Recherche sous surveillance : comment franchir la frontière sans compromettre vos données.

Profilage, fouilles d'appareils, risques pour la confidentialité : que doivent savoir les universitaires canadiens avant de se rendre aux États-Unis?

03 juillet 2025
Graphic by: Edward Thomas Swan

Des relations diplomatiques tumultueuses avec nos voisins du Sud et une deuxième présidence Trump marquée par un durcissement en matière d’immigration et de sécurité ont accru les tensions et la surveillance à la frontière étasunienne. Cette situation peut être anxiogène pour les chercheuses et chercheurs canadiens, qui sont de plus en exposés aux fouilles pouvant compromettre la confidentialité de la recherche et la liberté universitaire.

Voici donc quelques lignes directrices émises par les universités canadiennes; veuillez noter qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et que rien ne peut garantir que la traversée de la frontière se fera sans heurts.

Renseignez-vous auprès de votre université afin d’obtenir des informations et des conseils propres à votre établissement, votre faculté ou votre département.

Les chercheuses et chercheurs sont plus exposés. Pourquoi?

En mars dernier, Affaires mondiales Canada a mis à jour ses avertissements aux voyageuses et voyageurs à destination des États-Unis, expliquant qu’il faut s’attendre à une surveillance accrue aux points d’entrée. On peut notamment fouiller les appareils mobiles, et les confisquer en cas de non-coopération. Les personnes qui ne se conforment pas aux exigences d’entrée et de sortie pourraient se voir refuser l’entrée aux États-Unis et risquent « d’être détenu[es] en attendant [leur] expulsion ».

Les chercheuses et chercheurs peuvent être surveillés de plus près que monsieur et madame Tout-le-Monde en raison de la nature de leur travail. On pourrait par exemple croire que celles et ceux qui œuvrent dans des domaines sensibles comme la sécurité nationale, les nouvelles technologies, la santé publique ou la politique détiennent des renseignements d’intérêt stratégique.

Qui est le plus susceptible de se faire intercepter?

Vous risquez de vous faire intercepter si :

  • vous possédez la citoyenneté ou la résidence d’un pays visé par une interdiction d’entrée ou qui, selon les médias, sera probablement frappé d’une telle interdiction, ou y avez récemment voyagé;
  • vous possédez la citoyenneté ou la résidence d’un pays dont les relations diplomatiques avec les États-Unis sont tendues, ou y avez récemment voyagé;
  • vous avez tenu des propos négatifs sur l’administration étasunienne actuelle ou ses politiques, en ligne ou en public;
  • vos travaux de recherche pourraient être perçus comme étant en désaccord avec les orientations politiques de l’administration étasunienne actuelle;
  • vous vous identifiez comme une personne transgenre ou vos documents de voyage indiquent que votre sexe n’est pas celui qui vous a été assigné à la naissance.

Avant votre voyage

Déterminez votre profil de risque.

1. Tâchez de trouver les renseignements qui pourraient être recueillis à votre sujet. Tenez pour acquis que l’on examinera votre présence numérique. N’oubliez pas :

    • Bien souvent, vos travaux de recherche et profils de médias sociaux contiennent des renseignements sur votre travail, vos collaboratrices et collaborateurs, vos points de vue, vos contacts et les membres de votre famille. Limitez votre utilisation des médias sociaux, s’il y a lieu.
    • Les autorités pourraient examiner vos demandes de visa et de voyage précédentes.
    • Vos données biométriques seront probablement recueillies, conservées et transmises à d’autres territoires.
    • Si on vous considère comme une personne d’intérêt, vous pourriez devoir répondre à davantage de questions ou subir une fouille poussée.

      2. Analysez votre projet de recherche d’un point de vue économique et géopolitique : Réfléchissez aux questions suivantes, concernant votre travail de recherche :

      • A-t-il une potentielle valeur commerciale ou brevetable?
      • Pourrait-il avoir une incidence sur la sécurité nationale? Pourrait-il être détourné pour un usage militaire?
      • Est-il soumis à des contrôles d’exportation ou utilise-t-il des marchandises contrôlées?
      • Vos données soulèvent-elles des préoccupations liées à l’éthique ou à la protection de la vie privée? S’agit-il par exemple de renseignements génétiques ou médicaux, de données démographiques ventilées, ou de résultats d’analyses personnelles ou commerciales?
      • Si vos travaux de recherche étaient utilisés à mauvais escient par un tiers non autorisé, pourrai-on soulever des préoccupations d’ordre éthique ou moral? Pourrait-il par exemple être exploité par une force militaire ou un gouvernement étranger à des fins de surveillance ou de répression politique?

