Le long chemin vers l’équité
Malgré l’engagement accru des établissements à l’égard de l’équité, les expériences des femmes au sein du corps professoral sont fort différentes de celles de leurs collègues masculins.

Amanda Moehring se souvient d’une réunion à laquelle des membres du corps professoral ont pris part il y a environ six ans pour discuter des évaluations des personnes étudiantes. Un de ses collègues, qui animait la réunion, a commencé par faire les présentations des femmes en les désignant par leur prénom. Lorsqu’est venu le tour du premier homme, il a employé un titre de civilité et son nom de famille, même si toutes les femmes dans la salle étaient aussi titulaires d’un doctorat. Il s’agissait, pour Mme Moehring, d’un exemple frappant d’incohérence.
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique fonctionnelle et professeure adjointe à l’Université Western, elle s’est appliquée, pendant le reste de la réunion, à employer systématiquement un titre universitaire suivi du nom de famille pour désigner les femmes présentes. Elle se souvient du regard abasourdi de l’animateur de la réunion, visiblement décontenancé, qui avait fini par bafouiller : « Ce n’était pas mon intention … je ne m’en étais pas rendu compte ».
« Il n’avait simplement pas réalisé ce que ses propos insinuaient », affirme Mme Moehring.
Le comportement dont elle a été témoin lors de cette réunion – désigner différemment les femmes, malgré un niveau d’éducation équivalent à celui des hommes, suggérant ainsi un rang inférieur – est ce qu’on appelle une rétrogradation inconsciente, le fait d’omettre de reconnaître une personne à la juste valeur de sa situation professionnelle ou de son expertise. Malinda Smith, vice-rectrice adjointe à l’équité, la diversité et l’inclusion à l’Université de Calgary, ajoute que la rétrogradation inconsciente a fait l’objet d’une étude formelle et constitue l’un des nombreux types de préjugés inconscients ou implicites influant, de façon individuelle ou cumulative, sur la composition du corps professoral dans les milieux universitaires.
Comme elle l’explique dans le chapitre « The Dirty Dozen » du livre qu’elle a publié en 2017, The Equity Myth, ces préjugés désavantagent les femmes, plus particulièrement les femmes racisées, tout au long de leur parcours professionnel.
De tels préjugés, dont les effets se manifestent avant les études supérieures et influencent l’accès à la permanence ainsi qu’aux postes de direction et d’administration, sont qualifiés d’inconscients, implicites ou subtils. On parle aussi de discrimination de deuxième génération. Bon nombre de recherches suggèrent que ces préjugés contribuent à limiter ou à ralentir l’avancement professionnel ou provoquent, dans le cas de préjugés intersectionnels ou liés au genre, le phénomène du « tuyau percé », une expression utilisée pour décrire le fait que des personnes souhaitant poursuivre une carrière universitaire se désistent prématurément ou sont forcées de s’écarter de cette voie.
Quant à elle, Mme Moehring se considère comme suffisamment avancée dans sa carrière pour s’être sentie à l’aise de dénoncer le biais subtil qu’elle a observé ce jour-là. Ce n’était pas le premier incident qu’elle avait vécu ou dont elle avait été témoin. Et son expérience n’est qu’un des innombrables exemples de biais de genre qui persistent dans le milieu universitaire canadien aujourd’hui.
En 2025, quelle est la vision du milieu universitaire canadien en matière d’équité des genres? Est-ce que des progrès ont été réalisés à ce chapitre? La mise en œuvre de programmes visant à éliminer les préjugés liés au genre et d’autres types d’iniquités a-t-elle porté ses fruits?
Pour le savoir, Affaires universitaires a invité, dans le cadre de ce numéro spécial, des universitaires de partout au pays, peu importe leur genre, à répondre à un sondage. Les données recueillies auprès de 1 408 membres du personnel administratif et professoral suggèrent que la situation s’améliore, quoique lentement. Plus de la moitié des femmes sondées ont affirmé être d’accord ou plutôt d’accord avec le fait que la discrimination fondée sur le genre pose problème dans leur établissement.


Regard sur le passé
Mme Smith explique que l’attention portée à l’équité en emploi remonte à l’époque de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, créée en 1967 et dont le rapport final a été déposé au Parlement en 1970. On y abordait d’importants enjeux liés à l’emploi et à l’embauche. En 1984, la juge Rosalie Silberman Abella a utilisé pour la première fois le terme « égalité en matière d’emploi » dans le cadre du Rapport de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi.
