L’éternelle lutte des universités face à l’épidémie d’opioïdes

La population étudiante délaisse l’alcool pour consommer davantage d’autres substances. Les établissements prennent les mesures nécessaires pour réduire les risques.

22 octobre 2024

Les universités sont des lieux d’apprentissage. Mais avec la crise des opioïdes qui fait toujours des milliers de victimes chaque année au pays, les campus investissent aussi des efforts et des ressources pour se préparer à la réalité qu’une partie de leurs étudiantes et étudiants consomment, à leur insu ou non, des substances potentiellement mortelles.

C’est une réalité que l’on ne peut nier depuis le décès de Sidney McIntyre-Starko, une étudiante de première année à l’Université de Victoria, victime d’une surdose de fentanyl en janvier dernier. La jeune femme de 18 ans a subi un arrêt cardiaque dans sa chambre de résidence avant de rendre l’âme cinq jours plus tard, selon sa famille.

L’Université Carleton s’est engagée, en collaboration avec le Collège Algonquin, à sensibiliser l’ensemble du campus aux risques de la consommation d’opioïdes et aux stratégies pour prévenir les surdoses et les intoxications. L’établissement d’Ottawa met maintenant à disposition 19 boîtes (bientôt 26) contenant de la naloxone en vaporisateur nasal, réparties entre des lieux clés du campus, notamment dans les résidences, où l’on en compte 10. Le personnel, le corps professoral et la population étudiante ont accès à des formations sur les signes d’une personne en difficulté et les façons d’administrer la naloxone, où l’on confirme notamment l’innocuité de la naloxone si la personne n’est pas en surdose. L’établissement tient à offrir la substance sous cette forme étant donné la réticence de beaucoup à administrer des injections. Il travaille à réduire les méfaits sur le campus depuis plusieurs années, étant passé de la prévention en matière de consommation excessive d’alcool à la sensibilisation aux autres substances.

L’Université Carleton propose aussi un site Web regorgeant de renseignements, notamment sur les aspects juridiques – ceux-ci indiquent que la Loi de 2001 sur le bon samaritain de l’Ontario protège les gens qui assistent une personne en surdose. Le personnel de sécurité de l’établissement, tout comme une équipe bénévole d’étudiantes et d’étudiants qui sont premiers intervenants, reçoit une formation standardisée sur la gestion des situations impliquant des substances. L’Université offre des activités de sensibilisation à la sécurité en contexte festif, et organise des publications sur les médias sociaux et des discussions de groupe sur les divers problèmes pouvant survenir lors de la consommation de substances, particulièrement en ce qui a trait à la consommation par inadvertance d’une substance potentiellement fatale – le cas de figure le plus répandu dans la population étudiante.

L’établissement compte aussi un poste de gestionnaire de la conduite étudiante et de la réduction des méfaits, dont la mission est de sensibiliser – peu importe à quel degré –  le plus de membres de la communauté étudiante possible, par le biais de la stratégie Umbrella Project. Celle-ci prône une approche réaliste et diversifiée auprès des jeunes.

« Notre démarche n’est pas basée sur l’abstinence, explique le gestionnaire Dillon Bradley. Nous proposons différents paliers de communication et de soutien. Nous voulons que les gens vivent leur vie à leur manière, tout en minimisant les risques. »

Les initiatives de l’Université Carleton ont le vent en poupe depuis la décision récente de l’Ontario de rendre la naloxone en vaporisateur facilement accessible. La province aurait envoyé en juillet une note aux établissements d’enseignement supérieur pour souligner l’importance de prévoir des mesures efficaces pour contrôler les risques liés aux opioïdes, emboîtant le pas à la Colombie-Britannique, où de rigoureuses exigences ont été mises en place en réaction au décès de Sidney McIntyre-Starko. En effet, les 25 établissements de la province de l’Ouest doivent maintenant respecter certaines lignes directrices. La famille de la défunte soutient que les services de sécurité du campus ont mis du temps à intervenir et ont attendu au moins 12 minutes avant d’administrer la naloxone après leur arrivée sur les lieux.

Malgré les inquiétudes régnant au pays et les initiatives en Colombie-Britannique et en Ontario, le coup de sonde qu’Affaires universitaires a lancé auprès de 10 établissements en dehors de la Colombie-Britannique laisse à penser que les approches d’intervention varient considérablement.

Deux établissements ont décrit sommairement leurs politiques. À l’Université de Toronto, « s’il y a une urgence médicale, les membres de la communauté devraient composer le 911 pour obtenir l’assistance des services d’intervention d’urgence municipaux. L’équipe responsable de la sécurité sur le campus est formée à administrer la naloxone et en a toujours sur elle lorsqu’elle est la première sur les lieux. » À l’Université Concordia, située au centre-ville de Montréal, l’équipe de sécurité est formée à administrer la naloxone mise à disposition sur les lieux. « Notre service de soins de santé a lui aussi des trousses, mais il n’a pas encore eu besoin de s’en servir », répond par écrit la porte-parole de l’Université, Vannina Maestracci.

