Plaidoyer pour la formation des personnes étudiantes en transfert et mobilisation des connaissances
Pourquoi existe-t-il encore si peu d’initiatives de formation au transfert et à la mobilisation des connaissances pour les personnes étudiantes aux cycles supérieurs?
L’Équipe RENARD et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ont développé trois formations en ligne sur le transfert et la mobilisation des connaissances (TMC). Des 8 000 personnes inscrites à ces MOOC depuis juin 2020, 62% possèdent un diplôme de deuxième ou de troisième cycle. Mais la grande majorité d’entre elles n’avaient jamais reçu de formation sur le TMC au cours de leur parcours académique. Bien qu’on trouve ici et là des cours de 3 crédits qui portent sur le TMC, pratiquement aucun programme diplômant n’est offert par les institutions d’enseignement supérieur.
Le 19 juin dernier, des personnes étudiantes, formatrices ou membres de l’administration universitaire ont confronté leur point de vue lors d’une table-ronde organisée par l’Équipe RENARD dans le cadre du Forum sur la mobilisation des connaissances du Réseau Impact Recherche Canada.
Le point de vue des personnes concernées
Rémi Paré-Beauchemin, doctorant en éducation à l’Université de Sherbrooke, a corédigé un éditorial qui aborde justement cette question. Il indique que les défis liés à la formation en TMC pour les personnes étudiantes aux cycles supérieurs sont significatifs. Les formations spécialisées en TMC sont rares alors que les directions de recherche peuvent elles-mêmes manquer de temps et de compétences spécifiques en la matière. Les personnes étudiantes, de leur côté, composent avec des agendas chargés et une pression de performer, ce qui rend difficile l’ajout de formations supplémentaires. Pour contrer ces obstacles, plusieurs pistes de solution peuvent être envisagées, comme offrir de cours universitaires crédités en TMC ou allouer des budgets spécifiques dans les subventions de recherche pour soutenir les activités de TMC.
De son côté, Audrey-Ann Journault, doctorante en psychologie à l’Université de Montréal (UdeM) remarque qu’une carrière en recherche n’est jamais garantie et que développer une expertise en mobilisation des connaissances lui a permis d’obtenir du financement ciblé pour ses activités et de se faire connaître tant dans le milieu académique que les milieux de pratique. Ainsi la mobilisation de connaissances a été un vecteur de cohérence pour réconcilier sa curiosité scientifique et son besoin de faire une différence pour le grand public. Son parcours n’est pas unique. Il présente en effet plusieurs similitudes avec celui de Luc Dancause qui, après des études doctorales, a choisi la voie du service conseil en TMC. Pour ce faire, il a dû suivre des micro-formations et joindre des communautés de pratique afin de développer les compétences requises (facilitation, vulgarisation, etc.).
Pour Stéphanie Lebel, qui étudie la perception des personnes étudiantes en psychologie clinique sur la pratique éclairée par les données probantes (PEDP), plusieurs actions peuvent être mises en place. Elle-même doctorante en psychologie à l’UdeM, elle remarque que malgré le fait que ses collègues soient engagées dans un doctorat clinique, elles ne se perçoivent pas tout à fait compétentes pour repérer et s’approprier les informations ou pour les traduire en pratiques. Pour réduire ce clivage entre science et pratique, il faudrait offrir plus de cours et de ressources sur la pratique éclairée par les données probantes, et encourager les directions et les supervisions à incarner une intégration « modèle » de la science et de la pratique.
Disparités, enjeux de définition et de culture
Le public de la table-ronde a soulevé d’autres pistes de réflexion et solutions à la suite de ces récits d’expérience.
Tout d’abord, quand on parle de formation en TMC, de quoi parle-t-on précisément? De la diffusion des connaissances à leur appropriation par les milieux, il y a toute une échelle de pratiques et de compétences associées, plus ou moins faciles à acquérir. On note un flottement dans les termes : diffusion, implantation par exemple, mais il ne s’agit pas des mêmes enjeux, ni des mêmes types de projets ou de budgets! Utiliser un cadre conceptuel dans les projets en TMC permet de clarifier les termes et d’ajuster les attentes.