Le sujet de l’iniquité entre les genres a pris de l’importance après la création de la Commission royale. Parmi les axes prioritaires figuraient l’embauche, mais aussi les enjeux entourant les mesures favorables à la famille et le fossé salarial entre les hommes et les femmes.
« Ce sont des questions épineuses qui n’ont rien de nouveau », affirme Mme Smith. L’enjeu de la violence sexiste dans les établissements universitaires canadiens, quant à lui, s’est ancré dans la conscience collective en 1989, année de la tuerie de 14 étudiantes à l’École Polytechnique de Montréal (rebaptisé Polytechnique Montréal). En 2017, le mouvement #MoiAussi a contribué à sensibiliser les gens à la violence, au harcèlement et à la discrimination à caractère sexiste à plus grande échelle.
« C’est essentiel d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas de nouveaux problèmes », précise Mme Smith, et de les présenter dans un contexte où 40 ans se sont écoulés depuis la publication du rapport Abella. « Les choses avancent, mais à pas de tortue. »
Regard sur le présent
Selon les conclusions du sondage d’Affaires universitaires, les personnes qui s’identifient au genre masculin et celles qui s’identifient au genre féminin ont des opinions bien différentes sur l’attachement de leur établissement à l’équité entre les genres.
En effet, 48 % des hommes ont affirmé être d’accord avec l’énoncé indiquant que leur établissement a à cœur l’équité entre les genres. Ce pourcentage est nettement plus faible chez les femmes (23 %). Dans la même veine, 11 % des hommes et 24 % des femmes sont d’accord avec le fait que la discrimination fondée sur le genre pose problème dans leur établissement, alors que 19 % des femmes et 43 % des hommes sont en désaccord avec cet énoncé. Dans les deux cas, ces écarts sont statistiquement significatifs.
Si les conclusions du sondage relèvent des disparités flagrantes, ces dernières ne sont toutefois pas surprenantes. Selon des recherches sur les préjugés liés au genre, les hommes et les femmes, du moins dans les STIM, ne font pas preuve de la même réceptivité face aux données expérimentales qui démontrent l’existence de tels préjugés.
Une étude intitulée Quality of evidence revealing subtle gender biases in science is in the eye of the beholder, menée en 2015 par une équipe de recherche américaine et publiée dans la revue PNAS, a révélé une certaine réticence de la part des hommes, surtout dans les STIM, à accepter des preuves de la présence de préjugés liés au genre dans leur domaine.
Comme les autrices et l’auteur de cette étude le soulignent : « Ces conclusions sont problématiques, car accroître la participation des personnes sous-représentées en STIM, notamment les femmes, requiert nécessairement une volonté manifeste (surtout de la part des personnes faisant partie de la majorité) de reconnaître que les préjugés existent avant d’ouvrir la voie à une véritable transformation. »
Les données du sondage d’Affaires universitaires ont mis en lumière les différences de perception selon le genre ou le vécu des personnes qui travaillent dans les milieux universitaires canadiens quant à l’engagement à l’égard de l’équité. Les conclusions font ressortir la difficulté de lutter contre la discrimination découlant en partie de ces préjugés, qui peuvent être inconscients et non reconnus.
Regard sur l’avenir
Maydianne Andrade a commencé à participer à des travaux de recherche axés sur les groupes en quête d’équité tôt dans sa carrière.
« À titre de femme noire dans le milieu universitaire, on m’a proposé de participer à ce type de travaux de recherche dès le départ », raconte Mme Andrade, professeure de biologie évolutionniste et ancienne Chaire de recherche du Canada en écologie comportementale intégrative de l’Université de Toronto (UdeT).
Elle est aussi la cofondatrice et l’ancienne présidente du Réseau canadien des scientifiques noirs, ainsi que la fondatrice et la coprésidente de la Toronto Initiative for Diversity and Excellence.
Mme Andrade raconte qu’on l’a souvent invitée à faire partie de comités, pour la forme. À l’époque, elle refusait de répondre aux questions liées à l’équité, à la diversité et à l’inclusion, car elle ne s’estimait pas experte dans ce domaine.
