Retard de diplomation universitaire des francophones : mythe ou réalité?
Deux approches méthodologiques conduisent à des résultats différents quant au retard rapporté de diplomation universitaire des Québécois francophones.
Le taux d’obtention de diplômes universitaires des Québécois francophones a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines. Au cœur du débat : deux approches méthodologiques qui mènent à des conclusions différentes quant à l’écart qui existerait entre le taux de diplomation universitaire des Québécois, des Ontariens et des Canadiens ainsi que celui qui diviserait les anglophones et les francophones du Québec.
Une étude de deux chercheurs du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), Robert Lacroix, professeur et recteur émérites à l’Université de Montréal, et de Louis Maheu, professeur émérite à l’Université de Montréal, a semé l’émoi. Publiée dans Le Québec économique 7 – Éducation et capital humain, elle démontre que le taux d’obtention de diplômes universitaires des Québécois francophones est en deçà de ce qu’il devrait être en raison de leur poids démographique au Québec.
C’est en comparant le taux québécois d’obtention de diplômes de baccalauréat, de maîtrise et de doctorant entre 2001 et 2012 à celui du Canada et de l’Ontario qu’ils arrivent à la conclusion que « la scolarisation universitaire des Québécois et spécialement celle des Québécois francophones n’ont pas encore rattrapé le niveau atteint à cet égard par l’ensemble du Canada et par l’Ontario ». Les auteurs identifient quelques facteurs contribuant à ce qu’ils qualifient de « retard des francophones en diplomation universitaire », soit une faible valorisation des formations universitaires, des problèmes organisationnels et de rendement des universités ainsi que des politiques publiques déficientes.
Données à l’appui, les deux chercheurs écrivent qu’« en 2012, du total des baccalauréats décernées au Québec, 68,4 pour cent avaient été octroyés à des étudiants de langue maternelle française et 31,6 pour cent à des étudiants anglophones ou allophones. Pourtant, en 2011, les francophones comptaient pour 78,1 pour cent de la population du Québec, alors que les anglophones et les allophones n’en formaient que 21,9 pour cent ».
Dans une vidéo préenregistrée diffusée dans le cadre du colloque d’une journée sur l’éducation organisé par le CIRANO le 30 janvier dernier, MM. Lacroix et Maheu pointent du doigt la nécessité de réussir deux années au cégep avant d’accéder à l’université comme jouant un rôle dans la sous-performance des Québécois francophones dans l’obtention d’un diplôme de baccalauréat. « Cette structure particulière entraîne une déperdition de candidats à l’université et quand ils arrivent à l’université, ils prennent plus de temps pour en finir ou ils prennent des voies détournées pour avoir leur diplôme de 1er cycle », affirme M. Lacroix.
Par « voies détournées », celui-ci fait notamment référence à la proportion élevée d’autres diplômes de 1er cycle émis par les universités québécoises, tels que des certificats, des attestations ou des diplômes. « On forme 75 pour cent des diplômes courts de l’ensemble du Canada, ça n’existe pratiquement pas ailleurs au Canada », ajoute-t-il.
S’ils reconnaissent que sur le plan de la fréquentation universitaire les attentes de la commission Parent (une commission royale d’enquête qui a fait état de la situation de l’éducation au Québec dans les années 1960) ont été largement débordées, ils doutent de l’efficacité du cheminement qui mène à l’acquisition de grades universitaires. « Du point de vue de la diplomation, on ne peut pas dire que la scolarisation se soit améliorée, elle s’est détériorée quand on compare les résultats atteints par les francophones québécois par rapport à ceux des Québécois anglophones et allophones », soutient M. Maheu.
Coauteurs d’une note de recherche portant sur l’accès à l’université, les chercheurs Pierre Doray et Benoît Laplante, respectivement professeur en sociologie à l’Université du Québec à Montréal et professeur spécialisé en démographie sociale et dans les méthodes statistiques en sciences sociales à l’Institut national de recherche scientifique, remettent en question l’approche méthodologique de leurs collègues. Ils invitent à la prudence quant aux interprétations qui peuvent être tirées de certaines données en fonction de leur type.
À leur avis, contrairement aux données du recensement qui permettent de travailler sur un instantané de la population à un moment donné, « utiliser des données administratives sur le nombre de diplômes émis par année ne peut pas permettre, à moins de faire des hypothèses extrêmement hardies, de parler de l’état de la population à un moment donné ».
Les deux chercheurs qui ont mené une recherche en utilisant les données du recensement de 2001 se sont dits surpris d’apprendre la teneur de l’étude de leurs collègues. M. Laplante qualifie la conclusion que les Québécois francophones aient un retard de diplomation universitaire d’« erreur de méthode ». « Quand on compare les comparables, c’est-à-dire les francophones du Québec, nés au Québec, vraisemblablement scolarisés au Québec, et les anglophones de l’Ontario, nés en Ontario et vraisemblablement scolarisés en Ontario, la proportion de diplômés universitaires est inéluctablement la même, dans les données de 2001, c’était 21 pour cent. »
Conscients des défis auxquels fait face l’éducation supérieure au Québec, les chercheurs ont tenu à préciser qu’à leurs yeux « le projet d’accessibilité est inachevé ». « Ce n’est pas parce qu’on dit aujourd’hui que les écarts entre les francophones du Québec et les groupes comparables n’existent plus que les mécanismes d’accessibilité actuels fonctionnement à merveille et qu’il n’y a pas encore des choses à améliorer ou des stratégies à développer. »
S’ils estiment que ces questions d’accès, de poursuite des études, de diplomation, de persévérance dans l’enseignement postsecondaire sont cruciales pour la population du Québec et pour le développement individuel et collectif des Québécois, ils craignent que le débat ne puisse véritablement avoir lieu faute d’utiliser « la connaissance sérieuse qui pourrait être produite ».
MM. Doray et Laplante envisagent d’ailleurs de refaire l’exercice effectué avec les données du recensement de 2001 avec des données plus récentes. « On attend de voir quelles sont les informations qui seront mises à la disposition des chercheurs dans les données confidentielles du recensement de 2016. On va presque certainement refaire la même chose si les données le permettent », mentionne M. Laplante.
Postes vedettes
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Doyen(ne), Faculté de médecine et des sciences de la santéUniversité de Sherbrooke
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
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1 Commentaires
Il devrait être assez évident que comparer la proportion de la population totale des francophones à celle des diplômés n’a pas de sens sur le plan strictement statistique car c’est essentiellement la population des 18-35 (environ) qui ont des diplômes et non pas ceux entre 1 an et 100 ans… Il faudrait donc prendre la proportion de la population en âge d’avoir les diplômes analysés. Elle est peut-être la même mais peut-être pas. En somme l’étude critiquée semble bien utiliser les chiffres à la louche et « en gros »…Or, en sciences, même sociales, la rigueur méthodologique est de mise pour bien établir la réalité du phénomène étudié avant de proposer des « explications »…