Les lettres de recommandation sont-elles toujours pertinentes?

En plus de nous faire perdre du temps, rien n’indique qu’elles ont une réelle influence sur le processus décisionnel.

07 décembre 2018
papers on table

Rédiger des lettres de recommandation est une pratique courante pour la plupart des professeurs. Elles font partie intégrante des demandes d’admission aux études supérieures, de bourses d’études, de subventions, de prix ou d’emploi et leur rédaction prend un temps précieux qui pourrait être consacré à d’autres tâches. En outre, rien n’indique qu’elles ont une réelle influence sur le processus décisionnel, et selon toute vraisemblance, elles contribuent aux inégalités. Dans ces circonstances, nous devrions peut-être remettre leur pertinence en question.

Les lettres de recommandation datent d’une époque bien différente de l’ère de l’information actuelle. Elles servaient essentiellement à confirmer qu’une personne du milieu attestait des qualités d’un candidat. Leurs auteurs et leurs destinataires se connaissaient généralement de près ou de loin, et l’absence d’autres moyens de communication les rendait essentielles. On tenait alors moins compte des publications et il était difficile d’acheminer des relevés de notes d’un établissement à l’autre.

De nombreuses personnes continuent aujourd’hui d’accorder une grande importance aux lettres de recommandation. Certains diront que ces lettres mettent en contexte des critères d’évaluation génériques et stériles, comme les notes, le nombre de publications, les prix et autres éléments « mesurables ». On soutient qu’elles renseignent les examinateurs sur d’éventuelles circonstances particulières, sur le contexte qualitatif et sur d’autres facteurs non mesurables selon les critères habituels.

La rédaction et la lecture des lettres posent problème en ce qu’elles prennent un temps fou. Pour écrire une bonne lettre (en anglais uniquement) de recommandation, il faut connaître intimement l’étudiant ou le collègue visé, avoir lu ses travaux et parcouru son CV, et fournir des exemples uniques pour personnaliser le tout. Dans le cadre de certains concours, cela peut prendre des heures. Les professeurs pourraient consacrer ce temps à discuter de choses sérieuses, à lire, à écrire, à remplir des demandes de subventions ou à encadrer des étudiants. Et plus les étudiants doivent courir après leurs professeurs pour obtenir ces fameuses lettres, moins ils ont de temps pour étudier ou faire avancer d’autres projets. Qui plus est, les lettres doivent souvent être rédigées à la dernière minute, ce qui fait monter d’un cran le niveau de stress. Dans tous les cas, n’oublions pas que plusieurs professeurs doivent rédiger des lettres pour les mêmes concours, ce qui augmente l’ampleur de la tâche et la pression ressentie.

Les comités de sélection doivent aussi consacrer beaucoup de temps à la lecture des lettres. De plus en plus de concours attirent des centaines de candidatures. Du nombre, seuls quelques candidats se retrouvent sur la liste restreinte ou atteignent le stade où les renseignements détaillés figurant dans la lettre deviennent nécessaires.

Voyons le cas type d’une demande d’emploi en milieu universitaire pour comprendre l’ampleur de la perte de temps associée aux lettres de recommandation. Dans les grands établissements, une centaine de candidats peuvent convoiter le même poste. On exige chaque fois trois lettres de recommandation, faisant chacune de deux à quatre pages, à interligne simple. Pour 100 candidatures, on parle donc de 600 à 1 200 pages au total.

Ce travail pourrait être justifié si les lettres fournissaient réellement de l’information utile, non accessible autrement. Mais est-ce vraiment le cas? Malgré tout le temps et les efforts investis dans leur rédaction, les lettres sont si nombreuses que la plupart des examinateurs développent un système pour en extraire rapidement l’information. Habituellement, seule une poignée de candidatures sont étudiées en profondeur – celles qui sont trop complexes à analyser autrement et celles qui sont sérieusement prises en considération. Autrement dit, la plupart des lettres ne sont jamais lues.

Et celles qui sont bel et bien lues tendent à se ressembler. Les mauvaises lettres sont rares, tout comme celles qui sont véritablement honnêtes. Pour remporter un prix, être admis dans un programme aux cycles supérieurs, accéder aux études postdoctorales, obtenir un emploi de professeur ou une promotion, la concurrence est féroce. Les professeurs doivent donc être élogieux et évacuer tout point négatif. Et s’ils ne tiennent pas un candidat en haute estime, ils déclineront tout simplement sa demande de lettre.

Fait troublant, des travaux de recherche ont révélé que les lettres de recommandation étaient une source de discrimination, car elles contribuent au maintien des cercles fermés masculins (en anglais uniquement) et avantagent les personnes bien connectées. La race, la classe sociale, le sexe et la nationalité sont autant de facteurs qui déterminent le choix des gens sollicités pour rédiger des lettres, qui ose en demander une et la façon dont les professeurs finissent par les écrire. Des études ont démontré que le contenu des lettres était trop souvent discriminatoire (en anglais uniquement) envers les femmes (en anglais uniquement), les personnes racialisées et tous ceux qui n’appartiennent pas aux structures de pouvoir des universités.

Alors, que peut-on faire? Pour commencer, nous pourrions exiger moins de lettres. La plupart du temps, il est de toute façon plus efficace de demander le nom et les coordonnées des répondants du candidat. En nous limitant à demander des lettres aux candidats ayant de réelles chances d’être choisis, nous éviterions bien du travail à beaucoup de gens. Finalement, nous devrions peut-être envisager d’éliminer cette pratique, purement et simplement.

Rima Wilkes est professeure de sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique et a été présidente de la Société canadienne de sociologie. Howard Ramos est professeur de sociologie et doyen associé à la recherche, Faculté des sciences humaines de l’Université Dalhousie. Il a aussi été président de la Société canadienne de sociologie.

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