Regards croisés sur les campements propalestiniens
De Halifax à Nanaimo, des campements propalestiniens ont été érigés sur plusieurs campus au pays à la fin la dernière année scolaire. Aujourd’hui, l’heure est au bilan.
De nouvelles manifestations propalestiniennes ont agité les campus canadiens récemment, notamment à l’Université Concordia et à l’Université de Toronto. Le moment est donc propice de dresser un bilan des protestations du printemps dernier, alors que de Halifax à Nanaimo, des campements propalestiniens avaient été érigés sur plusieurs campus.
Le 27 avril 2024, des étudiantes et étudiants érigent un campement propalestinien sur le terrain de l’Université McGill. Cette étincelle embrase rapidement d’autres campus. Les administrations universitaires se retrouvent alors confrontées à un mouvement de protestation inédit.
Le campement du campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) a débuté le 13 mai et a été démantelé volontairement le 1er juillet. « Au départ, ce devait être une protestation d’une ou deux journées, mais nous avons été rejoints par beaucoup de personnes qui appuyaient notre cause et le campement a finalement duré plusieurs semaines », raconte May Lim, l’une des organisatrices.
Les demandes des groupes militants d’UBC résument bien celles émises par les campements des autres universités. Ils réclament que leur établissement cesse d’investir dans des entreprises qui contribuent à la violation des droits de la personne des Palestiniennes et des Palestiniens, coupe les liens avec les universités israéliennes et condamne explicitement le génocide et le scolasticide (destruction massive et intentionnelle du système d’éducation) en cours, selon eux, à Gaza. En date du 2 décembre , l’intervention militaire israélienne à Gaza avait tué plus de 44 500 personnes, selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas pour la bande de Gaza. Les protestataires exigent également que l’université soutienne le droit au retour des réfugiées et réfugiés de la Palestine.
Roberta Lexier, professeure agrégée au Département d’éducation générale et de sciences humaines de Mount Royal University, explique pourquoi la guerre à Gaza a autant mobilisé les étudiantes et étudiants. « Israël demeure un allié du gouvernement canadien, et ses universités maintiennent des relations avec plusieurs établissements canadiens, rappelle la spécialiste des mouvements sociaux. Les étudiants peuvent donc formuler des demandes très concrètes envers leur propre université, ce qui favorise l’engagement. »
Des campus divisés
Plusieurs universités canadiennes avaient rapidement exprimé leur soutien au peuple ukrainien après l’invasion russe, mais la crise à Gaza les rend plus inconfortables, notamment parce qu’elle divise davantage les campus. Les administrations ont donc tenu à demeurer neutres, ce que des militants ont dénoncé.
« À peine deux mois après l’agression russe en Ukraine, UBC avait coupé ses liens institutionnels avec tous les établissements publics russes, mais dans le cas d’Israël, la même administration prétend qu’elle a le devoir de rester neutre », rappelle Mme Lim.
Le risque de dérapage, de tensions et d’affrontements dans la communauté étudiante est bien réel. Le 8 novembre 2023, l’Université Concordia a été le théâtre d’une altercation entre des individus propalestiniens et d’autres qui réclamaient le retour des otages détenus par le Hamas. Trois personnes ont été blessées et un individu a été arrêté.
Les actions et le langage de certains protestataires propalestiniens inquiètent ou choquent par ailleurs une partie des personnes juives membres de la communauté universitaire, qui se sentent visées, voire menacées. Depuis le début du mouvement de protestation, des organisations militantes ou des associations étudiantes ont par exemple glorifié le Hamas dans des déclarations publiques, et même défendu le terrible carnage du 7 octobre 2023 perpétré par ce groupe et ses alliés.
Rappelons que ces derniers ont alors tué près de 1 200 personnes en Israël, dont des centaines de civils, commis des viols et pris 251 otages. Des associations étudiantes de l’Université York ont clamé publiquement que cette attaque était « nécessaire et justifiée », et représentait un « acte fort de résistance ». L’Université a rapidement condamné ces affirmations qu’elle jugeait inacceptables.
Le populaire slogan « Du fleuve jusqu’à la mer » provoque aussi des tensions. Les protestataires propalestiniens soutiennent que cette phrase signifie que tous les Palestiniens et toutes les Palestiniennes doivent pouvoir vivre librement et voir leurs droits de la personne respectés. Mais plusieurs personnes juives y entendent plutôt un appel à la destruction d’Israël et à l’établissement d’un état arabe du fleuve Jourdain jusqu’à la Méditerranée. C’est d’ailleurs le sens que lui donne le Hamas.