« En tant que scientifique, je ne voyais pas l’intérêt de raconter mon expérience personnelle », précise-t-elle.

Puis, en 2013, Mme Andrade a été mise au défi d’effectuer un test d’association implicite. « J’ai alors découvert que j’avais souvent tendance à associer les choses positives à l’identité blanche et les choses négatives à l’identité noire. Ça m’a beaucoup ébranlée. » Cette expérience l’a poussée à examiner en profondeur les ouvrages en sciences sociales, et elle a rapidement réalisé que ce domaine de recherche était très peu exploré par ses collègues.
La compréhension des préjugés « influe réellement sur notre capacité à faire notre travail et à prendre de bonnes décisions », explique-t-elle. Depuis, Mme Andrade s’intéresse de près à l’application des connaissances. Les interactions avec les parlementaires et les décisionnaires pour susciter des changements durables, explique-t-elle, sont l’un des principaux piliers du Réseau canadien des scientifiques noirs.
Pour ce qui est de la discrimination fondée sur le genre, Mme Andrade fait remarquer qu’il s’agit d’un sujet peu étudié. Elle note toutefois que l’équité entre les sexes dans les établissements canadiens est un sujet de moins en moins occulte. Les universités sont en effet tenues de recueillir des données sur l’équité en matière d’emploi, et certains établissements s’assurent d’en améliorer l’accès et la visibilité sur leurs sites Web.
Elle donne l’exemple de l’UdeT et de l’Université Queen’s, qui disposent de tableaux de bord sur les tendances en matière d’équité en emploi, notamment en ce qui concerne la proportion de femmes occupant des postes de professeure adjointe ou de professeure agrégée. En moyenne, cette proportion s’est considérablement accrue dans les établissements canadiens, affirme-t-elle, « même si l’écart dans plusieurs domaines, comme en sciences, demeure grand par rapport au nombre de personnes qui poursuivent des études de premier cycle ou de doctorat ».
Néanmoins, les femmes demeurent sous-représentées au sein du corps professoral titulaire. « On dit que la situation finira par s’améliorer avec le temps », dit-elle, mais les faits suggèrent le contraire. Si on regarde la proportion de professeures agrégées il y a dix ans, « nous devrions voir une proportion comparable au sein du corps professoral titulaire aujourd’hui ». Toutefois, dans la plupart des cas, les statistiques ne reflètent pas une telle réalité.
« Nous perdons des femmes lors de la transition du postdoctorat à un poste professoral, ainsi que lors de la transition d’un poste de professeure agrégée à un poste de professeure titulaire », affirme Mme Andrade en précisant que dans le deuxième cas, ces femmes travaillent toujours dans le milieu universitaire, mais ne sont pas promues.
Sur une note positive, elle rappelle toutefois qu’un nombre croissant de femmes occupe des postes de direction : « Cela laisse entendre que les universités se tournent vers les femmes pour pourvoir des postes de direction, car ce sont des rôles pour lesquels la haute direction vous approche, alors que pour un poste de professeure titulaire, c’est votre département qui recommande votre candidature. »
Cependant, prévient-elle, si on regarde du côté des professeures racisées, on observe un déclin marqué. « Nous n’avons pas accès à des données intersectionnelles à petite ou grande échelle qui nous permettraient de mieux comprendre la situation des femmes racisées. »
Les données tirées de Statistique Canada et de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université par Mme Smith et les coauteurs de The Equity Myth suggèrent que les personnes racisées, notamment les femmes, sont plus susceptibles d’occuper un emploi temporaire, à temps partiel ou précaire.
Dans un article d’AU sur le racisme dans le milieu universitaire publié en 2010, Mme Smith posait la question suivante : « Si j’entre dans une salle et que je remarque que personne ne me ressemble, puis-je vraiment croire au changement ? » Quinze ans plus tard, elle affirme que la situation s’est peu améliorée. « Je suis toujours la seule personne de couleur dans les réunions de la haute direction, et c’est le cas dans toutes les universités en Alberta, pas seulement dans la mienne », déplore-t-elle en faisant remarquer que la situation n’est pas plus rose ailleurs au Canada.
