Refonte des universités : la permanence et la combinaison de l’enseignement et de la recherche exclues du débat

L’énorme dépendance des universités envers les chargés de cours témoigne d’une perception erronée des attentes en matière d’enseignement et de recherche.

28 avril 2021
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L’idée selon laquelle la pandémie est l’occasion pour les universités de repenser leurs activités a été tellement répétée qu’elle est devenue un cliché. Parfois, il s’agit d’une invitation à revoir nos programmes et notre façon de les offrir. D’autres fois, il ne s’agit finalement que de jérémiades visant à obtenir plus de financement. Néanmoins, dans le contexte actuel dont nous devrions apparemment tirer des leçons, certaines idées reçues largement admises sur lesquelles repose tout exercice de refonte de nos universités ne sont toujours pas remises en question.

Deux de ces idées retiennent l’attention : celle selon laquelle l’ensemble du milieu universitaire doit à la fois enseigner et faire de la recherche, et celle selon laquelle la permanence est au cœur d’une université efficace.

Bien sûr, de nombreux enseignants sont extraordinaires et apportent beaucoup à leur discipline. Mais en fin de compte, il existe peu de preuves concrètes du lien entre la qualité de l’enseignement et l’excellence de la recherche. De plus, une tendance manifeste et généralisée suggère qu’il est peu judicieux de faire de l’enseignement et de la recherche des conditions obligatoires pour tous les professeurs en raison de l’énorme dépendance des universités envers les chargés de cours.

Dans la plupart des établissements universitaires du Canada, entre 40 et 50 pour cent de l’enseignement au premier cycle est confié à des chargés de cours. Le débat sur ces professionnels a largement fait état de leur précarité d’emploi, et il ne fait aucun doute que les chargés de cours sont l’exemple même d’une main-d’œuvre mal payée et facilement remplaçable. Dans leur cas, l’appel à la justice sociale est entièrement justifié. Or, les conséquences de notre dépendance envers les chargés de cours pour assurer le lien entre l’enseignement et la recherche sont généralement ignorées. Après tout, même si beaucoup de chargés de cours en font, la recherche ne fait pas partie de leur description de tâche et elle n’est pas rémunérée.

En définitive, il semble que notre dépendance envers les chargés de cours n’admette que deux possibilités : soit que la moitié des étudiants au premier cycle reçoit un enseignement de qualité inférieure (et je ne connais personne qui puisse faire une telle affirmation); ou soit que les chargés de cours font du bon travail en général et que par conséquent, l’ajout d’un volet de recherche rémunérée à tous les postes de professeurs n’est pas garant d’un enseignement efficace.

Pour certains de mes collègues, la solution est simple : faire en sorte que tout le monde ait un poste menant à la permanence. Si un torrent d’argent se déversait sur le secteur universitaire, cette possibilité serait envisageable. Mais ce n’est pas le cas, bien évidemment, et rien n’indique que la situation changera prochainement.

La seconde idée reçue concerne la permanence. En général, l’objectif de la permanence est décrit à peu près comme suit : fournir aux universitaires une sécurité d’emploi qui leur permet de faire de la recherche dans leur discipline, même si cela mène à des conclusions controversées. Puisque la plupart (lire l’écrasante majorité) des universitaires évitent tout propos le moindrement controversé, la permanence signifie concrètement un emploi à vie avec des augmentations salariales périodiques de « revalorisation professionnelle » qui n’ont pas grand-chose à voir avec les réalisations. (Oui, Virginia, j’insinue en effet que les critiques hors du milieu universitaire qui dénoncent la permanence ont plus souvent raison que tort.) Si vous ajoutez à cela le fait que les universités qui souhaitent se débarrasser des professeurs titulaires gênants trouvent habituellement un prétexte pour le faire, l’argument en faveur de la permanence est faible.

Bien sûr, souligner le caractère problématique de la permanence ne constitue pas un plaidoyer contre la sécurité d’emploi. La sécurité d’emploi est aussi importante dans le milieu universitaire que dans le secteur privé. Toutefois, le secteur privé peut offrir une sécurité d’emploi sans pour autant fournir ces « emplois à vie avec augmentations salariales continues » auxquels les professeurs à temps plein sont maintenant habitués.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour la « refonte » des universités? Plusieurs conclusions vont de soi. Premièrement, nous devons accepter qu’il soit peu judicieux de placer l’enseignement et la recherche au cœur du travail des professeurs, puis adapter les postes et la rémunération en conséquence.

Deuxièmement, si l’exploitation des chargés de cours nous inquiète véritablement, il faut admettre que sans nouveau financement, la solution réside dans la redistribution des ressources internes.

Dans la plupart des universités, l’un des moyens d’y parvenir (et celui que les professeurs à temps plein préfèrent) est bien sûr de réduire la taille de l’administration. Pour ma part, je crois qu’une réduction de la masse salariale des hauts dirigeants d’au moins dix à quinze pour cent est une solution très raisonnable qui ne nuirait pas beaucoup aux universités concernées. Toutefois, même si une telle mesure était appliquée (ce dont je doute!), elle serait insuffisante. La solution restante serait de transférer une partie de la masse salariale des professeurs à temps plein aux chargés de cours. Si nous acceptions de repenser le modèle « emploi à vie avec augmentations salariales continues » qu’est devenue la permanence, le transfert pourrait sans doute être conçu de manière à laisser aux professeurs à temps plein des salaires et une sécurité d’emploi raisonnables tout en améliorant le sort des chargés de cours.

Encore une fois, je sais que cette solution est contraire à la mentalité de « quémandeur » et qu’elle ne sert pas les intérêts des administrateurs ni des professeurs à temps plein actuels. Il s’agit donc, je l’admets, d’un exercice de « refonte » qui ne mènera probablement à rien, mais n’en va-t-il pas de même pour tous les exercices de ce genre? Les universités maintiendront le statu quo, à savoir un organe administratif privilégié, un corps professoral qui ne cesse de s’enrichir et des chargés de cours de plus en plus exploités.

Michael Carroll est professeur de sociologie à l’Université Wilfrid Laurier. Au cours de sa carrière, à Wilfrid Laurier et ailleurs, il a occupé les postes de directeur de département, de doyen et de président de l’association des professeurs.

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