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Le manque de clarté lors des évaluations de risque pour la sécurité nationale est dénoncé

Les nouvelles règles en préparation pour les organismes subventionnaires fédéraux pourraient avoir un effet dissuasif sur la recherche.

par BRIAN OWENS | 23 MAR 23

Le projet pilote visant à cerner et à atténuer les risques pour la sécurité nationale des travaux de recherche subventionnés par le gouvernement fédéral que mène actuellement le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) s’étendra bientôt à l’ensemble des organismes subventionnaires. Cependant, des chercheurs et chercheuses dont les demandes de subvention ont été rejetées dans la phase pilote affirment que le processus porte à confusion et manque de transparence.

Dans le cadre du projet, certaines demandes de subventions Alliance ont dû faire l’objet d’un examen additionnel des agences de sécurité nationale. Le CRSNG rapporte qu’environ 4 % des quelque 1 000 demandes reçues pour ce programme ont été examinées pour identifier tout risque pour la sécurité nationale, conformément aux Lignes directrices de sécurité nationale pour les partenariats de recherche. Les autorités ont jugé que la plupart d’entre elles, soit 32 des 48 demandes examinées, devaient être refusées.

Chad Gaffield, chef de la direction du regroupement U15 des universités axées sur la recherche, a coprésidé le groupe de travail qui a rédigé ces lignes directrices. Il estime que les partenariats internationaux de recherche sont une force du Canada, mais qu’il faut mieux les baliser. « Certains partenariats peuvent être utilisés contre nous et entraîner des conséquences négatives imprévues », explique-t-il.

Si les chercheurs et chercheuses savent que ces risques sont réels et qu’il faut les atténuer, l’information à leur disposition n’est pas suffisante pour comprendre les nouvelles règles, estime Tamer Özsu, professeur d’informatique à l’Université de Waterloo et directeur du Laboratoire d’innovation Waterloo-Huawei.

Celui-ci ajoute que les agences de sécurité ont rejeté quatre projets soumis par son laboratoire portant sur des sujets aussi variés que l’infonuagique, l’interaction humain-ordinateur et une application mobile de soins pour les maladies oculaires. Le seul point commun de ces projets était qu’ils devaient tous être menés en collaboration avec l’entreprise chinoise de télécommunications Huawei.

Les quatre demandes rejetées ont reçu la même réponse vague : « L’évaluation a permis de conclure que le partenariat de recherche proposé pose des risques non atténuables pour l’économie du Canada, les systèmes militaires et de défense nationale du Canada et de ses alliés, ainsi que pour leurs intérêts en matière de sécurité et de renseignement. En outre, le partenariat risque de nuire à l’écosystème de recherche du Canada ou d’entacher la réputation du pays en tant qu’endroit sécuritaire pour mener des travaux de recherche de pointe. »

M. Özsu et l’une des personnes responsables d’un de ces projets ont rencontré le personnel du CRSNG pour éclaircir les choses. Malheureusement, on leur a dit qu’il n’y avait rien à ajouter, le reste étant classifié. « C’était une réunion complètement inutile », déplore-t-il.

Il explique que le principal problème est que les chercheurs et chercheuses n’ont pas été clairement informé.e.s des sujets potentiellement hasardeux et des mesures d’atténuation pouvant être proposées, et que les lignes directrices du gouvernement sont trop générales pour être utiles. « Je mets quiconque au défi de trouver un champ des sciences, technologies, ingénieries et mathématiques qui ne s’inscrirait pas quelque part dans cette liste. »

Le gouvernement restreint les partenariats de recherche

Le gouvernement fédéral a annoncé en février qu’il augmenterait les restrictions touchant les collaborations scientifiques qui pourraient poser un risque pour la sécurité nationale. Le projet pilote du CRSNG constituera la pierre angulaire du resserrement des règles relatives aux partenariats internationaux qui s’appliquera bientôt aux concours des Instituts de recherche en santé du Canada, du Conseil de recherches en sciences humaines et de la Fondation canadienne pour l’innovation. Dans un communiqué signé par trois ministres, il est expliqué qu’« une demande de subvention de recherche dans un domaine sensible sera refusée si l’un des chercheurs travaillant sur le projet est affilié à une université, un institut de recherche ou un laboratoire rattaché à une organisation militaire ou à un organisme de défense nationale ou de sécurité d’État d’un acteur étatique étranger qui représente un risque pour notre sécurité nationale ».

