L’équité menstruelle débarque sur les campus universitaires
Des projets pour rendre les produits menstruels plus facilement accessibles prennent forme d’un bout à l’autre du pays.
En 2018, Hayley Newman-Petryshen, étudiante de deuxième année en développement international et politiques publiques, a eu ses règles pendant qu’elle était sur le campus. Malheureusement, elle n’avait aucune protection menstruelle sur elle.
Elle a trouvé un paquet de trois tampons au magasin du campus de l’Université Wilfrid Laurier. « Le prix était exorbitant », déplore-t-elle. Mme Newman-Petryshen a payé pour ne pas manquer son cours, mais s’est promis de trouver une meilleure solution pour les autres personnes qui pourraient se retrouver dans une situation similaire.
C’est ainsi qu’ont commencé des années de plaidoyer pour encourager l’Université à fournir des produits menstruels gratuitement dans ses toilettes pour lutter contre la précarité menstruelle. Évaluant que la précarité menstruelle touche 17 % des personnes qui ont leurs règles au Canada, le gouvernement fédéral la définit comme un manque d’accès aux produits menstruels à l’éducation, aux installations d’hygiène ou à la gestion des déchets.
« Nous avons dû surmonter beaucoup d’obstacles à l’échelle de l’établissement », explique Mme Newman-Petryshen, citant notamment les demandes visant à en prouver la nécessité. « Ça me semblait juste tellement évident. Je me disais : “Je ne sais pas comment vous prouver que les gens ont besoin de produits de base dans les toilettes”. »
Ses efforts ont conduit à quelques distributions gratuites, à la création d’un comité pour l’équité menstruelle et à la réalisation d’une enquête. Cette dernière a révélé que 77 % des étudiant.e.s qui ont leurs règles ont été pris.e.s au dépourvu sur le campus et que 38 % avaient du mal à se payer des produits menstruels.
Au début de 2022, pendant que Mme Newman-Petryshen poursuivait sa maîtrise en sciences politiques à l’Université McGill, l’Université Wilfrid Laurier a enfin lancé un projet pilote pour offrir des serviettes hygiéniques et des tampons dans une fraction de ses toilettes – seulement 14 d’entre elles.
S’il y avait très peu de sensibilisation aux questions menstruelles sur les campus quand Mme Newman-Petryshen a commencé à s’y consacrer, la situation a considérablement évolué.
« Les menstruations ont enfin leur moment de gloire. Tout le monde en parle », explique Lisa Smith, professeure de sociologie spécialisée en équité menstruelle au Collège Douglas en Colombie-Britannique. Celle qui a commencé à travailler sur le sujet il y a quelques années en raison d’un projet avec une collègue se souvient aussi d’une situation où elle a « failli ne pas arriver à temps au cours » à cause de l’arrivée soudaine de ses règles qui l’a poussée à courir au magasin du campus pour acheter des protections souvent vendues à des prix exorbitants.
En 2021, l’Université Concordia, l’Université de Calgary et l’Université d’Ottawa ont lancé des projets pilotes pour offrir des produits menstruels gratuits dans certaines de leurs toilettes. L’Université de Toronto a emboîté le pas l’année suivante. En 2023, l’Université de la Saskatchewan, l’Université du Manitoba, l’Université McMaster et l’Université de Waterloo ont lancé des initiatives similaires.
Ailleurs au Canada, de nombreux conseils scolaires se sont engagés en faveur de l’équité menstruelle et ont commencé à financer des produits. De plus, depuis le 15 décembre 2023, tous les employeurs sous réglementation fédérale ont l’obligation de fournir gratuitement des produits menstruels à leur personnel.
Aujourd’hui, la nécessité de ces mesures est clairement illustrée par les données. Selon son rapport d’impact, l’Université d’Ottawa a distribué plus de 13 000 produits en deux ans. De son côté, le groupe de recherche sur le cycle menstruel de Mme Smith a découvert qu’en 2021 – un an avant l’introduction des produits gratuits au Collège Douglas –, près de 28 % des distributeurs étaient défectueux ou vides. De plus, la librairie facturait à tort la taxe de vente sur les serviettes hygiéniques et les tampons, et 49 % des étudiant.e.s avaient été en retard ou avaient dû quitter ou manquer des cours à cause du manque d’accès aux fournitures menstruelles. Une étude de 2021 a révélé que la douleur liée aux menstruations, la stigmatisation et le manque d’installations sanitaires perturbaient la présence, la concentration et la performance des étudiant.e.s.
« Que peut-on en conclure en matière d’équité des genres et d’accès aux espaces éducatifs? Tout simplement que ces espaces ne sont pas faits pour les corps menstrués », observe Lindsay Larios, professeure adjointe en travail social à l’Université du Manitoba.
