De nombreux obstacles entravent l’accès des Canadiens au système juridique : honoraires d’avocat élevés, délais dans les procédures judiciaires, complexité des documents juridiques, etc. Bien que les membres des groupes marginalisés soient particulièrement susceptibles d’y être confrontés, ceux de la classe moyenne n’y échappent pas pour autant.
De plus en plus de Canadiens se présentent au tribunal sans avocat. Selon Julie Macfarlane, professeure de droit à l’Université de Windsor et directrice du Projet national pour les parties non représentées (NSRLP), environ 50 à 80 pour cent des parties à un litige en droit de la famille et 30 à 40 pour cent des parties à un litige en droit civil ne sont pas représentées par un avocat. Une situation que l’Association du Barreau canadien décrit comme étant catastrophique et que Beverley McLachlin a souvent dénoncée lorsqu’elle était juge en chef de la Cour suprême du Canada.
Pendant que les juges et les avocats désespèrent, certaines facultés de droit canadiennes entreprennent des initiatives pour améliorer l’accès à la justice. Le NSRLP publie sur son site Web des ressources élaborées à l’intention des parties non représentées. Ces ressources portent entre autres sur la lecture et la compréhension des rapports (décisions rendues par les juges) et sur les interactions avec l’avocat de la partie adverse.
Leur ressource la plus utilisée, Coping with the Courtroom, contient des conseils sur la portion du processus judiciaire que les parties non représentées considèrent la plus intimidante : la participation à une audience. « Elle fournit des renseignements sur la préparation et le déroulement de l’audience, et même sur les moments où il faut se lever et s’asseoir, ce que bien des gens ignorent », explique Mme Macfarlane.
On y propose entre autres d’être accompagné d’un tiers profane, c’est-à-dire un ami ou un proche qui s’assoit à côté de la partie non représentée afin de lui offrir un soutien pratique et affectif lors du processus judiciaire en l’aidant à rester organisée, calme et concentrée.
Le NSRLP administre également un répertoire national comptant quelque 300 avocats disposés à offrir une aide abordable aux parties non représentées, sous forme de services juridiques dégroupés ou « à la carte ». Le projet est intervenu avec succès à la Cour suprême du Canada l’an dernier dans l’affaire Pintea qui visait une partie non représentée.
La décision de la cour a approuvé l’énoncé de principes du Conseil canadien de la magistrature concernant le traitement équitable et égal des personnes non représentées. Les juges et les administrateurs judiciaires doivent « faire tout le possible pour s’assurer que le processus judiciaire soit équitable et impartial et que les personnes non représentées par un avocat ne soient pas injustement défavorisées ».
De son côté, la Faculté de droit de l’Université Thompson Rivers propose un cours sur la conception d’applications de services juridiques qui visent à améliorer l’accès à la justice, soit en automatisant les tâches des avocats bénévoles, soit en offrant des renseignements et des outils à la population.
« Je ne crois pas que la technologie règle tout, mais je crois qu’elle fait partie de la solution, indique Katie Sykes, professeure agrégée et créatrice du cours. Les services juridiques ne sont pas abordables, entre autres parce qu’ils ne sont pas dispensés efficacement. »
Grâce à une plateforme mise au point par l’entreprise de logiciels d’intelligence artificielle Neota Logic, les étudiants de Mme Sykes peuvent créer des applications sans connaître la programmation. « Ils doivent quand même acquérir certaines compétences qui touchent entre autres à l’écriture et à l’organisation, mais leurs compétences en droit les aident en ce sens », explique Mme Sykes.
En équipe, ses étudiants ont élaboré six applications qui ne sont pas encore accessibles publiquement aux fins de téléchargement. L’application pour laquelle les travaux sont les plus avancés a été conçue pour l’organisme à but non lucratif Animal Justice Canada. Elle aidera les citoyens à signaler les cas de cruauté envers les animaux à l’autorité compétente, étant donné que les responsabilités sont réparties entre plusieurs organismes. Une application à l’intention du Centre pour la défense des intérêts publics appuiera les utilisateurs de téléphones cellulaires qui souhaitent déposer une plainte en vertu du Code sur les services sans fil. Enfin, un « génie » des documents aidera les employés et les bénévoles de la clinique d’aide juridique de la Faculté à remplir des documents fréquemment demandés.
À la Faculté de droit de l’Université de Montréal, le Laboratoire de cyberjustice a créé PARLe (Plateforme d’aide au règlement des litiges en ligne), un logiciel que les services en ligne peuvent utiliser pour régler des différends de faible intensité hors cour, grâce à la négociation et à la médiation dans un environnement sécurisé et privé.
L’Office de la protection du consommateur du Québec utilise la plateforme PARLe pour résoudre les litiges entre les détaillants et les consommateurs québécois mécontents. Il faut seulement 27 jours et demi en moyenne pour régler un différend dans PARLe, contre 12 à 18 mois d’attente avant l’audience à la Division des petites créances de la Cour du Québec à Montréal.
« La résolution en ligne coûte 13 fois moins cher qu’une résolution par décision de la Cour des petites créances, précise Karim Benyekhlef, professeur de droit à l’Université de Montréal et directeur du Laboratoire de cyberjustice. Nous espérons que les litiges de faible intensité non résolus par négociation et médiation feront l’objet d’une adjudication en ligne par la Division des petites créances ».
La plateforme PARLe est également utilisée par le Tribunal de l’autorité du secteur des condominiums de l’Ontario. « Je m’attends à ce que d’autres tribunaux des petites créances aient recours à ce type de plateforme d’ici peu. Le moment est propice à la résolution de litiges en ligne », conclut M. Benyekhlef.