Bien qu’on n’y nomme aucune organisation ni aucun pays explicitement, il est généralement admis que les laboratoires et les entreprises chinoises présentent un risque particulier en raison de leurs liens étroits et souvent nébuleux avec les forces armées ainsi que des allégations d’usage abusif des droits de propriété intellectuelle. On peut penser entre autres à cet incident de novembre 2022, où la Gendarmerie royale du Canada a arrêté un employé d’Hydro-Québec soupçonné de voler des secrets commerciaux pour la Chine. Plus tôt la même année, le gouvernement du Canada avait exclu les fournisseurs Huawei et ZTE des réseaux 5G au pays, car on craignait qu’ils puissent « être contraints à se conformer à des directives extrajudiciaires d’un gouvernement étranger qui iraient à l’encontre des lois canadiennes ou seraient préjudiciables aux intérêts du Canada ».


À lire aussi : Des universitaires s’inquiètent des répercussions liées à l’exclusion de Huawei


Selon Paul Dufour, chercheur principal à l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique de l’Université d’Ottawa, la déclaration vague des ministres et le manque de précision des lignes directrices quant aux domaines et aux partenaires à éviter risquent d’avoir un effet dissuasif. « Il est impossible pour les chercheurs et chercheuses de déterminer quel partenariat vaut la peine d’être exploré », explique-t-il.

Un.e porte-parole du CRSNG a affirmé que la décision de soumettre une demande à une évaluation de risque pour la sécurité nationale est prise au cas par cas et que les organismes subventionnaires collaborent avec les agences de sécurité nationale et le milieu de la recherche pour faire appliquer les nouvelles règles. Le CRSNG a également précisé dans une déclaration que des directives claires seront fournies à la communauté scientifique pour qu’elle puisse respecter la nouvelle politique comme il se doit.

M. Dufour s’inquiète aussi du fait que ces règles de sécurité augmentent le fardeau administratif des personnes qui présentent une demande de subvention. « Le formulaire d’évaluation des risques est exhaustif et s’ajoute à de nombreux autres formulaires portant entre autres sur l’éthique, la science ouverte et la sécurité. Le processus devient franchement lourd. »

Charmaine Dean, vice-rectrice à la recherche et aux affaires internationales à l’Université de Waterloo, reconnaît que le processus d’évaluation des risques du gouvernement fédéral peut être « terriblement compliqué à naviguer » pour les chercheurs et chercheuses, mais ajoute que les universités disposent de membres du personnel pouvant les aider. « Les chercheurs et chercheuses ne sont pas seul.e.s, on leur répète sans cesse. »

Selon elle, il ne sera toutefois pas possible d’évaluer les risques liés à chaque demande de subvention tant que le gouvernement ne clarifiera pas les domaines et les universités et organisations étrangères qui représentent un risque. Mme Dean et d’autres gestionnaires universitaires sont en pourparlers avec le gouvernement à ce sujet. « Nous nous attendons à ce que des décisions soient prises au cours des prochains mois », confie-t-elle.

Pour sa part, M. Gaffield croit que l’évaluation des risques deviendra éventuellement une autre étape banale du processus de demande au même titre que l’évaluation éthique. Il ajoute que des ressources sont déjà à la disposition des universitaires pour les aider à mieux comprendre le nouveau système. « Nous voulons ouvrir la recherche le plus possible sans compromettre la sécurité. Il ne faut pas que quelques projets risqués nous empêchent de mener des travaux de recherche de calibre mondial. »

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