Réinventer l’accueil des étudiant.e.s de l’étranger aux cycles supérieurs

Nous devons être plus aptes à entrer en relation et à apprendre d’autrui tout en prenant en considération l’ensemble des complexités et déséquilibres de pouvoir.

Selon les dernières données de Statistique Canada, après deux décennies de croissance significative, les étudiant.e.s provenant de l’étranger représentent désormais environ 17 % de l’ensemble des inscriptions postsecondaires au Canada. La proportion est encore plus élevée à la maîtrise (20 %) et au doctorat (37 %). Voilà qui témoigne d’une dépendance grandissante des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques à l’égard des étudiant.e.s en provenance de l’étranger en tant que sources de revenus pour les universités et sources d’immigration économique pour le pays, mais aussi, aux cycles supérieurs, comme main-d’œuvre universitaire à titre d’auxiliaires de recherche et d’enseignement. Le gouvernement voit en effet ces étudiant.e.s des cycles supérieurs comme des immigrant.e.s de choix, comme le dénotent le Programme des candidat.e.s des provinces et le Programme de l’expérience québécoise. Comparativement aux personnes qui poursuivent des études à d’autres niveaux, les étudiant.e.s des cycles supérieurs sont davantage susceptibles d’obtenir la résidence permanente.

Résultat, le fait d’étudier au Canada aux cycles supérieurs se superpose dans une vaste mesure à l’expérience de migration « temporairement temporaire ». Dans ces circonstances, l’installation au Canada des étudiant.e.s de l’étranger est un enjeu social particulièrement important sur les plans logistique et psychologique, qui est pourtant très insuffisamment coordonné. Si la majorité des universités proposent un programme d’accueil adapté d’un jour ou deux, la teneur du contenu, l’approche et les ressources consacrées varient d’un établissement à l’autre. Pourtant, dans un contexte où les résident.e.s temporaires ne sont pas admissibles à l’aide à l’installation fédérale et provinciale, les activités d’accueil offertes par les universités peuvent jouer un rôle déterminant dans ce qui s’avère bien souvent une période d’adaptation complexe à la vie canadienne.

Nous, auteurs et autrices, avons fait connaissance à titre de membres du Comité permanent sur l’engagement des étudiant.e.s et jeunes chercheurs et chercheuses de Voies vers la prospérité. Après avoir découvert que nous étions toutes et tous venu.e.s au Canada en tant qu’étudiant.e.s aux cycles supérieurs, nous avons réfléchi à nos expériences à travers une étude autoethnographique collaborative sur l’accueil que reçoit ce groupe d’étudiant.e.s. Grâce à une analyse thématique, nos conclusions ont révélé trois thèmes.

D’abord, les défis logistiques qui entourent l’immigration et l’installation viennent exacerber le sentiment d’exclusion. Vu l’absence de soutien à l’installation financé par le gouvernement, un accueil universitaire efficace qui répond aux grands défis logistiques peut influer significativement sur le sentiment d’appartenance de la population étudiante arrivant de l’étranger. Ensuite, puisque les familles ne sont pas intégrées au processus d’accueil, les personnes venues au pays avec leurs enfants, leur partenaire ou d’autres membres de leur famille subissent une pression accrue. Si les universités n’ont pas les ressources ou l’expertise nécessaires pour venir en aide aux proches, l’occasion est belle de coordonner les services avec des organismes communautaires d’installation. Enfin, les programmes d’accueil perpétuent largement un héritage colonial par :

  • un contenu dépolitisé;
  • un regard qui considère la population étudiante provenant de l’étranger comme un tout homogène; et
  • la reproduction constante d’une (mythique) binarité entre les étudiant.e.s de l’étranger et du pays.

Voilà qui montre la nécessité de repenser les services d’accueil en s’éloignant d’une perspective coloniale, en éliminant les définitions issues d’une autre époque et en cessant de considérer les étudiant.e.s de l’étranger comme un bloc monolithique.

Chacun des thèmes montre le besoin de responsabilisation accrue au gouvernement comme dans les établissements, ainsi qu’une meilleure collaboration pour accueillir les étudiant.e.s. Surtout, cet accueil ne peut dorénavant plus reposer sur des modèles à sens unique d’« intégration » dans la société colonialiste canadienne – des modèles qui continuent à façonner implicitement l’accueil universitaire et les programmes d’installation.

Les activités d’accueil offertes pourraient aller beaucoup plus loin qu’un simple diaporama présenté dans un amphithéâtre. Cela dit, nous nous refusons de proposer une solution universelle à une question forcément complexe, et soulevons plutôt des considérations nées de notre analyse collective.

Avant tout, les programmes d’accueil devraient reposer sur une approche bidirectionnelle et être reconnus pour leur rôle dans l’installation des étudiant.e.s de l’étranger, dans bien des cas de futur.e.s Canadien.ne.s. La continuité, soit le besoin de voir et d’organiser l’accueil en tant que processus continu, est au cœur de notre cadre. L’accueil de la population étudiante provenant de l’étranger doit être un processus fluide et continuel, et non un événement ou un programme ponctuel, structuré par des limites et des échéanciers rigides. Il doit aussi mieux embrasser les identités et positionnalités intersectionnelles de ces personnes aux multiples facettes.

À partir des conclusions de notre étude, nous proposons six principes interconnectés pour la création de programmes d’accueil :

  1. Voir chaque étudiant.e. comme un être complexe.
  2. Reconnaître l’indissociable interconnexion entre les étudiant.e.s de l’étranger, leur famille, la grande communauté (universitaire) et les enchevêtrements globaux.
  3. Entretenir de sérieuses discussions sur le colonialisme d’hier et d’aujourd’hui, le racisme et les autres formes de violence et de discrimination, y compris la complicité et la responsabilité des établissements d’enseignement supérieur.
  4. Nourrir et incarner les valeurs que sont l’empathie, la bienveillance et la mutualité, sans motifs paternalistes ou salutistes.
  5. Favoriser avant tout un sentiment d’appartenance par des activités d’orientation bidirectionnelles/mutuelles.
  6. Réserver au sein des structures institutionnelles un espace propice à la critique, à l’autoréflexion et aux discussions honnêtes sur les iniquités et le déséquilibre de pouvoir.

Si notre étude s’intéresse particulièrement à la population étudiante des cycles supérieurs provenant de l’étranger, nous anticipons qu’elle sera tout aussi utile pour l’accueil des étudiant.e.s de tous les cycles.

Cliquez ici pour consulter l’étude intégrale.

Takhmina Shokirova est professeure adjointe à la Faculté de travail social de l’Université de Regina. Lisa Ruth Brunner est chargée de cours en éducation et conseillère aux étudiant.e.s de l’étranger à l’Université de la Colombie-Britannique. Karun K. Karki est professeur adjoint à l’École de travail social et de services à la personne de l’Université de la vallée du Fraser. Capucine Coustere est doctorante au Département de sociologie de l’Université Laval. Negar Valizadeh est doctorante au Département de géographie de l’Université d’Ottawa.

La rédaction de ce texte a été coordonnée par la Communauté de pratique de l’internationalisation des affaires étudiantes de l’Association des services aux étudiant.e.s des universités et collèges du Canada (ASEUCC). Si vous avez des questions ou des commentaires, veuillez écrire à in***********@ca****.ca.

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