Étudier et enseigner à distance : trois leçons apprises utiles au temps de la crise
Le sentiment d’urgence qui règne en ce moment ne doit pas nous tromper : il n’est pas possible d’enseigner et d’étudier à distance sans prendre le temps qu’il faut y consacrer.
Alors que le Québec se retrouve en mode « pause », les universités implantent, dans l’urgence, divers scénarios d’enseignement à distance ou plutôt, en « non présentiel ». Pourtant, une pétition demandant la suspension de la session en cours et reconnaissance de crédits sans note finale a recueilli, en trois jours, plus de 100 000 signatures. S’adressant au ministre Jean-François Roberge, l’étudiante Élisabeth Leblanc-Michaud, à l’origine de cette pétition, souligne la diversité des situations critiques vécues en ce moment même et constate que le contexte actuel est peu propice à l’apprentissage.
Pour sa part, le professeur Benoît Melançon de l’Université de Montréal, dans une lettre opinion publiée dans La Presse, fait le commentaire suivant au sujet de l’enseignement à distance instauré en urgence dans les universités québécoises : « les étudiants sont devenus cobayes, eux à qui on ne prend même pas la peine de demander s’ils ont les moyens concrets d’une formation à distance ».
De quels moyens concrets s’agit-il et pourquoi le contexte n’est-il pas « propice à
l’apprentissage »? Les étudiants auraient-ils perdu leurs moyens en oubliant le b.a.ba de leur métier d’étudiant?
Évidemment, les premiers moyens auxquels on pense sont technologiques : l’accès à l’ordinateur et à l’Internet, sans parler de l’accès à la large bande passante, qui fait encore trop souvent défaut dans les régions et dans les foyers aux revenus modestes. Mais au-delà de l’accès aux technologies permettant de communiquer et de diffuser en ligne des contenus d’enseignement, d’autres moyens ou ressources, plus intangibles, sont tout autant indispensables pour les étudiants dans un contexte d’enseignement à distance.
Depuis un demi-siècle maintenant, les recherches menées sur la formation à distance au Canada et ailleurs dans le monde, nous apprennent que la persévérance et la réussite des étudiantes et étudiants à distance dépend d’une ressource essentielle : le temps. Voici donc trois leçons apprises sur le temps, dont les directions d’universités et les enseignant.e.s devraient tenir compte pour donner aux étudiants et étudiantes des moyens de réussir et de persévérer dans leurs études à distance.
Leçon no 1 : il faut du temps pour étudier à distance
Cette leçon peut sembler évidente, mais elle prend tout son sens pour les étudiant.e.s à distance. En effet, la flexibilité offerte par les études à distance constitue, pour de nombreuses personnes, la meilleure ou la seule façon de continuer à se former. Cependant, pour mener à bien leurs études, elles doivent mettre en place une excellente gestion de temps. Sans une discipline personnelle et familiale de fer, les étudiant.e.s à distance sont à haut risque d’abandonner, de ralentir ou de remettre à plus tard leurs projets d’études. Depuis des années les chercheur.e.s retrouvent le même constat : le manque de temps et les difficultés à gérer le temps constituent la première cause évoquée par les étudiant.e.s pour justifier l’abandon ou la remise à plus tard de leurs études, tout particulièrement chez les femmes.
Or, ce sont les femmes qui constituent aujourd’hui la majorité de la population étudiante dans toutes les universités québécoises, à l’exception notable de l’École de technologie supérieure et de Polytechnique Montréal. De plus, les universités québécoises se démarquent des autres universités canadiennes par une proportion plus élevée d’étudiants à temps partiel, parmi lesquels les femmes sont largement majoritaires. C’est surtout le cas de programmes ne menant pas à un grade, mis en place précisément dans le but de favoriser l’accès aux études et la formation continue des adultes déjà engagés dans la vie professionnelle et familiale. Enfin, la parentalité est aussi plus présente chez les étudiants aux études postsecondaires du Québec que chez ceux des autres provinces canadiennes. Par exemple, dans le réseau de l’Université du Québec, les parents-étudiant.e.s étaient 20 pour cent au premier cycle et 29 pour cent aux cycles supérieurs.
Ces étudiants (appelés autrefois « non traditionnels » sont devenus « traditionnels » dans nos universités) et les femmes davantage que les hommes, vivaient déjà la fatigue, l’anxiété et le stress occasionnés par les difficultés de la conciliation travail-études ou travail-études-famille. Il est donc facile de prévoir que ces difficultés se manifestent de façon plus importante pour les étudiants à distance et qu’elles peuvent s’accentuer ou rendre carrément impossible l’apprentissage à distance au temps de la crise sanitaire.