En ce qui concerne la place de la formation en TMC dans les universités et les programmes, on note une disparité. Certains programmes sont mieux desservis, comme au sein des écoles en réadaptation. Mais transférer un programme de réadaptation n’est pas la même chose que transférer une intervention sur des problèmes complexes et multifactoriels, comme la violence. On remarque ainsi un déséquilibre entre les sciences humaines et les sciences de la santé : l’evidence-based practice s’applique plus difficilement en sciences humaines, domaine dans lequel les interventions fondées sur les données probantes se transposent moins bien dans la pratique.
Alors quelles sont les pistes prometteuses pour multiplier les formations en TMC ? Est-ce qu’offrir des cours optionnels représente une option viable, alors que pour construire un CV, les jeunes chercheurs et chercheuses doivent surtout publier? Intégrer la mobilisation des connaissances dans les cours de méthodologie de la recherche est aussi une option, mais cela ne cible pas les programmes à destination de professionnelles et professionnels, qui seront au cœur de l’application des connaissances sur le terrain. L’influence des mentors ne doit pas non plus être négligée, car c’est souvent au contact d’une professeure ou d’un professeur que les personnes étudiantes sont exposées au domaine du TMC.
Si la mission de l’université est d’apporter des solutions aux enjeux et défis vécus dans la société, le manque de formations disponibles à plus grande échelle en TMC reste un enjeu de taille pour accomplir cette mission. Alors que l’adage « publier ou périr » est souvent rapporté pour décrire la culture, les priorités et les pressions dans le monde académique et en recherche, il faut aussi se rappeler que l’argent public, avec lequel la grande majorité des activités de recherche sont menées, devrait avoir des retombées publiques.
Remerciements :
Nous remercions toutes les personnes qui ont contribué à cette table ronde et ont enrichi les débats présentés ici. L’Équipe RENARD est soutenue par les Fonds de recherche du Québec.
Mise à jour
Suite à la mise en ligne de ce texte d’opinion, Affaires universitaires a reçu une réponse au plaidoyer rédigée par Hélène Belleau et Marie-Soleil Cloutier, professeures titulaires au Centre Urbanisation Culture Société. .
Au Canada, depuis quelques décennies, la mobilisation et le transfert des connaissances entre la recherche et les milieux (communautaires, privés, gouvernementaux, etc.) sont devenus un impératif de l’État et des organismes subventionnaires en recherche pour répondre à la complexité des enjeux sociétaux et offrir une action publique efficace et participative. Dans cette mouvance, l’Institut National de la Recherche scientifique (INRS), a été véritablement avant-gardiste en développant, il y a plus de 15 ans, la seule maitrise professionnelle en mobilisation et transfert des connaissances au Canada, en plus d’un programme court (9 crédits) et d’un Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) (Programmes MOB). Au fil des ans, le Centre Urbanisation Culture et Société de l’INRS a ainsi formé une centaine d’agent.e.s d’interface qui œuvrent désormais dans divers secteurs de l’économie et notamment dans les ministères, les organismes communautaires, mais aussi dans le secteur privé. Leur travail consiste précisément à faire du transfert et de la mobilisation des connaissances pour changer le monde… par la recherche.
L’INRS déploie actuellement ses programmes MOB au-delà des sciences sociales, c’est-à-dire du côté des sciences de la santé, des sciences naturelles, etc. Dès l’automne 2025, il accueillera des étudiants.e.s de toutes les disciplines ainsi que des professionnel.le.s dans divers secteurs dans son programme court de 2e cycle.
Première université en intensité de recherche, l’INRS a pour mission de contribuer au développement social, économique et culturel du Québec. Elle accomplit cette mission par le biais de nombreuses équipes partenariales, intersectorielles et multidisciplinaires. Son corps professoral a développé une véritable expertise en recherche collaborative et partenariale. C’est à ce titre d’ailleurs que le ministère de l’Enseignement supérieur a appuyé le développement des programmes MOB dont sa maitrise professionnelle, dès 2006.
Postes vedettes
- Médicine - Poste facultaire (santé du rein)Université de Montréal
- Génie - Professeur adjoint / professeure adjointe (génie civil / géotechnique)Université McGill
- Psychologie - Professeure ou professeur (enjeux socio-environnementaux, section sociale et personalité)Université du Québec à Montréal
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Génie - Professeure ou professeur (systèmes intelligents et systèmes cyberphysiques)Université Laval
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