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À mon avis

Les universités devraient favoriser les cheminements non linéaires des femmes

L’expérience de vie est une compétence transférable.

par TINA GRUOSSO | 28 NOV 18

Selon Jules Renard « Il faudrait pouvoir recommencer ses études avec son intelligence de trente ans. » Mais est-ce vraiment possible dans le système canadien actuel? Les parcours non linéaires sont, par définition, atypiques et constituent une force de la diversité.

Malheureusement, le système académique, très linéaire, n’appréhende pas les choses de la même façon. Toute déviation du chemin tracé est perçue comme un manque de volonté, d’engagement et d’enthousiasme alors qu’en réalité cette diversité ouvre des perspectives différentes et permet d’aborder les problèmes de façon originale. Par exemple, une mère de famille se heurte au préjugé voulant qu’elle ne puisse consacrer assez de temps à la recherche. Or, ce n’est pas qu’une question de temps, il faut aussi tenir compte de la qualité du temps consacré et de l’engagement… justement!

Le rapport intitulé Le cheminement non linéaire des femmes en STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) publié par la Commission canadienne pour l’UNESCO, qui explore ces enjeux, a été rédigé par Liette Vasseur, professeure titulaire au Département de sciences biologiques de l’Université Brock, et Heather VanVolkenburg, étudiante à la maîtrise en sciences biologiques au même établissement.

Selon le rapport, malgré les difficultés, le taux d’obtention d’un diplôme de premier cycle universitaire est 50 pour cent plus élevé pour les étudiantes adultes que pour les jeunes (29 pour cent au niveau collégial). En 2015, le taux d’obtention des diplômes universitaires de premier cycle chez les femmes adultes a été de 80 pour cent contre 25 pour cent chez les jeunes femmes. Les préjugés à l’égard des femmes adultes en STIM sont donc infondés. Et il est temps de changer les mentalités.

Pourquoi ce problème touche-t-il particulièrement les femmes?

Les années de procréation sont biologiquement limitées alors qu’il est possible d’étudier à tout âge. La réalité biologique impose un plus grand fardeau aux femmes qu’aux hommes en ce qui concerne les études. Une mesure comme l’offre de congés de paternité payés pourrait améliorer l’équité à cet égard. Comme les auteures du rapport de la Commission canadienne pour l’UNESCO l’expliquent : « Même si les hommes adultes peuvent également éprouver de telles difficultés, la représentation inégale actuelle des femmes dans les domaines des STIM rend encore plus pressant le besoin de comprendre tous les obstacles auxquels sont confrontées les femmes qui souhaitent poursuivre des études dans ces filières ».

Les obstacles que doivent surmonter les femmes adultes en STIM à l’université sont nombreux. Premièrement, le statut d’étudiant adulte est très différent d’une université à l’autre, et les énoncés des critères d’admissibilité manquent de définitions, d’information et de clarté. Les facultés d’ingénierie et de sciences ne permettent que rarement l’inscription d’adultes. Deuxièmement, les femmes adultes ont besoin de mesures de soutien particulières offertes par très peu d’universités. Les systèmes de garderies notamment sont peu présents et souvent réservés aux étudiants aux cycles supérieurs. Ces femmes pourraient largement bénéficier d’un soutien financier en raison de leurs besoins spécifiques pour compenser non seulement une perte de salaire, mais aussi le coût des études.

Les conditions d’entrée aux collèges, quant à elles, sont plus claires et un peu plus inclusives que pour les universités. Cinq pour cent des collèges exigent que les étudiantes adultes passent par une inscription classique avant de se présenter au programme spécifique « adulte » contre 52 pour cent pour les universités. Néanmoins, la plupart des collèges exigent que les candidats réussissent des épreuves d’admission, favorisant ainsi l’impression que les compétences acquises par l’expérience ne sont pas reconnues et multipliant les étapes du processus d’inscription aux études pour les apprenants adultes. Trop peu de collèges font figure d’exemples avec des systèmes de garderie, des conseils financiers et des réseautages adaptés.

Bien que, traditionnellement, la population étudiante soit majoritairement constituée de jeunes au parcours linéaire, la démographie change. Les collèges, les universités et la société en générale doivent s’adapter à cette nouvelle réalité. Afin de soutenir les femmes adultes en STIM, le système d’éducation devrait normaliser les critères d’admission aux études et offrir un nombre accru de mesures de soutien tels que des garderies, du soutien financier, des ressources en ligne, du réseautage, du mentorat, des groupes de soutien, des formules de travail flexible, de l’enseignement en ligne, etc. Un certain nombre de places devrait également être réservé pour les étudiants adultes.

Pour lutter contre la discrimination et la marginalisation des femmes adultes en STIM, il est important de combattre les préjugés, même inconscients, en formant des professeurs et du personnel des bureaux d’admission et des autres bureaux de soutien. Étant donné l’engagement et la richesse que les femmes au parcours non linéaire peuvent apporter en STIM, la société ne peut se permettre de perdre un tel potentiel de recherche et la possibilité de contribuer à la main-d’oeuvre. Après tout, une expérience de vie comme la maternité ne permet-elle pas d’acquérir des compétences transversales?

Il est donc urgent de redéfinir la notion d’excellence dans les universités et les collèges pour y inclure les parcours non linéaires et plus particulièrement ceux des femmes en STIM.

Tina Gruosso est présidente de l’organisation à but non lucratif Dialogue Sciences et Politiques, où elle fait la promotion de l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes, la diplomatie scientifique, la communication scientifique et la diversité. Mme Gruosso siège aussi au comité exécutif du bureau montréalais de Femmes en bio.

COMMENTAIRES
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  1. Sylvie Côté / 19 décembre 2018 à 11:17

    Excellent article! Je suis moi-même active dans une association de parents-étudiants et nous sommes en discussion avec la direction de notre université pour bâtir une politique de conciliation famille-travail-études dans le but de faire reconnaître notre réalité de parent-étudiant. Votre exposé sur la réalité des femmes et des préjugés entourant celles qui retournent sur les bancs d’école pour améliorer leurs conditions de vie est un appui fort à notre démarche.

    Bien sûr, cette situation est moins fréquente du côté des hommes, mais une étude de cas ferait ressortir le même constat chez eux. À preuve, j’ai un ami qui vit la même réalité, car en retournant à l’école, il doit concilier ses études, sa charge familiale (monoparentale avec 3 garçons, dont deux au primaire) et faire des choix pour équilibrer son budget. Lui aussi fait face aux mêmes défis et préjugés que moi.

    Je fais suivre cet article à mon asso et à mon ami.