Des étudiantes juives et des étudiants juifs vivent donc difficilement la présence de ces campements sur leur campus. L’Association des étudiants juifs en droit de McGill a ouvertement dénoncé celui qui s’est installé dans son établissement. « Ces campements violents et antisémites n’avaient aucun droit d’être sur le campus, assène le président Sam Benzaquen. Certains de leurs membres clamaient haut et fort que les Juifs devaient retourner en Europe ou en Irak. Ils ont pendu une effigie de Benyamin Nétanyahou. Ils ont barré l’accès à des édifices. Les étudiants juifs ne se sentaient pas en sécurité pour venir suivre leurs cours sur le campus. »
Jay Solomon, un porte-parole d’Hillel Ontario, abonde dans le même sens. Hillel Canada est actif dans neuf universités au pays. L’organisation offre plusieurs services, dont une ligne d’aide qui reçoit des plaintes d’étudiantes et d’étudiants qui jugent être victimes d’antisémitisme. Dans certaines universités, elle a été visée par des demandes d’une part de la communauté étudiante qui voulait l’expulser des campus.
« Depuis l’attaque du 7 octobre, la communauté juive vit une hausse du harcèlement, de l’antisémitisme, de l’intimidation et des appels à la violence et les étudiants juifs sont parmi les plus affectés par cela au Canada », avance M. Solomon. HiIlel dénonce notamment des appels à expulser les « sionistes » des campus, le blocage de l’édifice Bronfman de l’Université McGill, ou encore le fait que des militantes et militants masqués aient pris pour cible la salle du club Hillel Concordia.
Des campements diversifiés
Le son de cloche est bien différent du côté des protestataires propalestiniens qui estiment que les accusations d’antisémitisme sont montées en épingle pour faire taire leurs revendications. « La question pour nous n’est pas de savoir si une personne est juive ou arabe, mais si elle s’inquiète du génocide commis à Gaza, soutient Mme Lim. Plusieurs des membres de notre campement étaient des Juifs. Il y a beaucoup de désinformation, qui amène des gens à croire que nous voulons chasser les Juifs d’Israël ou d’autres trucs du genre, mais c’est faux. »
Des militantes et militants juifs ont effectivement été assez présents dès le départ dans les campements propalestiniens, notamment des membres de Voix juives indépendantes Canada (VJI – Canada). Cet organisme soutient la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), un mouvement fortement représenté dans les campements propalestiniens. Il vise à contraindre Israël à mettre fin à « son occupation et à sa colonisation de toutes les terres arabes », et à favoriser le retour des personnes réfugiées palestiniennes en tarissant ses sources de financement.
« L’une des valeurs au cœur de l’éthique juive est l’idée de B’tselem Elohim, selon laquelle tous les humains ont été créés à l’image de Dieu, et toutes les vies ont la même valeur et sont sacrées, explique Iso Setel, coordonnatrice des communications par intérim de VJI-Canada. Je rejette complètement l’idée que la reconnaissance de l’humanité des Palestiniens et de leur droit de vivre en paix serait menaçante ou antisémite. »
« À peine deux mois après l’agression russe en Ukraine, UBC avait coupé ses liens institutionnels avec tous les établissements publics russes, mais dans le cas d’Israël, la même administration prétend qu’elle a le devoir de rester neutre »
Pour elle, il y a une différence entre être menacé et se sentir politiquement inconfortable. « Personnellement, je crois que les campements étaient des espaces très positifs et interconfessionnels, ajoute-t-elle. Je n’avais jamais auparavant été dans un lieu où l’on pouvait conduire des cérémonies du sabbat en même temps que les musulmans répondaient à leur appel à la prière. C’est un mouvement qui défend les droits des Palestiniens. »
Yousef A., un étudiant palestinien membre de l’organisation Students for the Liberation of Palestine – Kjipuktuk (Halifax), qui a contribué à l’organisation d’un campement à l’Université Dalhousie, affirme que dans les premiers jours on y trouvait plus de personnes juives que musulmanes. Il préfère garder l’anonymat, parce qu’il craint des représailles. « Notre campement était pacifiste, mais des étudiants israéliens et des suprémacistes blancs nous ont harcelés, soutient-il. Nous devions effectuer une surveillance nuit et jour pour protéger les militants. »
Il précise que le mouvement n’est pas anti-juif, mais antisioniste. « Les gens qui sont pour Israël ont le droit d’exprimer leur position, mais nous avons aussi le droit de protester et de nous exprimer sur le campus », lance-t-il. L’utilisation du terme antisioniste a provoqué des débats entre les pro et les anti-campements. Pour certaines personnes, ce terme réfère à la négation du droit d’Israël d’exister, alors que pour d’autres, il signifie une opposition aux politiques menées par Israël, comme par exemple la colonisation de territoires palestiniens.
