Une nouvelle formule de financement, mais pas d’argent frais pour les universités québécoises

La réforme, bien que globalement bien accueillie, suscite des grognements en raison de la mesure sur la bonification du financement des inscriptions et de la diplomation dans certains programmes jugés prioritaires.

16 juillet 2024

Le gouvernement du Québec a dévoilé le 10 juin une nouvelle formule de financement des universités. Ces dernières dépendront moins du nombre d’inscriptions, mais sont incitées à décerner plus de diplômes dans certains secteurs prioritaires.
La formule de financement représente le fruit de plus d’un an de discussions entre le gouvernement et le milieu universitaire. « Elle répond à trois objectifs principaux : augmenter la contribution des établissements aux enjeux de main-d’œuvre; favoriser la vitalité du français et rehausser nos taux de diplomation, en particulier dans les régions non métropolitaines », résume la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry.

Plus de financement inconditionnel

La nouvelle formule introduit un changement majeur. Le financement inconditionnel passe en effet de 6 % à 33 %, alors que la portion liée au nombre d’étudiants en équivalent au temps plein (EETP) chute de 83 % à 50 %. Une modification très bien reçue par le milieu universitaire québécois.

« Cela assurera une meilleure stabilité et une plus grande prévisibilité aux universités, tout en réduisant la concurrence entre elles pour attirer des effectifs », affirme Mme Déry.

Au cours des dernières années, le niveau des EETP était soutenu par les inscriptions provenant de l’international ou du reste du Canada. Les inscriptions québécoises, elles, ont décliné de 4,43 % entre 2018-2019 et 2023-2024, selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur (MES).

Après un sommet en 2020-2021, le nombre d’EETP lui-même a fortement baissé et devrait continuer de diminuer jusqu’en 2027-2028, selon les prévisions du MES. Or, une partie des coûts des universités sont fixes et ne varient pas en fonction de la quantité d’inscriptions. Au fil des ans, la lutte entre les établissements pour recruter de nouvelles clientèles s’intensifiait.

« Les universités ouvraient des campus satellites parfois très éloignés, favorisaient des programmes qui attirent et dépensaient beaucoup en marketing, entre autres », souligne Pier-André Bouchard St-Amant, professeur de finances publiques à l’École nationale d’administration publique et directeur du Groupe de recherche en économie publique appliquée (GREPA).

Des hausses de droit de scolarité

La nouvelle formule de financement maintient les hausses de tarif pour les étudiantes et étudiants du Canada qui ne résident pas au Québec et pour celles et ceux provenant de l’étranger. Québec compte utiliser ces revenus supplémentaires pour combler le déséquilibre de financement entre les établissements anglophones et francophones et pour soutenir la francisation dans les universités anglophones.

Les universités McGill et Concordia contestent par ailleurs ces augmentations devant les tribunaux. La ministre Déry rappelle toutefois que la déréglementation des droits de scolarité de la population étudiante internationale adoptée en 2018 avait largement profité aux universités anglophones, mais défavorisé les universités francophones.

Le président du Bureau de coopération interuniversitaire, Christian Blanchette, ne croit pas que la décision a beaucoup de répercussions du côté des étudiantes et étudiants provenant de l’étranger, puisque les universités facturaient déjà au moins le nouveau tarif plancher. « Mais le changement pour les étudiants canadiens non-résidents du Québec est plus difficile à gérer pour certains établissements », admet-il.

Financement à la performance

Le gouvernement du Québec investit 170 millions de dollars pour bonifier le financement des établissements en fonction du nombre d’inscriptions et de diplômes décernés dans des disciplines jugées prioritaires. Une partie du financement (3 %) sera même directement liée aux résultats dans ces domaines. Cela poursuit la tendance amorcée avec le Programme de bourses Perspective Québec, qui offre un soutien financier important pour les personnes qui s’inscrivent dans certains programmes.

Cette approche a été vertement critiquée par la Table des partenaires universitaires, qui réunit des syndicats et des regroupements étudiants. « C’est un précédent dangereux, et nous craignons que ce ne soit qu’un premier pas dans cette direction », explique Madeleine Pastinelli, présidente de la Fédération des professeures et professeurs d’université du Québec.

Elle estime que les impératifs temporaires du marché ne sont pas toujours alignés sur les intérêts collectifs. Structurer le système universitaire en fonction des besoins du marché lui semble donc une mauvaise idée. Les syndicats soutiennent aussi que, puisque le gouvernement n’ajoute pas d’argent neuf dans les universités, favoriser certains programmes se fera nécessairement au détriment des autres et ouvre la voie à une université « à deux vitesses ».

« Nous doutons aussi de l’efficacité de la mesure, puisque les bourses Perspective Québec, adoptées dans le même esprit, n’ont pas démontré les effets attendus », soutient la syndicaliste. En mars dernier, Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal, admettait que malgré les 400 millions de dollars investis en deux ans dans ces bourses, le nombre d’inscriptions dans les programmes ciblés avait baissé dans son établissement.

Pour M. Bouchard St-Amant, il y a peu de chance que le financement lié aux résultats ait de grandes répercussions, en raison de la faible proportion qu’il représente dans l’ensemble (3 %).

Le GREPA a toutefois prévenu dans son mémoire que les retombées négatives d’une telle approche dépassent généralement ses effets positifs. « Des études montrent qu’elle peut mener à une réduction des admissions et à une augmentation de la sélectivité, qui peut nuire à des groupes minoritaires en diminuant leurs chances d’accéder à certains programmes et aussi défavoriser des établissements », explique le chercheur.

Ce n’est pas comment, c’est combien

La nouvelle formule introduit trois allocations particulières, pour les universités en région, les universités qui se consacrent à des missions de recherche spécifiques et celles qui remplissent des missions gouvernementales.

Cependant, elle ne prévoit pas de financement supplémentaire pour les universités québécoises. « En 2021, l’économiste Pierre Fortin estimait notre sous-financement à 1,3 milliard de dollars comparativement à l’ensemble des universités canadiennes, rappelle Christian Blanchette. Depuis, il y a eu un réinvestissement de 300 millions de dollars, ce qui laisse tout de même un milliard de dollars à rattraper. »

Le resserrement des finances publiques au Québec, qui affichaient un déficit record de 11 milliards de dollars au dernier budget, ne favorise toutefois pas un réinvestissement en enseignement supérieur. En attendant, les universités devront se concentrer sur la prochaine étape, soit la mise à jour de la grille pondérant le financement des domaines et des cycles d’études selon le coût moyen de formation. Celle-ci fera l’objet de discussions avec le MES au cours de la prochaine année.

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