La conseillère scientifique en chef du Canada poursuit sur sa lancée
À l’aube de son deuxième mandat, Mona Nemer nous parle de l’élaboration des mesures de lutte contre la pandémie, du combat contre la désinformation et des avancées du mouvement en faveur de la science ouverte.
Spécialiste en cardiologie moléculaire, Mona Nemer est conseillère scientifique en chef du Canada depuis 2017. Son mandat, qui consiste à conseiller le gouvernement fédéral sur les questions liées à la science et aux politiques qui en découlent, vient d’être renouvelé pour une période de deux ans. Elle s’est entretenue avec Affaires universitaires pour parler à la fois de ses objectifs pour son prochain mandat et de l’importance de la science ouverte, de la préparation aux situations d’urgence et du soutien aux scientifiques de la relève.
Affaires universitaires: Selon vous, quelle est votre plus grande réalisation à titre de conseillère scientifique en chef?
Mona Nemer : Probablement d’avoir survécu à ces cinq dernières années! Blague à part, ce n’est pas si long que ça, cinq ans. J’ai dû poser les jalons d’un nouveau poste et en définir les tâches au sein d’une vaste machine. Je pense qu’on s’en est bien tiré. Nous avons gagné le respect et la confiance des élus et des hauts fonctionnaires, mais aussi (et surtout!) celle du public. D’ailleurs, je crois que le solide réseau pour les conseils scientifiques que nous avons construit s’avérera un atout de taille au cours des prochaines années.
Je tiens aussi à mentionner notre travail en matière d’intégrité scientifique, qui a inspiré la nouvelle politique d’intégrité en science sur laquelle planchent les États-Unis, ainsi que celui ayant mené à la Feuille de route pour la science ouverte, qui a connu quelques retards en raison de la pandémie, mais qui fait maintenant consensus dans l’administration fédérale. D’ailleurs, l’une de nos priorités au cours des prochaines années sera de veiller à ce que partout au pays, les études scientifiques financées par le gouvernement fédéral soient publiées ouvertement.
AU : Les États-Unis ont récemment annoncé que toutes les données scientifiques résultant de projets financés par le gouvernement seraient immédiatement accessibles. A-t-on les mêmes visées au Canada?
Mme Nemer : Absolument. La science ouverte était l’une des quatre priorités dont il a été question au dernier sommet des ministres de la science du G7, où j’ai eu l’honneur de représenter le Canada. Mes homologues américains et moi sommes d’accord : la science ouverte est parfaitement compatible avec la sécurité en matière de recherche. Des progrès ont été observés en matière de collaboration scientifique à l’intérieur du gouvernement et en ce qui a trait à la création du Comité de coordination de la recherche au Canada, dont les présidents des organismes subventionnaires fédéraux font partie.
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Ce dossier est l’une de nos priorités, et nous y collaborons avec les États-Unis et nos autres alliés. Justement, il y a deux ans, le premier ministre a annoncé que le Canada se joindrait à Horizon Europe (le programme de financement de la recherche de l’Union européenne) à titre de membre associé. En contrepartie de son financement, cet organisme exige que les données émanant de la recherche soient accessibles. Il s’agit donc d’un mouvement international, et nous espérons accélérer son déploiement au Canada.
AU : Vous avez fondé un Conseil jeunesse. Quelle influence a-t-il eue sur votre travail?
Mme Nemer : Les membres du Conseil jeunesse nous ont rapporté les répercussions de la pandémie sur les étudiant.e.s, qui ont dû interrompre leur stage ou leurs recherches, ce qui a permis d’orienter les décisions du gouvernement. Nous avons aussi beaucoup échangé sur les enjeux auxquels tiennent les étudiant.e.s, comme l’environnement. Le Conseil jeunesse a aussi aidé d’autres organisations publiques et privées, dont l’Institut canadien de recherches avancées (CIFAR), à qui il a présenté un mémoire portant sur les grandes idées et questions de demain. Les membres du Conseil jeunesse ont également travaillé sur une stratégie nationale de recherche scientifique qui reflète leur point de vue et qui devrait paraître à la fin septembre.
Cette expérience leur a permis d’acquérir une meilleure connaissance des rouages de l’État et de constater le rôle que la science peut jouer dans la prise de décisions.
AU : La campagne pour la bonification du financement de la recherche à la maîtrise, au doctorat et au postdoctorat est l’enjeu de l’heure pour les jeunes scientifiques. À quel point est-ce important de soutenir davantage la relève?
Mme Nemer : J’appuie leurs revendications sans aucune réserve. Les étudiant.e.s aux cycles supérieurs et les postdoctorant.e.s sont les laissé.e.s-pour-compte de l’écosystème scientifique. Ce sont ces personnes qui travaillent en laboratoire et qui font les découvertes. C’est tout simplement inacceptable que la société ne daigne pas leur accorder un salaire adéquat et des conditions de vie décentes, alors que leurs contributions ont déjà énormément d’impact sur l’évolution de la société. Les gens ne réalisent pas que si les jeunes délaissent la recherche, il pourrait y avoir un ralentissement – voire un arrêt complet – des percées scientifiques, ce qui serait un sérieux problème. Notre société prétend estimer le savoir, la recherche et la science? Prouvons-le.