Harcèlement sexuel et microagressions
Une des questions du sondage cherchait à savoir à quand remontait la dernière fois où les personnes avaient vécu ou observé des formes de harcèlement sexuel. Plus d’un quart des femmes interrogées ont déclaré avoir personnellement subi du harcèlement sexuel, et parmi elles, 24 % au cours des deux dernières années. Les réponses aux questions ouvertes renferment une dizaine d’anecdotes où des femmes relatent des situations de harcèlement.
La forme la plus courante de harcèlement sexuel est le harcèlement verbal ou les avances non désirées. En plus de signaler des commentaires inappropriés et à caractère sexuel de la part de membres du corps professoral ou de la population étudiante (p. ex. « Wow ! Vous êtes canon »), d’autres exemples de propos négatifs concernant le fait d’être enceinte ou en congé de maternité pendant le postdoctorat ont été cités, ainsi que d’autres relatifs au harcèlement sexuel, aux milieux de travail non sécuritaires, à la traque, à l’intimidation et au détournement cognitif.

Cependant, une répondante a aussi noté que : « Les choses se sont nettement améliorées. J’ai obtenu beaucoup de soutien et d’encouragements de professeurs et mentors masculins qui sont devenus des collègues de longue date, et mon département est désormais très inclusif et accueillant, ce qui est formidable. »
Ivy Bourgeault, professeure à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa, mentionne qu’elle a subi des microagressions sexistes au cours de sa carrière. « On m’a demandé dans un contexte d’entrevue si j’étais mariée et si j’avais l’intention d’avoir d’autres enfants. Ce n’est pas approprié », dit-elle. Elle se souvient aussi qu’on lui avait dit pendant une entrevue qu’elle était une très belle femme.
Face à des préjugés qui minent vos chances et à des avances inappropriées, explique Mme Bourgeault, « il faut encaisser et répondre aux questions. C’est une entrevue, on a besoin du boulot et on ne peut pas se permettre d’avoir l’air offusquée ». « C’est un peu comme si quelqu’un avait lâché un pet dans la pièce », dit-elle, « parce que ce genre de commentaire n’est pas un compliment dans un contexte d’entrevue ».
Mme Moehring se souvient d’une expérience semblable après être devenue titulaire d’une chaire de recherche du Canada à l’Université Western il y a environ quinze ans. Alors qu’elle discutait avec un groupe de collègues dans un pub sur le campus, un des hommes à la table qui occupait un poste supérieur s’est penché vers elle et lui a dit : « J’aurais aussi pu être nommé titulaire d’une chaire de recherche du Canada si j’étais une femme. »
« J’ai figé », raconte-t-elle. « Je ne savais pas quoi répondre à cette attaque. » Elle a ensuite appris qu’à l’époque, les chaires de recherche du Canada étaient largement attribuées à des hommes. « Cette histoire montre à quel point on peut croire qu’on a le droit de faire des remarques désobligeantes… mais aussi à quel point on peut avoir une perception complètement fausse des avantages acquis depuis longtemps dans le milieu universitaire. »
Mme Bourgeault est titulaire d’une chaire universitaire sur le genre, la diversité et les professions. Elle se trouve très chanceuse d’avoir décroché son poste à l’Université d’Ottawa, un établissement où elle se sent respectée et en sécurité, et elle estime devoir en partie sa fortune au décanat, qui était sensible à son parcours professionnel semé d’embûches, notamment sa volonté de changer d’établissement pour éviter des situations de harcèlement sexuel.
Elle rappelle que les universités étaient au départ des établissements d’enseignement réservés aux hommes. Harvard College (un collège de premier cycle au sein de l’Université Harvard), par exemple, n’a accepté que des hommes blancs pendant plus de trois siècles. L’UdeT a commencé à accueillir des étudiants en 1843, mais ce n’est que plus de 40 ans plus tard que les premières femmes y ont été admises.
Le milieu universitaire a été conçu pour des hommes blancs de la classe moyenne, dans une perspective très coloniale, observe Mme Bourgeault. Ce contexte historique pèse sur le devenir des universités, et jusqu’à ce que le système mis en place à l’époque soit démantelé ou réformé, « c’est la structure dans laquelle nous devons trouver notre place ».
