du cours. »

L’Université de la Colombie-Britannique a lancé un programme de ce type en janvier 2022. Il bénéficie actuellement d’un financement de deux ans qui permettra d’appuyer 40 projets. « Ces projets durent un maximum d’un an. Les étudiant.e.s doivent prendre part à tous les aspects du processus de refonte de cours, qu’il s’agisse de trouver des idées d’améliorations, de contribuer à les mettre en œuvre, de déployer le cours refondu ou de recueillir des données qui permettront d’évaluer son incidence sur les apprenant.e.s. La dernière étape est, idéalement, la prestation », explique Roselynn Verwood, stratège pour le programme de l’Université de la Colombie-Britannique.

En lançant son programme de partenariat étudiant en 2013, l’Université McMaster a été l’un des premiers établissements au Canada à élaborer un tel programme. D’abord disponible pour les cours d’art et de science, il a ensuite été appliqué à d’autres disciplines. Relevant maintenant de l’Institut du leadership, de l’innovation et de l’excellence Paul R. MacPherson de l’établissement, il se fonde sur un modèle d’octroi de bourses à la suite d’un appel de projets semi-annuel. L’Université publie également The International Journal for Students as Partners, qui s’intéresse aux perspectives, aux pratiques et aux politiques touchant ces partenariats qui visent à améliorer l’apprentissage et l’enseignement.

Kimberly Dej, vice-rectrice principale à l’enseignement et à l’apprentissage de l’Université McMaster, a d’abord connu le programme en tant que professeure. « Ce que je recherchais chez les étudiant.e.s partenaires, c’était des compétences complémentaires aux miennes. C’était un vrai partenariat qui visait à combler mes lacunes, raconte-t-elle. Pour mettre sur pied un projet de visualisation scientifique, je cherchais une personne ancrée dans le domaine des sciences humaines ou des arts. Pour intégrer une technologie au programme, je comptais sur une personne qui utilisait déjà la technologie visée ou qui connaissait bien diverses technologies. »

Elle a beaucoup appris aux côtés de ses partenaires, ce qui l’a surprise au début. « En tant que professeur.e, on passe beaucoup de temps devant une classe, à enseigner. On oublie combien il est agréable d’apprendre et d’acquérir des compétences », explique-t-elle.

Mme Brawley a vu l’incidence des partenariats étudiants non seulement comme consultante, mais aussi comme étudiante dans un cours ayant profité du programme. « Le résultat est très clair et très bien organisé. Notre salle de classe virtuelle est accessible et bien conçue, et une grande partie du texte a été rédigé pour la communauté étudiante. [Le programme CATL] donne une autre perspective aux professeur.e.s, [et il les encourage] à se soucier de ce dont les étudiant.e.s ont besoin. »

La première phase du programme CATL à l’Université Bishop’s a permis l’embauche et la formation de 23 étudiant.e.s, qui ont aidé 77 professeur.e.s à modifier 132 cours. L’année suivante, grâce à une enveloppe de la Table ronde des affaires + de l’enseignement supérieur (TRAES), le programme a été étendu à l’ensemble de la Maple League of Universities, qui regroupe l’Université Acadia, l’Université Bishop’s, l’Université Mount Allison et l’Université St. Francis Xavier. Malgré quelques différences dans leur approche, les établissements ont tous formé une équipe de direction composée de trois personnes – professeur.e, étudiant.e et spécialiste des technologies de l’information ou de l’éducation –, à l’image du trio fondateur de l’Université Bishop’s. En 2022, le programme CATL a reçu un Prix d’innovation en pédagogie D2L. Ce prix est remis chaque année à un maximum de cinq équipes collaboratives pour souligner l’innovation en promotion de l’enseignement et de l’apprentissage postsecondaires axés sur l’expérience étudiante.

Il ne faudrait toutefois pas déduire que l’initiative a été accueillie à bras ouverts par tout le monde. Étant donné la réussite du programme à l’Université Bishop’s, Mme Riddell a cru pouvoir rallier facilement toute la Maple League. « Je ne nommerai pas l’établissement, mais après le déploiement du programme à l’échelle des quatre universités, un.e professeur.e m’a envoyé par courriel un mémoire de huit pages avec notes complémentaires pour m’expliquer que les étudiant.e.s n’ont pas encore acquis d’expertise et n’ont pas leur mot à dire pour concevoir des cours, se rappelle-t-elle. Mais quand nous avons expliqué que sans être des spécialistes du contenu et d’une discipline, les étudiant.e.s pouvaient transmettre leur savoir et leur expertise en tant qu’apprenant.e.s, nous avons convaincu les personnes qui n’étaient pas enthousiastes d’entrée de jeu. »

De son côté, Mme Dej a observé que c’était plutôt les étudiant.e.s qui n’étaient pas toujours prêt.e.s pour ce changement de paradigme. « Certaines personnes s’attendaient à une relation de mentorat. Il leur a fallu du temps pour prendre conscience de leurs compétences et pour acquérir la confiance nécessaire pour les mettre à profit et contribuer au programme en tant que véritables partenaires. Les deux parties doivent y mettre du leur pour faire de cette relation un partenariat et non une relation de mentorat universitaire traditionnelle. »

Et même si les participant.e.s finissent par s’adapter à cette nouvelle relation, le financement peut nuire à la planification à long terme. Toni Roberts, directeur du Centre d’enseignement Purdy Crawford de l’Université Mount Allison, a pris part au déploiement du programme à l’échelle de la Maple League. Il a également conçu un cours crédité sur l’enseignement, la pédagogie et la technologie, qui fait maintenant partie du programme CATL. « Nous souhaitons que le programme soit plus viable, lance M. Roberts. Les établissements qui envisagent de mettre sur pied un tel programme doivent absolument penser à en assurer la viabilité. Ils doivent prévoir les ressources nécessaires. »

Les modalités de financement des partenariats étudiants varient d’un établissement à l’autre. À l’Université Carleton, le programme est entièrement financé par les services d’enseignement et d’apprentissage. À l’Université de la Colombie-Britannique, un financement de deux ans a été accordé au programme par l’intermédiaire d’une initiative de soutien étudiant. À McMaster, le programme relève de l’Institut du leadership, de l’innovation et de l’excellence Paul R. MacPherson. En décembre, la TRAES a renouvelé le financement accordé à la Maple League pour qu’elle poursuive le déploiement et l’élargissement du programme CATL en 2022-2023.

Mme Riddell espère que l’esprit de partenariat dont témoigne le programme CATL et la collaboration interétablissements qu’il favorise seront plus largement adoptés. « Je suis fière que nous ayons trouvé un concept créatif et que nous l’ayons déployé dans quatre universités, lance-t-elle. Ce programme a eu l’audace d’imaginer un renversement des rôles, un mentorat inversé, dans le cadre duquel les étudiant.e.s mènent la conversation. Mais croyez-moi : les professeur.e.s font preuve d’une réelle volonté de transformation en s’investissant dans ce partenariat. »

« Je n’ai vu que des preuves de respect mutuel entre les professeur.e.s et les étudiant.e.s, ajoute Mme Brawley. Le programme a ceci de remarquable : il vise à repenser le système d’éducation postsecondaire en intégrant la communauté étudiante à la conversation. »

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