Évaluation par les pairs : réapprendre la civilité
Modifier notre façon de discuter de la recherche en favoriserait l’excellence en plus de résister à l’hostilité injustifiée qui sévit dans notre milieu.
Bien qu’on en parle peu, le milieu universitaire est devenu un terrain miné pour la santé mentale. Selon plusieurs articles (savants et autres), les symptômes de dépression, de panique et d’anxiété sont légion chez les universitaires, particulièrement chez les étudiants aux cycles supérieurs. Une étude récente, menée auprès de 3 000 étudiants au doctorat, en Belgique, nous apprend que 32 pour cent des participants risquaient d’avoir ou d’être touchés par un trouble psychiatrique. On a aussi découvert que les doctorants ont 3,5 fois plus de chances de perdre confiance en eux et 3,4 fois plus de chances de se sentir insignifiants que la population instruite en général. La difficulté de concilier travail et vie de famille et le fait que les décisions se prennent derrière des portes closes comptaient parmi les indicateurs indépendants de détresse psychiatrique les plus présents chez les participants.
Un article de journal récent décrit « l’effet de bâillon du milieu universitaire » et la nécessité de « s’endurcir » pour réussir. En dépit de la gravité et de la fréquence préoccupantes des symptômes d’anxiété vécus par l’auteur et les pairs de l’auteur, le silence règne. La revue Nature a aussi publié une série de témoignages de chercheurs et d’étudiants au doctorat qui décrivent leur expérience en matière de santé mentale et offrent des pistes de solution pour changer les choses. Pour survivre à un environnement de travail férocement compétitif, où on se sent parfois terriblement seul, ils proposent entre autres de se bâtir un réseau solide, d’élargir ses horizons professionnels et de faire appel à des services d’aide psychologique professionnels. Après avoir lu ces articles, à titre de doctorant en épidémiologie, je n’ai eu d’autre choix que de réfléchir à mon propre parcours comme chercheur et comme étudiant aux cycles supérieurs dans le secteur de la santé publique.
Comme la plupart des étudiants aux cycles supérieurs, je souffre du syndrome de l’imposteur. Je suis donc obsédé par la qualité de mon travail. Je crains, au mieux, de décevoir mon département et mon mentor, et au pire, de voir mon nom banni du milieu de la recherche en santé publique. Mes tendances obsessionnelles sont peut-être modulables, mais elles n’en nuisent pas moins à ma qualité de vie, et je doute qu’elles soient viables à long terme. En bon scientifique, je me suis donc mis en quête d’une explication étiologique à mon anxiété grandissante. Paradoxalement, j’ai découvert que je m’adonne régulièrement à l’une des pratiques responsables de mes propres problèmes de santé mentale, soit la dépréciation inutile et indigne du milieu universitaire de l’évaluation par les pairs.
L’analyse et l’évaluation critiques des travaux de recherche sont des compétences essentielles pour les étudiants aux cycles supérieurs du monde entier. Indépendamment de leur domaine d’études et de leur niveau de formation, les étudiants apprennent à décortiquer le travail faisant l’objet d’une évaluation par les pairs pour y déceler les moindres faiblesses conceptuelles, méthodologiques et analytiques, entre autres critères de qualité. Pour les étudiants aux cycles supérieurs et leurs mentors, les réunions de laboratoire et les clubs de lecture deviennent des lieux de socialisation. Ils y vont pour discuter de leurs dernières découvertes, mais surtout pour apprendre des erreurs relevées dans des travaux antérieurs. Malheureusement, le processus d’évaluation par les pairs s’accompagne parfois de moqueries qui rappellent la cour de récréation : on réagit aux lacunes d’une étude par des grimaces, des rires collectifs et des gestes méprisants ou, trop souvent, en levant les yeux au ciel.
Des moqueries puériles
Par désir d’intégrer un groupe fermé, j’ai moi-même participé à des moqueries puériles visant des études ou des demandes de subvention dont la stratégie de mesure semblait limitée ou le cadre d’analyse, trop vague. Quand on ne connaît ni les chercheurs visés ni leur travail, critiquer de haut les décisions prises par une équipe peut être facile, voire enivrant. Un peu comme des internautes anonymes, nous laissons nos critiques légitimes se transformer en railleries lorsque les chercheurs concernés ne sont pas dans la salle.
C’est le cercle vicieux de l’intimidation : les universitaires, en se moquant les uns des autres, s’adonnent à des attaques ad hominem. L’objectif : flatter son ego et s’affirmer, quoique de manière superficielle, comme chercheur critique dans la chaîne alimentaire du milieu universitaire (peut-être pour faire taire, ne serait-ce qu’un instant, le syndrome de l’imposteur). J’invite ouvertement l’évaluation critique de mes travaux de recherche. Quoi qu’il en soit, je sais maintenant que mes comportements obsessionnels et mon anxiété sont nés de ma crainte d’être ridiculisé et de ne plus être pris au sérieux suivant les attaques indignes, méchantes et gratuites de mes pairs – une pratique à laquelle je me suis moi-même adonné.
Notons que ces pratiques malveillantes ne sont pas réservées au cadre privé des réunions de laboratoire et des clubs de lecture. Pour les scientifiques, l’expression « évaluateur no 2 », en ligne comme hors ligne, évoque instantanément un évaluateur grincheux, dont les remarques visant les articles soumis à une revue savante ne sont d’aucune aide à l’auteur. Les universitaires se sont habitués à la dureté systématique de l’évaluateur no 2. Pourtant, une évaluation par les pairs excessivement agressive et hostile n’aide personne. Pire encore, elle contribue à une philosophie nocive. Se pourrait-il que la malveillance typique de l’évaluateur no 2 constitue la suite logique des railleries puériles décrites plus haut? Je laisse à d’autres l’évaluation empirique de cette question, mais il semble exister un lien conceptuel.
Si nous changions notre façon de parler des travaux de recherche lors des réunions de laboratoire, au sein des clubs de lecture et dans les salles de classe tout au long de notre formation universitaire, nous favoriserions l’excellence de la recherche en plus de résister à l’hostilité injustifiée qui sévit dans notre milieu. Les étudiants aux cycles supérieurs sont impatients de participer activement à la recherche dans leur discipline. De la part de leurs pairs, de leurs mentors et des grands noms du domaine, ils espèrent une évaluation critique de leur travail, plutôt que des remarques ou des grimaces exprimant l’exaspération. À titre de mentors, d’enseignants et de victimes du syndrome de l’imposteur et de l’évaluateur no 2, nous avons tous une leçon à retenir : traitons les autres comme nous aimerions qu’ils nous traitent.
L’étiologie de l’hostilité universitaire est un problème beaucoup plus complexe que le seul aspect abordé ici, et je suis loin d’être un expert dans ce domaine. Cependant, revoir notre façon d’envisager le travail de nos pairs et d’en discuter pourrait non seulement mener à de meilleures évaluations, mais aussi être bénéfique pour notre santé mentale.
Daniel Harris est étudiant au doctorat au département d’épidémiologie de la Dalla Lana School of Public Health, à l’Université de Toronto.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
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