Mme Larios participe à un projet pilote comprenant un audit complet du campus sur la disponibilité des produits menstruels, un sondage étudiant – basé sur les travaux de Mme Smith –, une exposition artistique et un panel. « Nous voulons orienter la conversation vers une approche axée sur la justice », ajoute-t-elle. D’autres établissements, dont l’Université Concordia, mènent également des enquêtes et entament des discussions sur l’équité menstruelle.
Il est important de noter que la précarité menstruelle touche également les étudiant.e.s en dehors du campus. « Les menstruations ne se produisent pas uniquement dans les espaces publics. Les gens rencontrent souvent des difficultés à la maison que nous ne pouvons pas résoudre comme sur le campus », indique Mme Smith. Abondant dans le même sens, Mme Larios souligne également que l’équité menstruelle est aussi liée au statut socio-économique, à la race, à la culture, voire à la violence conjugale. Pour mieux faire face à la douleur – et à la stigmatisation –, les personnes menstruées ont besoin d’un accès continu et abordable aux produits de leur choix. Cela inclut les contraceptifs hormonaux, qui peuvent contrôler la douleur et la fréquence des règles, tandis que les personnes qui souffrent de graves douleurs menstruelles, possiblement en raison de conditions sous-jacentes comme l’endométriose, ont besoin de soins de santé et de médicaments.
Bien sûr, les femmes canadiennes ne sont pas les seules à avoir du mal à obtenir ces produits. Grâce au financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Salmata Ouedraogo, professeure d’économie à l’Université du Québec à Chicoutimi, étudie comment les femmes vivant au Burkina Faso font face aux mêmes défis (le principal étant qu’elles vivent dans des zones forestières reculées avec peu ou pas d’accès aux produits). Après avoir vu la situation de près, Mme Ouedraogo a lancé une campagne de financement pour acheter et distribuer 400 trousses de produits réutilisables et prévoit de poursuivre ses recherches dans les années à venir.
Au Canada, la logistique de la distribution gratuite de produits menstruels dans les toilettes est différente selon les établissements. Certains s’appuient sur des bénévoles étudiant.e.s ou des sous-traitants, en cherchant du financement auprès de différentes sources. Par exemple, l’Université Wilfrid Laurier utilise une entreprise externe pour remplir les distributeurs et son projet pilote est financé par le comité consultatif des affaires étudiantes.
À l’Université d’Ottawa, c’est la chef de l’unité Recyclage et services sanitaires, Brigitte Morin, qui dirige le projet pilote. « C’est logique que les services de nettoyage soient impliqués. Il s’agit d’un besoin humain. Les personnes menstruées doivent avoir accès à ces produits. Pour moi, c’est la même chose que le papier toilette », explique-t-elle. L’idée d’offrir des produits gratuits vient des étudiant.e.s, mais elle est maintenant financée et administrée par l’Université.
Mme Morin indique qu’il a été difficile de trouver des distributeurs solides, faciles à recharger pour le personnel et offrant un seul produit. (Les paniers placés sur les comptoirs de certaines toilettes peuvent se vider rapidement – témoignant de la prévalence de la précarité menstruelle – en plus d’être difficiles à nettoyer). Elle ajoute que la main-d’oeuvre est la dépense la plus importante du projet pilote, et non les produits. Selon elle, le coût total est difficile à estimer – il est aussi plus élevé au début, car l’établissement doit acheter des distributeurs. L’Université Western a divulgué son budget pour son programme Free the Dot : 800 000 dollars sur deux ans. La plupart des universités canadiennes, cependant, en sont encore au stade du projet pilote et n’ont pas encore déployé de distributeurs dans chaque toilette – il faudra donc attendre longtemps avant de pouvoir en évaluer le coût et l’incidence.
Depuis l’obtention de son diplôme à l’Université McGill au printemps dernier, Mme Newman-Petryshen se consacre à la défense des droits menstruels à plein temps par l’intermédiaire de Free Periods Canada et de Dignité mensuelle, à Montréal. Elle espère aller au-delà du simple accès, soit que les serviettes hygiéniques et les tampons deviennent aussi courants que le papier toilette dans les toilettes publiques, et se demande si les réglementations en matière de santé et de sécurité finiront par changer. « C’est un peu comme les ceintures de sécurité. La loi devient la norme. »
À l’avenir, la défense des droits menstruels pourra explorer des questions complexes comme les barrières systémiques, les problèmes environnementaux et la pauvreté, souligne Mme Newman-Petryshen. « Nous aurons beau donner des serviettes et des tampons gratuits à tout le monde, si ces personnes n’ont pas d’argent pour acheter de la nourriture à la base, elles ne pourront toujours pas se nourrir. »
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
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