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Benoît Leblanc : un scientifique qui a bonne mine

Le chargé de cours à l’Université de Sherbrooke marie pédagogie universitaire et dessins humoristiques.
par DAISY LE CORRE
01 AOÛT 19

Benoît Leblanc : un scientifique qui a bonne mine

Le chargé de cours à l’Université de Sherbrooke marie pédagogie universitaire et dessins humoristiques.

par DAISY LE CORRE | 01 AOÛT 19

Si la caricature a mauvaise presse, les caricaturistes n’ont pourtant pas prévu de ranger leurs crayons. À commencer par ceux qui l’utilisent à des fins pédagogiques, sans pour autant tirer un trait sur la satire — quitte à s’attirer les foudres de leurs pairs. C’est le cas de Benoît Leblanc : chargé de cours au Département de biologie à l’Université de Sherbrooke (U de S) où il s’adonne à son autre passion après l’enseignement, la caricature. En avril dernier, l’U de S lui a même consacré une exposition pour souligner le mois de la pédagogie universitaire et mettre son art en valeur. Un coup de projecteur bien mérité.

D’aussi loin que remontent ses souvenirs, Benoît Leblanc estime qu’il a toujours été caricaturiste. « Je fais de la bande dessinée depuis que je suis tout petit et maintenant j’en publie! Au cours de ma formation académique et en travaillant dans les laboratoires, je me suis naturellement mis à faire des dessins pour illustrer les aspects amusants de la vie quotidienne en laboratoire », raconte le scientifique qui n’a jamais hésité à publier ses caricatures sur les portes des labos, dans un relatif anonymat. Du moins jusqu’à ce que son coup de craie le trahisse face à ses étudiants ébahis.

Car c’est surtout en classe que le professeur-dessinateur utilise la caricature pour vulgariser et transmettre ses connaissances. « Le fait de pouvoir dessiner rend la classe beaucoup plus vivante », constate celui qui trouve le dessin très pratique et facilement ajustable lorsqu’il est fait en direct au tableau. « J’espère que j’ai déjà aidé des étudiants à décrypter des concepts! »

Son blog scientifique, « Des gens en blouse blanche », créé pour regrouper et publier ses caricatures en un même endroit, lui a aussi donné une certaine notoriété. « Quand mes collègues avaient besoin d’un dessin, ils venaient me voir! », a confié le passionné qui ne compte plus le nombre d’illustrations scientifiques qu’il a pu faire au cours des dernières décennies. « J’ai eu la chance d’illustrer deux livres également, l’un en hématologie et l’autre consacré à des techniques de biologie moléculaire », lance le vulgarisateur scientifique pour qui l’intérêt pédagogique prime sur tout le reste.

En témoignent certains de ses dessins humoristiques sur l’évolution qui contiennent du « matériel supplémentaire ». « Pour ces dessins, je suis assez sérieux et je prends le temps de discourir du sujet du dessin. Par exemple, le  4 avril 2014,  quand j’ai appris qu’il y avait un seul marsupial chez lequel le mâle avait, comme la femelle, une poche, j’ai pris le temps de revenir sur l’origine des marsupiaux après les avoir caricaturés », raconte le chargé de cours. « Cela me permet d’expliquer des concepts sérieux dans un contexte ludique. Je suis sûr que mes élèves vont se souvenir longtemps de cet opossum! Tout comme les étudiants qui ont fréquenté mes cours dédiés aux calmars géants ou aux ornithorynques, car dès que je peux parler d’eux et les dessiner, je le fais! »

Bande dessinée faite par Benoît Leblanc.

Liberté d’expression

Interrogé sur la place de la caricature dans le monde à l’heure actuelle (NDLR : le New York Times a récemment décidé de bannir les caricatures politiques de ses éditions internationales et un caricaturiste canadien vient de se faire congédier probablement suite à une caricature de Donald Trump), M. Leblanc a d’abord rappelé qu’il avait été « bouleversé comme tout le monde » par la tuerie survenue à Charlie Hebdo en 2015.

« Mais ce qui me fait encore plus de peine, je crois, c’est de voir à quel point on n’a pas appris de cette tragédie, à quel point on est encore en train d’étrangler la liberté d’expression au nom de la bien-pensance, pour éviter que quelqu’un quelque part un jour puisse se sentir vexé. On est en train d’empêcher l’expression des libres idées et, à mon sens, c’est extrêmement liberticide », a confié le caricaturiste qui estime qu’on devrait pourtant être prêt à tout voir et tout entendre. « Surtout des opinions qui nous déplaisent. On n’est pas obligés d’être d’accord, bien au contraire. »

S’il lui est déjà arrivé de devoir modifier certaines caricatures, il fait toujours de son mieux pour ne pas céder aux sirènes de la censure. « Je ne change presque jamais mes dessins. Mais, c’est vrai que lorsque je fournis des caricatures à certains journaux universitaires, je marche sur des œufs, car on me rappelle souvent qu’il ne faut froisser personne », lance celui qui refuse de modifier ses dessins mais qui accepte d’en faire d’autres à la place. « Il n’y a rien de plus pénible qu’un dessin fait par comité! Tout finit par être édulcoré au point que plus rien n’ait de saveur. Les comités tuent la créativité », lance le fan d’Achille Talon.