      Si vous avez répondu par l’affirmative à l’une de ces questions, vous devez en aviser le bureau des services de recherche de votre établissement et suivre ses directives.

      Préparez et dévoilez vos plans de voyage.

      • Songez à vous déplacer en avion : vous traverserez alors les douanes américaines sur le territoire canadien, alors que vous devrez le faire en sol américain si vous voyagez par voie terrestre.
      • Évitez d’avoir sur vous des articles arborant des slogans ou des symboles qui pourraient augmenter le risque de vous faire interroger à la frontière.
      • Veillez à ce que votre passeport soit valide pendant au moins six mois après la date prévue de votre retour au Canada.
      • Inscrivez-vous à l’Inscription des Canadiens à l’étranger d’Affaires mondiales Canada pour recevoir des mises à jour et des renseignements sur la sécurité de la part du gouvernement.
      • Inscrivez-vous au service d’assistance voyage offert par votre établissement, le cas échéant.
      • Demandez à votre faculté ou département de rédiger une lettre indiquant votre nom, le nom de vos collègues si vous faites partie d’un groupe, vos travaux de recherche en cours ou la raison de votre séjour aux États-Unis (p. ex., une conférence) et les dates de votre voyage.
      • Prévoyez un plan d’urgence au cas où l’entrée serait refusée à une personne de votre groupe, y compris à vous-même.
      • Mémorisez les coordonnées d’une personne-ressource en cas d’urgence.

      Protégez, sauvegardez ou communiquez vos données.

      • Transmettez vos données de recherche à vos collègues au moyen d’une plateforme de partage de fichiers sécurisée et approuvée par votre établissement. Par exemple, certaines universités acceptent que Google Disque soit utilisé à cette fin, mais pas DropBox.
      • Envoyez une clé USB chiffrée à vos collaboratrices et collaborateurs aux États-Unis, et transmettez-leur le mot de passe par téléphone. Si vous envoyez des fichiers par courriel, placez-les en pièce jointe, sécurisez-les et envoyez le mot de passe par un autre moyen.
      • Activez toutes les fonctionnalités de sécurité sur vos appareils et utilisez un gestionnaire de mots de passe.
      • Conservez une copie de sauvegarde de toutes vos données dans un endroit sécuritaire au cas où l’on vous confisque votre ordinateur portable ou votre appareil mobile.
      • Demandez à votre établissement s’il est possible de vous fournir un portable ou un téléphone propre pour votre voyage.

      Pendant votre voyage

      À la frontière

      Les agentes et agents frontaliers ont des approches penchant tantôt vers la menace, tantôt vers la tolérance, et leurs demandes d’accès à des renseignements et à des documents peuvent être imprévisibles. Sachez qu’on pourra vous demander de déverrouiller des appareils électroniques protégés par un mot de passe. Voici quelques conseils :

      • Veillez à ce que vos documents de voyage soient en règle et facilement accessibles.
      • Répondez de façon directe et honnête aux questions des douanières et douaniers. Ne donnez que les renseignements qui vous sont demandés.
      • Si on vous pose des questions sur votre voyage ou vos activités de recherche, donnez des réponses courtes et factuelles, portant sur la nature savante de vos travaux.
      • Attendez-vous à ce que l’on vous demande des preuves que vous habitez et travaillez au Canada et que bénéficiez d’un soutien financier pendant votre séjour au pays, ainsi que des preuves de votre affiliation avec une université canadienne et du bien-fondé de votre voyage.
      • Si on vous demande de fournir un mot de passe pour déverrouiller un appareil électronique ou des renseignements chiffrés, changez-le dès que l’on vous remet votre appareil.

      Attention à vos connexions!

      • Évitez d’utiliser des connexions Wi-Fi publiques, surtout aux terminaux de transit, et utilisez un réseau privé virtuel lorsque possible.
      • Désactivez les fonctions de connectivité non essentielles, comme le Bluetooth ou la géolocalisation.
      • Transportez toujours vos travaux et vos appareils électroniques dans votre bagage à main. Si vous devez mettre vos appareils dans vos bagages enregistrés, retirez-en la batterie ou les accessoires externes comme les cartes SD.

      Après votre voyage

      • Respectez la date prévue de votre retour au Canada.
      • Remplacez les mots de passe de vos comptes et désinstallez puis réinstallez toutes les applications que vous avez utilisées pendant votre voyage.
      • Effacez votre historique de navigation et les renseignements de session.
      • Vérifiez quelques jours plus tard s’il y a eu des activités de connexion inhabituelles sur vos comptes.