En réfléchissant à son propre parcours et à son entrée à l’université après avoir grandi sur une ferme, Mme Bourgeault se souvient qu’elle était inspirée et fière d’avoir « réussi » à se rendre jusque-là. « Vous commencez ensuite à être la cible de comportements qu’on appelle aujourd’hui “microagressions”, c’est-à-dire des petits gestes ou propos pour miner votre crédibilité qui se manifestent sous forme de préjugés fondés sur votre apparence, votre âge et surtout, votre genre… avez-vous des enfants ou n’avez-vous pas d’enfant, ou quand aurez-vous des enfants ? Toutes ces petites choses s’accumulent et visent clairement à vous faire comprendre que vous n’êtes pas à votre place. »
Beaucoup de femmes parmi les personnes sondées ne sont pas étrangères à ce genre de situation et affirment qu’elles continuent de subir des formes subtiles ou pas si subtiles de discrimination fondée sur le genre.
Fait notable, 28 % des répondantes au sondage disent que les préjugés fondés sur le genre ont limité leur promotion et leur accès à des ressources, alors que 50 % croient que leur genre a eu une incidence sur leur capacité à obtenir du financement pour la recherche ou à publier un article.
On parle souvent de cet enjeu comme d’un tuyau percé, donnant l’impression que les femmes s’éloignent naturellement du milieu. En réalité, elles en sont activement poussées, explique Mme Bourgeault, en partie en raison des décisions qu’elles prennent. « Si vous avez des enfants, vous n’êtes plus dans la course et vous êtes confinée à la piste réservée aux mamans », poursuit-elle. Cela vous laisse alors avec des options limitées : l’enseignement, la participation à des comités de premier cycle ou des fonctions attribuées de façon disproportionnée aux femmes – ce que Mme Smith appelle « les tâches ménagères du milieu universitaire ». Selon les résultats du sondage, 63 % des femmes (contre 27 % des hommes) ont répondu avoir l’impression qu’on leur assignait de façon disproportionnée des tâches administratives ou de soutien comparativement à leurs collègues.
« Nous perdons des femmes lors de la transition du postdoctorat à un poste professoral, ainsi que lors de la transition d’un poste de professeure agrégée à un poste de professeure titulaire. »
Embauche, permanence, promotion et accès à des postes de direction
Afin de jeter la lumière sur l’équité en matière d’embauche dans les départements d’études anglaises des établissements canadiens, Lynn Arner, professeure d’anglais à l’Université Brock, a adopté une approche quantitative pour examiner la situation. En s’appuyant sur des données tirées de sites Web, elle a relevé le genre des professeures et professeurs qui enseignent ou ont enseigné dans un programme de doctorat en études anglaises au Canada ainsi que l’établissement dans lequel ces personnes ont obtenu leur diplôme. « J’ai découvert que les femmes sont plus susceptibles d’occuper un poste temporaire qu’un emploi menant à la permanence. »
On prétend que les femmes choisissent ces postes pour pouvoir s’occuper de leurs enfants, mais ce n’est pas ce que les données recueillies par Mme Arner suggèrent. « La grande majorité des femmes que j’ai sondées ont mentionné qu’elles voulaient ou avaient voulu décrocher des postes menant à la permanence », affirme-t-elle.
En analysant des écrits académiques et grand public dans le cadre de son article intitulé The problem with parity, elle a relevé l’hypothèse selon laquelle l’équité se résume à un équilibre numérique. « Ce n’est pas le cas», tranche-t-elle. « Selon mes recherches, la majorité des titulaires d’un doctorat en études anglaises au Canada sont des femmes, et ce, depuis des décennies. Viser une parité parfaite reviendrait donc à favoriser les hommes, poursuit-elle, car cela leur permettrait de bénéficier de mesures de discrimination positive à l’embauche. »
Maja Krzic, professeure à la Faculté de foresterie de l’Université de la Colombie-Britannique, a collaboré avec une équipe de recherche pour examiner l’équité des genres dans le domaine de la science du sol au Canada, mais aussi en Égypte, au Mexique, au Nigéria, au Royaume-Uni et aux États-Unis. L’étude publiée cette année dirigée par Eric Brevik de l’Université du Sud de l’Illinois à Carbondale a comparé des données de 1900 à 2024 qui ont révélé un lent resserrement de l’écart entre les genres dans les postes de débutant. « Malheureusement, l’écart dans les postes de milieu de carrière et de niveau hiérarchique supérieur est toujours aussi marqué », affirme Mme Krzic. Sur une note positive, cependant, le Canada a progressé à ce chapitre comparativement à d’autres pays, car neuf femmes ont occupé la présidence de la Société canadienne de la science du sol depuis 2005. « Même au Canada, notre première présidente a été élue en 2005 seulement, alors que la société a été établie en 1955 », remarque-t-elle.