La manière forte et la manière douce
Pour les administrations universitaires, protéger la liberté d’expression tout en maintenant un sentiment de sécurité pour toutes les personnes, quelle que soit leur origine, leur foi religieuse ou leur opinion politique n’a pas été facile. Signe que le sujet demeure très sensible, elles ont à peu près toutes refusé nos demandes d’entrevues.
Les universités ont également subi une certaine pression politique. Les premiers ministres de l’Ontario et du Québec ont tous les deux exigé que les campements soient défaits, alors que la première ministre de l’Alberta s’est réjouie de l’intervention rapide de la police.
Dans la plupart des cas, les arguments des administrations universitaires contre les campements reposaient sur des notions de sécurité et de propriété privée, et non sur des idées politiques. Certaines ont fait appel à la police ou à des firmes de sécurité pour démanteler les campements ou les surveiller de près. « En général, les administrations universitaires préfèrent gérer à l’interne ce type de mouvement étudiant, mais cette fois elles ont réagi plus durement, en ayant recours aux tribunaux ou aux forces policières », s’étonne Mme Lexier.
Elle estime que cela témoigne d’un changement plus profond. « Ces établissements se voient de plus en plus comme des marques à protéger et considèrent leur campus comme un espace privé, plutôt que comme un lieu public dans lequel les manifestations sont légitimes », avance-t-elle. Les universités auraient également tendance à intervenir plus vite pour mettre fin à des débats sur la question palestinienne que sur d’autres sujets.
À l’Université de Calgary et à l’Université d’Alberta, les interventions ont été rapides et musclées. Les deux universités ont signifié immédiatement aux protestataires qu’ils contrevenaient aux règles de l’établissement en établissant une structure permanente et qu’elles considéraient leur campement comme une intrusion illégale sur un terrain privé. La police est intervenue dans les deux cas pour forcer le démantèlement des campements, qui n’ont pas duré deux jours.
L’Université du Québec à Montréal (UQAM) a préféré le dialogue. Le seul moment où l’université a pris la voie des tribunaux, c’est pour obliger les protestataires à respecter certaines règles de sécurité. « Pour ce qui est des aspects politiques, nous étions sûrs de pouvoir en venir à une entente », souligne le recteur Stéphane Pallage.
Dès la première semaine, il s’est rendu à la rencontre des manifestantes et manifestants. Ils ont parlé de sécurité, et il a écouté leurs demandes. Le 27 mai, l’UQAM a obtenu une injonction de la Cour supérieure, qui exigeait l’application de certaines règles de sécurité. Par la suite, une négociation s’est enclenchée. Les discussions ont eu lieu en présence de membres de l’administration, des syndicats, du corps étudiant et du directeur des Services à la vie étudiante. Ce dernier a agi comme interlocuteur au quotidien avec les militants.
« Il y a beaucoup de points de vue différents sur ce sujet dans la communauté universitaire et nous voulions que ce soit reflété dans ces discussions, souligne M. Pallage. D’ailleurs, j’ai aussi échangé avec des organisations juives qui exprimaient leurs propres craintes et demandes. »
Le recteur souhaitait protéger le droit de manifester, mais sans propos racistes ou appels à la violence. Il est intervenu pour interrompre la distribution de tracts jugés haineux et antisémites qui avait été déposés dans les bureaux de professeurs portant un nom à consonance juive ou perçus comme des défenseurs d’Israël. Les Services à la vie étudiante ont aussi demandé à des protestataires d’enlever des affiches qui comportaient le slogan « Intifada jusqu’à la victoire! ».