AU : Quel rôle votre bureau a-t-il joué dans l’élaboration du plan d’intervention en réponse à la COVID-19?
Mme Nemer : Par un heureux hasard, dès mon entrée en fonction, j’ai décidé de voir quelles étaient les responsabilités de mes homologues d’ailleurs dans le monde en cas d’urgence nationale. J’ai surtout regardé du côté du Royaume-Uni, qui possède un système bien rodé, soit le Groupe consultatif des scientifiques pour les urgences. Mieux connu sous l’acronyme SAGE (Scientific Advisory Group for Emergencies). En plus, à l’été 2019, nous avons fait un exercice de simulation en concertation avec le Royaume-Uni et les États-Unis pour évaluer notre degré de préparation en cas de pandémie.
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À la lumière de cet exercice, j’ai formulé des recommandations au gouvernement, dont la création d’un comité de consultation scientifique pour les urgences. Lorsque la pandémie a frappé au début 2020, j’ai pris la décision de former un comité multidisciplinaire pour me conseiller afin que je puisse à mon tour conseiller le gouvernement. C’était un rôle très différent de celui de l’Agence de la santé publique parce que cette crise a rapidement affecté d’autres sphères d’activités régies par le gouvernement : frontières, économie, transport, etc.
AU : Le premier ministre et son cabinet étaient-ils réceptifs, ou avez-vous dû lutter pour obtenir une place autour de la table?
Mme Nemer : Un peu des deux. Comme c’est ma responsabilité d’anticiper l’avenir et d’aider le gouvernement à s’y préparer, j’ai fait preuve d’initiative. Par la suite, on nous a chargé de certains dossiers, comme la vaccination et le dépistage. Récemment, le ministre de la Santé nous a demandé de nous pencher sur le syndrome post-COVID-19. Pour moi, c’est une autre marque de respect et de confiance, ainsi qu’une preuve de plus que le gouvernement apprécie nos conseils.
AU : La désinformation scientifique a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Comment percevez-vous votre rôle en ce qui concerne la promotion des politiques fondées sur la science, la lutte contre la désinformation et la création d’un lien de confiance?
Mme Nemer : C’est une question complexe, mais je dirais qu’ultimement, la pandémie aura été bénéfique là-dessus. Le public s’est découvert un intérêt pour la science, les scientifiques et les médecins étaient présent.e.s dans les médias pour parler au public, et parfois même pour répondre directement à ses questions. Il faut poursuivre sur cette lancée, s’affairer à gagner la confiance de la population et à l’aider à mieux comprendre la méthode scientifique. C’est essentiel si on veut l’aider à départager le vrai du faux.
Bien sûr, ça ne réglera pas tout. Il faut plus de recherche communautaire en sociologie et en psychologie pour comprendre les différents groupes enclins à la désinformation.
Mais une chose est sûre : il faut continuer de miser sur le dialogue avec le public, car il n’y aura pas de solution universelle. Nous avons tous nos propres raisons d’assimiler telle ou telle information ou de consulter telle ou telle source, et c’est pourquoi c’est si important d’avoir de la diversité en science : si on veut que le public fasse confiance aux expert.e.s, il faut qu’il puisse se reconnaître dans ce groupe. Et c’est un enjeu qui va bien au-delà de la pandémie. Ça touche aussi les changements climatiques et le processus démocratique. C’est quelque chose qu’il va falloir aborder avec la plus grande diligence.
AU : Quelles sont vos priorités pour les deux prochaines années? Et d’ailleurs, pourquoi votre mandat a-t-il seulement été renouvelé pour deux ans?
Mme Nemer : En fait, c’est un emploi très exigeant. Je suis ravie de continuer à remplir mon rôle pour les deux prochaines années, car je tiens à ce que le gouvernement ait le temps de recruter quelqu’un pour me remplacer et à ce que la transition se fasse en douceur.
Deux ans, c’est court, mais je crois que nous pourrons continuer sur notre lancée. Nos priorités sont de rendre la science accessible partout au Canada et d’aider le gouvernement à se préparer aux situations d’urgence. D’ailleurs, la lettre de mandat du ministre de la Protection civile lui demande de collaborer avec mon bureau pour que les données et les conseils scientifiques fassent partie intégrante des plans de préparation et d’intervention. Je pense qu’il faut accorder la priorité au renforcement de la capacité à prodiguer des conseils scientifiques au gouvernement, de même qu’à la capacité de ce dernier à les recevoir.
Je suis ravie à l’idée de continuer à travailler avec Affaires mondiales Canada pour solidifier la place de la science dans nos relations internationales et promouvoir nos avancées scientifiques dans le cadre de nos efforts diplomatiques. La science, la technologie et l’innovation sont des priorités pour de plus en plus de pays, comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou la Chine, pour ne nommer que ceux-là. Elles doivent l’être pour nous aussi. Nous devons consolider notre système et en parler, ici et à l’international.
Cet entretien a été revu et condensé par souci de clarté.
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