Leçon no 2 : il faut du temps pour apprendre à apprendre à distance
Les recherches sur l’apprentissage en ligne ont démontré que les étudiants et les étudiantes doivent « apprendre à apprendre » à distance. Étudier à distance demande de l’autonomie intellectuelle et des compétences méthodologiques acquises. Si ce n’est pas le cas, les étudiants ont besoin du temps pour « s’autonomiser » et pour acquérir ces compétences méthodologiques, dont certaines sont spécifiques à une discipline, d’autres plus « transversales ». Pour cela, ils ont besoin de soutien des enseignants et des autres personnes de leur entourage académique ou familial. Les difficultés d’étudier à distance sont par conséquent plus grandes pour les étudiant.e.s de la première génération et pour celles et ceux qui opèrent un retour aux études. Il ne faut pas oublier non plus que la proportion d’étudiant.e.s ayant des besoins particuliers, notamment en situation de handicap, a augmenté ces dernières années dans toutes les universités. Par exemple, dans le réseau de l’Université du Québec, leur proportion a doublé entre 2011 et 2016, passant de cinq à dix pour cent.
Pour favoriser l’apprentissage et prévenir le décrochage des ces populations désavantagées, des actions d’enseignement et des mesures de soutien adaptées doivent être mises en place. Et comme il n’est pas possible de prévoir à l’avance celles qui seront les plus utiles, les enseignantes et les enseignants ont besoin du temps pour analyser les comportements et les travaux de leurs étudiants et étudiantes dans les cours en ligne, mais aussi pour coordonner leurs actions et celles d’autres professionnels susceptibles d’apporter une aide méthodologique, psychologique ou administrative.
Leçon no 3 : il faut du temps pour enseigner et interagir
L’interaction entre l’enseignant.e et les étudiants est un facteur de première importance de la réussite et de la persévérance dans les cours à distance, comme l’indiquent des méta-analyses récentes.
Les outils technologiques qui sont déjà en place dans les universités facilitent grandement la mise en ligne des exposés, des exercices, des vidéos éducatives, etc. Ces technologies permettent donc de maintenir une certaine continuité de l’enseignement lors de la transposition de cours en ligne. Toutefois, pour que cette continuité soit véritablement pédagogique, il faut s’assurer que les enseignants ont le temps, d’une part, de préparer et d’adapter les activités d’apprentissage, et, d’autre part, qu’il leur reste du temps pour interagir avec leurs étudiants, que ce soit en temps réel ou en différé. Cette interaction, réalisée à l’aide de divers outils de communication, individualisée ou de groupe, permet à l’enseignant.e d’assurer une « présence à distance » à la fois cognitive et sociale. Or, interagir en ligne nécessite du temps, surtout lorsque la communication s’effectue au moyen de l’écrit, par courriel ou dans les forums de discussion. Il est utile de mentionner à ce sujet que l’excellent taux de diplomation des étudiants à l’Open University britannique (l’une des premières universités à distance dans le monde) a été attribué, en très grande partie, à son système de soutien à l’apprentissage et de suivi personnalisé des étudiants dans les cours, mais aussi dans les programmes.
Ces trois leçons sur l’importance du temps comme ressource dans l’enseignement à distance devraient être prises au sérieux par les décideurs et les enseignants, en cette période de crise sanitaire, mais aussi lorsque cette crise sera derrière nous, car elle le sera un jour.
Il faut du temps pour étudier, du temps pour apprendre à étudier à distance et du temps pour interagir avec l’enseignant.e. Le sentiment d’urgence qui règne en ce moment ne doit pas nous tromper : il n’est pas possible d’enseigner et d’étudier à distance sans prendre le temps qu’il faut y consacrer.
Note : Cet article a aussi été publié sur le site du SPPTU.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Doyen(ne), Faculté de médecine et des sciences de la santéUniversité de Sherbrooke
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1 Commentaires
Cet excellent article correspond vraiment à la courte expérience d’enseignement à distance que j’ai vécue depuis le 13 mars dernier. Il a fallu du temps pour apprendre à utiliser les outils de diffusion virtuelle. Encore du temps, pour concevoir et expliquer le plan de continuité. Puis, de la grande disponibilité pour accompagner les étudiantes et étudiants afin de les motiver, de les écouter (lors de la perte d’une mamie par exemple, lors de l’annulation de leur avion outre-mer empêchant le retour à la maison, puis, lorsque certaines personnes étudiantes ont perdu leur emploi, leur logis, etc.) et adapter notre pédagogie à leurs besoins d’apprentissage particuliers.
Mon expérience a été très enrichissante et positive. La proximité et la grande souplesse nécessaires avec nos personnes étudiantes ont été des clés pour s’assurer de leur succès. Je remercie, l’ouverture d’esprit, la compréhension et les conseils de mes étudiantes et étudiants qui ont participé et guidé la façon dont ma pédagogie a dû être adaptée à leurs divers besoins et soucis existentiels…
Par ailleurs, si nous devons poursuivre en mode virtuel, cet automne, il faut absolument que les institutions universitaires et collégiales reconnaissent ce temps supplémentaire qui doit s’ajouter à la préparation d’un enseignement en ligne de qualité et ce, à la lumière des études probantes que vous avez mentionnées et clairement expliquées ici.
Merci pour ce regard réaliste en trois temps!
Gabrielle Saint-Yves, PhD
Linguistique, Uqac