Il prévient ceux qui veulent se lancer dans la caricature : « Certaines personnes, très rares, vont pouvoir faire carrière dans le dessin et la caricature. Mais elles vont sûrement se retrouver dans une situation où cet art, qu’ils pratiquent et qui leur apporte tant de bonheur, devient une corvée… Il faut faire en sorte que le dessin reste toujours un plaisir. » Enfin, à l’égard des dessinateurs et autres créateurs de contenus jamais satisfaits de leur travail, il n’a qu’un conseil à donner. « Commencez la prochaine page, et ça ira mieux! La page la plus importante que vous allez faire, ce sera toujours la prochaine. »

Une autre dande dessinée faite par Benoît Leblanc.

Un concept qui ne laisse pas indifférent

« M. Leblanc utilise la caricature pour la détente, c’est déjà une bonne chose! », lance Olivier Robin, professionnel de recherche à l’U de S, qui considère la bande dessinée comme un outil de vulgarisation scientifique « absolument fabuleux ». « C’est même l’un des meilleurs médias. Même si pour beaucoup de personnes, la bande dessinée est encore réservée aux enfants! », d’après lui.

« Je pense que M. Leblanc a raison, je suis entièrement d’accord avec lui : une bonne explication au tableau avec un dessin pour schématiser les choses, c’est très important! Cela aide le cerveau et multiplie les angles de points de vue », lance l’universitaire avant de faire référence au courant de la pensée visuelle très en vogue en ce moment. « On se rend compte que des lignes de textes à n’en plus finir, c’est bien joli, mais que le cerveau humain a besoin d’autre chose. Il a besoin de conceptualiser et d’imager », explique M. Robin selon qui « il faut être capable de faire de la science et des équations mais aussi parfois de les dessiner pour expliquer les concepts au grand public ».

Parmi ses caricatures préférées de M. Leblanc, il retient surtout celle d’Aristote sur l’évaluation de l’enseignement. « C’est drôle, un peu cynique et ça pose certaines questions! C’est simple mais efficace », confie le professionnel de recherche qui admire le nombre de catégories présentes sur le blog de son confrère. « Il parle autant de philosophie que de microbiologie ou même de politique. J’aime aussi beaucoup ses blagues de laboratoires! », rapporte celui qui voit en Benoît Leblanc un magnifique exemple et une belle preuve qu’il est possible de concilier métier et passion. « C’est possible de faire cohabiter les deux! Si tu veux faire de l’enseignement, il faut avoir une certaine passion et il l’a. »

Réaliste, M. Robin estime que l’UdeS n’est pas nécessairement mieux placée qu’une autre université pour utiliser le dessin en tant qu’outil pédagogique. « Mais la vraie question à se poser c’est : est-ce qu’on veut s’autoriser à aller dans des chemins transdisciplinaires ou transverses pour enseigner autrement? […] Je crois qu’en tant qu’enseignant, on a aussi droit à la « ludicité ». »

Enfin, interrogé sur la caricature, M. Robin estime que tout être humain y a accès. « Il s’agit juste de savoir se regarder de l’extérieur et d’accepter qu’on soit tous des caricatures. Si on ne s’autorise pas cet angle de vue, c’est extrêmement dangereux […] On devrait pouvoir accepter que quelqu’un dise des choses qui ne nous plaisent pas : cela s’appelle de la tolérance. »

Rédigé par
Daisy Le Corre
Daisy Le Corre est journaliste et auteure, elle répand ses contenus en France et au Canada. Ses domaines de prédilection : l'éducation, les sexualités et le lifestyle.
COMMENTAIRES
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  1. Sonia Morin / 2 août 2019 à 08:09

    Benoît fait également des caricatures pour notre bulletin au Service de Soutien à la formation : le Perspectives SSF qu’il signe Leblanc-bec : https://www.usherbrooke.ca/ssf/veille/leblanc-bec/. C’est toujours un plaisir de découvrir sa nouvelle caricature.

  2. Jean-Sébastien Dubé / 7 août 2019 à 14:52

    Bonjour. Très bel article. Ça me semble juste un peu dommage qu’il n’ait pas d’équivalent anglophone, notamment considérant que le blogue « Des gens en blouses blanches » a un pendant anglophone: « http://peopleinwhitecoats.blogspot.com/

    Par exemple, la caricature sur Artistote existe aussi en anglais: http://peopleinwhitecoats.blogspot.com/2019/04/rate-your-teacher.html

    Enfin, il me semble que l’intérêt d’intégrer les images à l’enseignement et les réflexions de M. Leblanc sur la liberté d’expression peuvent toucher tous les universitaires canadiens.

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