Des établissements ailleurs au pays expliquent sinon avoir instauré diverses stratégies depuis les dernières années.

À l’Université de Winnipeg, les mesures sont devenues plus proactives depuis l’an dernier; le personnel de sécurité a été formé à l’administration de la naloxone et a reçu l’équipement nécessaire. Il ne s’agissait pas d’une décision « en réaction à un incident particulier », indique Caleb Zimmerman, directeur du marketing et des communications de l’établissement. « Les opioïdes sont encore un enjeu de santé publique majeur au Canada. Il était crucial d’avoir les moyens d’utiliser la naloxone. Nous sommes au cœur du centre-ville de Winnipeg, et nous voulions être en mesure d’aider toute personne sur notre campus ou à proximité qui en aurait besoin ».

En plus d’offrir des trousses de naloxone et de la formation à quiconque le demande sur le campus, l’Université de Winnipeg a aussi rédigé des politiques détaillées sur les services d’accompagnement et la redirection pour le traitement des étudiantes et étudiants, en insistant sur l’absence de jugement et sur son approche de réduction des méfaits.

Scénario semblable à l’Université de l’Alberta : des trousses de naloxone sont accessibles dans les résidences étudiantes, et l’ensemble du personnel de la vie en résidence – étudiant ou non étudiant – doit suivre une formation de secourisme. L’Université finance également une initiative étudiante particulière, le projet « FentaNIL », qui vise à réduire les dommages causés par les surdoses sur le campus et à l’extérieur, explique Michael Brown, stratège en médias au bureau de la vice-rectrice des affaires externes.

À l’Université York, des mesures sont prises depuis 2017. On avait alors distribué des trousses de naloxone à l’équipe de sécurité et formé tout le personnel, dont les responsables d’étage, aux enjeux des opioïdes et du fentanyl. L’établissement propose aussi des tutoriels en ligne et des liens vers des ressources sur la consommation de substances et les problèmes de santé mentale. Son approche est axée sur la réduction des méfaits et son équipe de sensibilisation à la santé met à disposition des étudiantes et étudiants de la documentation pour les informer lors d’ateliers ou d’activités.

Il n’existe aucun recensement national des décès par intoxications aux drogues ou par surdose dans les établissements d’enseignement supérieur; aucun des établissements sondés par Affaires universitaires dans le cadre de cet article n’avait rapporté de décès sur leur campus. Cependant, les statistiques globales indiquent que les jeunes sont à risque, même si les personnes les plus touchées sont celles de 30 à 49 ans. Selon un article scientifique, les décès causés par les opioïdes chez les 15 à 24 ans se sont multipliés de près de 370 pour cent entre 2013 et 2021, passant de 2,6 à 12,2 personnes sur 100 000, ce qui équivaut à 1 021 décès sur la période.

Le Bureau des coroners de la Colombie-Britannique a publié en mai dernier des données qui indiquaient le décès de 126 personnes de moins de 19 ans entre 2019 et 2023, soit environ 25 personnes par année, et environ 1 500 décès chez les 19 à 29 ans, soit environ 300 par année. Selon des travaux publiés dans la revue Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada : Recherche, politiques et pratiques, la Colombie-Britannique est la province canadienne avec le taux de mortalité lié aux opioïdes le plus élevé, suivie de l’Alberta.

Le problème risque de faire parler de lui dans le milieu postsecondaire à mesure que les habitudes de consommation de la population étudiante se transforment. Même si l’Université Carleton met toujours en garde ses cohortes quant à la consommation d’alcool avant les événements propices aux abus, comme les parties de football, l’Halloween et la Saint-Patrick, concrètement, la consommation d’alcool n’est plus aussi problématique qu’elle l’était à l’époque.

« Il y a cinq ou dix ans, notre principal problème, c’était l’alcool, se remémore M. Bradley. Depuis, les sujets qu’on aborde ont vraiment changé. On parle davantage de la consommation de substances au sens large ». Considérant que la période après le secondaire est souvent riche en expérimentations, les risques guettent surtout les jeunes qui ne consomment pas régulièrement de drogues, mais dont la consommation est occasionnelle ou nouvelle.

« Notre public cible est large; nous visons les gens qui sont le plus à risque de consommer sans le savoir, soit celles qui sont le plus à risque d’éprouver des difficultés », explique M. Bradley. Il ajoute que les établissements postsecondaires ne doivent pas être les seuls à mener ces initiatives. « La sensibilisation doit commencer au secondaire. Si on informait mieux et sans jugement les jeunes pendant cette période, les étudiantes et étudiants seraient mieux préparés en arrivant chez nous ».

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