L’initiative de liberté de choix des étudiants en Ontario : associations étudiantes fortement touchées

Les approches face à la politique controversée varient d’une université à l’autre, laissant certains établissements moins bien outillés.

12 novembre 2019
Brock University

Les étudiants profitent généralement de l’été pour se changer les idées en oubliant les études, mais ça n’a pas été le cas cette année pour Bilal Khan, président de l’association étudiante de l’Université Brock. Pendant que d’autres travaillaient ou s’offraient des vacances, M. Khan et ses collègues étaient en train de revoir leurs plans pour la prochaine année. En effet, de nombreux services aux étudiants risquent de perdre leur financement, à la suite de la mise en place de l’initiative pour la liberté de choix des étudiants annoncée en janvier par le gouvernement de l’Ontario.

« Nous avons travaillé fort sur notre stratégie de marketing et de communication pour démontrer la valeur de nos services et de nos programmes », affirme M. Khan.

Née de la volonté du gouvernement provincial de réduire de 10 pour cent les droits de scolarité au niveau postsecondaire, l’initiative crée deux catégories de frais non liés aux droits de scolarité : ceux qui sont essentiels, et ceux qui sont accessoires. Ainsi, les étudiants sont désormais libres de payer certains, ou aucun, frais accessoires. Les frais essentiels servent à financer l’entretien des immeubles, les programmes de sécurité sur le campus et les services de santé et de counseling, tandis que les frais accessoires servent à payer les cotisations étudiantes et à financer les journaux étudiants, les banques alimentaires, les clubs et autres.

La politique ne précise pas la manière dont ce changement doit être communiqué aux étudiants ni le processus de désistement. La façon de la mettre en œuvre a donc varié d’un établissement à l’autre. Eric Chappell, président de l’association étudiante de l’Université Laurentienne, explique que la confusion était grande parmi les leaders étudiants. « Nous étions tous un peu dépassés par la situation. »

Selon la méthode préconisée par l’Université Laurentienne, les étudiants doivent passer tous les frais en revue et indiquer ceux qu’ils souhaitent payer avant de pouvoir s’inscrire à leurs cours. « Pour nous, l’information devait être claire, transparente et accessible », affirme M. Chappell. Résultat : un taux de désistement de 90 pour cent et plus pour la plupart des frais, et de 70 pour cent dans le meilleur des cas. Par exemple, 90 pour cent des étudiants ont choisi de ne pas financer le journal The Lambda, forçant ainsi les éditeurs à abandonner la version papier. Cette perte de financement a aussi fait en sorte que L’Orignal déchaîné, le journal francophone produit par des bénévoles et financé par l’Association des étudiantes et étudiants francophones de l’Université Laurentienne, sera réduit à un seul numéro en format papier cette année au lieu de quatre, comme auparavant.

De nombreux établissements, dont les universités Brock et de Toronto, ont intégré le mécanisme de désistement à leur portail étudiant et fixé une date butoir au-delà de laquelle les étudiants se voient automatiquement facturer tous les frais accessoires. M. Chappell mentionne qu’en général, ces établissements enregistrent une baisse moins marquée du désistement.

Pour compliquer encore davantage les choses, certains frais ont été revus à la hausse de façon préventive, comme les frais annuels pour financer la semaine d’accueil à l’Université Laurentienne. Par le passé, chaque étudiant payait 20 $ annuellement pour ces activités, mais cette année, la facture est passée à 115 $ pour ceux qui ont choisi de l’acquitter. M. Chappell explique que cette hausse était nécessaire pour maintenir un budget comparable à celui des années précédentes, mais que certains étudiants se sont sentis floués. « Ils ne comprenaient pas pourquoi les frais devenaient soudainement aussi élevés. »

À l’Université Brock, où le mécanisme est intégré au portail, environ 20 pour cent des étudiants au premier cycle ont décidé de ne pas payer les 11 frais accessoires, et 10 pour cent des étudiants aux cycles supérieurs ont fait de même pour leurs deux uniques frais accessoires. Malgré le taux de désistement relativement bas, le manque à gagner a tout de même grimpé à près de 500 000 dollars, si bien que l’association étudiante a dû se résoudre à faire des mises à pied. M. Khan mentionne que, comme dans le reste de la province, les clubs et les médias étudiants ont été particulièrement touchés.

Puisque l’initiative pour la liberté de choix des étudiants n’a jamais existée ailleurs au pays, M. Khan estime qu’il est difficile de savoir comment réagir dans les circonstances. À l’Université Brock et à l’Université Laurentienne, les frais accessoires étaient calculés pour l’année complète et il n’y avait qu’une seule période de désistement. À l’Université de Toronto, le cycle de facturation et de désistement revient toutefois chaque semestre, ce qui complique les prévisions budgétaires.

Les associations étudiantes font ce qu’elles peuvent pour soutenir les groupes en difficulté. M. Khan explique qu’à l’Université Brock, on cherche de nouvelles façons de compenser les pertes, mais que l’exercice s’avère ardu. « Je crois que nous [les associations étudiantes] et les autres groupes à risque sommes très conscients des défis politiques et financiers auxquels fait face le milieu étudiant. »

Les étudiants sont nombreux à croire que la politique vise à limiter l’autonomie des établissements postsecondaires. Ces soupçons ont d’ailleurs été renforcés par un courriel de Doug Ford à ses donateurs, dans lequel le premier ministre déclarait que « les étudiants ont été forcés de joindre l’association et de payer pour ces associations », et que « tout le monde sait à quel genre d’absurdités marxistes insensées s’adonnent ces associations étudiantes ». La Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – la plus grande association étudiante au pays – et la fédération des étudiants de l’Université York contestent l’initiative devant les tribunaux.

Plusieurs étudiants affirment en outre que la politique touche les groupes les plus vulnérables de façon disproportionnée. Des représentants du centre sur l’éducation sexuelle et de l’organisme LGBTOUT de l’Université de Toronto ont par exemple déclaré au journal étudiant The Varsity que l’initiative du gouvernement diminuait leur capacité à servir adéquatement leur clientèle.

MM. Khan et Chappell disent tous deux que l’initiative leur a fait réévaluer leur rapport avec le milieu étudiant. « Nous n’avons jamais connu de situation semblable, d’une pareille intensité, où nous devons démontrer notre valeur aux étudiants, affirme M. Chappell. Nous devons leur faire comprendre ce que leur rapporte chaque dollar, et ce n’est pas chose simple. »

Pour ce qui est de l’avenir, il affirme être en contact avec d’autres leaders étudiants pour réfléchir à la suite des choses. « Il s’agit d’un changement tellement profond et la situation est si incohérente à l’échelle de la province que j’ai du mal à croire que les choses puissent en rester là. »

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