« Depuis l’attaque du 7 octobre, la communauté juive vit une hausse du harcèlement, de l’antisémitisme, de l’intimidation et des appels à la violence et les étudiants juifs sont parmi les plus affectés par cela au Canada »
L’UQAM a adopté le 29 mai une résolution qui appelle, entre autres, à un cessez-le-feu immédiat, condamne toute attaque contre des établissements d’enseignement supérieur en Palestine, et s’engage à faciliter l’accueil d’étudiantes et d’étudiants palestiniens. Elle demande en outre à sa Fondation d’être transparente pour démontrer qu’elle n’investit pas directement dans des fonds ou compagnies qui profitent des ventes d’armement. Le campement érigé le 12 mai a été levé volontairement le 6 juin.
« Une université doit promouvoir la paix et les débats respectueux, croit le recteur. Nous devons laisser les opinions s’exprimer, mais intervenir fermement quand ça glisse vers la violence ou la haine. »
Liberté et sécurité
Les autres universités ont aussi dialogué avec les protestataires, mais certaines ont manœuvré en même temps pour les forcer à abandonner leur campement. Ce double jeu a frustré des étudiantes et étudiants. « Pendant plusieurs semaines, l’administration a prétendu défendre notre droit de protester, puis d’un jour à l’autre elle a changé d’approche, déplore le militant de l’Université Dalhousie, Yousef A. Elle a coupé l’électricité au campement et l’accès aux toilettes, puis elle a fait venir la police. Elle était décidée à nous faire partir avant le début des activités de la prochaine session. »
Mariam Knakriah, présidente de l’Association étudiante de Dalhousie, se désole de la tournure des événements. « Le recours aux forces policières ne respecte pas le droit des étudiants de s’exprimer et de se rassembler pacifiquement, et viole les principes d’équité, diversité et inclusion que l’université prétend défendre », affirme-t-elle.
Mme Lim estime avoir vécu une situation semblable à UBC. « L’administration n’a pas demandé d’injonction contre nous, raconte-t-elle. Cependant, il y a eu beaucoup de harcèlement par la police envers les étudiants qui se rendaient au campement ou pendant des manifestations pacifiques. Je dirais que l’université tentait de nous faire quitter tout en préservant sa réputation. »
Par courriel, Matthew Ramsey, directeur principal par intérim des relations avec les médias de UBC, soutient que l’université « a été respectueuse du droit de s’exprimer librement et de manifester pacifiquement, mais en même temps assurer la sécurité de toute notre communauté demeurait notre priorité ». Elle affirme que son approche a misé sur « un dialogue respectueux et une réponse mesurée ».
L’Université McGill a pour sa part été au cœur de plusieurs batailles légales, notamment une demande d’injonction pour faire démanteler le campement propalestinien que la Cour supérieure a rejeté le 15 mai. L’Association étudiante de McGill (SSMU) a été entendue au tribunal lors de cette cause. « Nous voulions éviter qu’une décision défavorable aux militants réduise le droit de manifester sur le campus à l’avenir, peu importe le sujet », souligne Dimitry Taylor, qui était président de SSMU pendant la durée de ce campement.
Pour la même raison, l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université a défendu le droit de manifester des étudiantes et étudiants, en invoquant la liberté académique et la liberté d’expression. Elle a témoigné en cour contre la demande d’injonction de l’Université de Toronto qui souhaitait faire évacuer le campement installé sur son terrain. Elle s’est aussi opposée aux interventions policières visant les campements.
Un mouvement renforcé
Maintenant, l’heure est au bilan. « Je crois que nous avons réussi à attirer l’attention sur la cause palestinienne, estime Yousef A. Au départ, les gens se rassemblaient surtout autour de l’exigence d’un cessez-le-feu à Gaza, mais dorénavant ils embrassent plus largement la cause palestinienne. »
Mme Lim avance que les administrations n’auraient jamais engagé le dialogue avec les militants propalestiniens ni fait des concessions sans les campements. « Les campements au Canada, aux États-Unis et ailleurs montraient aux Gazaouis qu’ils ne sont pas seuls, poursuit-elle. Nous sommes devenus un point de rassemblement et de réconfort pour la communauté palestinienne de Vancouver, très affectée par ce qui se passe à Gaza. » Elle ajoute que les étudiants ont appris à travailler ensemble et que le mouvement en sort renforcé.
« C’est long, provoquer un grand changement, estime la spécialiste des mouvements sociaux, Roberta Lexier. Il a fallu des décennies pour faire tomber le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Les étudiants jouent un rôle majeur dans ces mouvements sociaux. Les stratégies de ces militants évolueront, mais je ne crois pas que ce mouvement propalestinien s’effacera rapidement. »
Postes vedettes
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
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