Accès à des ressources et à des occasions de mentorat
Selon le sondage mené par AU, 17 % des personnes interrogées sont en désaccord avec l’énoncé selon lequel on confère aux hommes et aux femmes un accès égal aux ressources financières et non financières. Une personne a commenté : « Les femmes sont systématiquement désavantagées lorsqu’il est question de subventions de recherche ou d’occasions de financement offertes par la Fondation canadienne pour l’innovation. Cela semble être une forme de parti pris, peut-être parce que le processus de négociation diffère de celui des hommes pendant le processus de recrutement. » Une autre personne s’identifiant au genre masculin a dit que « l’accès aux ressources était un obstacle pour les femmes ayant des identités croisées, notamment celles qui sont racisées ».
Une femme sondée a indiqué que « les hommes dans notre département ont accès à des programmes préétablis avec des laboratoires, du personnel technique et des occasions de mentorat. On s’attend toutefois des nouvelles professeures qu’elles mettent sur pied leurs propres programmes et qu’elles nettoient les laboratoires qu’on leur confie. Les hommes peuvent se lancer tête première alors que les femmes se butent à des obstacles qui ralentissent leur progression, au détriment de l’obtention de la permanence. C’est vraiment problématique. »
Une autre raconte avoir perdu son laboratoire après avoir accouché de son enfant. « Le jour où j’ai été admise à l’hôpital, la direction de mon département a donné mon laboratoire à une autre personne même si j’avais permis à des techniciennes et techniciens ainsi que des étudiantes et étudiants de premier cycle de continuer d’utiliser mon local. J’ai été la première parmi les membres du corps professoral à qui on n’a pas affecté une technicienne ou un technicien de département à son projet. »
Conciliation travail-vie personnelle
Dans le cadre du sondage, plusieurs personnes ont parlé d’équilibre entre le travail et la vie personnelle. Les hommes ont l’impression d’être avantagés par rapport aux femmes sur ce plan.

Une femme qui souhaitait en dire plus sur le sujet a affirmé que « les hommes qui ne sont pas les principaux responsables des enfants ont plus le temps et la capacité de plonger dans leurs recherches, de publier des articles, de présenter des demandes de subvention et d’obtenir le financement souhaité ».
Une autre femme a indiqué que plusieurs croient que les règles du jeu sont équitables, alors que ce n’est pas le cas. « Par exemple, on ne considère pas comme pertinent le fait que les femmes ont souvent plus de responsabilités à la maison, comme s’occuper des enfants, ou qu’elles prennent du retard par rapport à leurs homologues masculins lorsqu’elles partent en congé de maternité. »
En effet, certaines personnes perçoivent le milieu universitaire comme un environnement hostile à la conciliation travail-vie personnelle, si bien qu’elles ont dû mettre de côté leur projet de famille pour se concentrer sur leur carrière.
Les répondantes et répondants ont aussi mentionné l’incidence des préjugés sur le parcours menant à la permanence, les promotions, l’avancement professionnel, l’ouverture au travail hybride, le parrainage et les occasions de mentorat, ainsi que la façon dont la pandémie a nui à leur capacité à remplir leurs obligations en matière d’enseignement et de recherche.
Disparités salariales
Megan Frederickson, professeure d’écologie et de biologie évolutionniste à l’UdeT, souligne un aspect intéressant du milieu universitaire canadien : les salaires des membres du corps professoral sont souvent rendus publics. En Ontario, par exemple, la liste soleil (Sunshine List) répertorie le salaire des employées et employés du secteur public. Lors des discussions informelles au sein de son département sur l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, Mme Frederickson a combiné ces données sur la rémunération avec les informations relatives aux subventions à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, estimant que ce concours en particulier constituait un bon indicateur de réussite. « Je trouvais intéressant de comparer ces deux ensembles de données », explique-t-elle.
À l’époque, les données de Statistique Canada pour 2016-2017 montraient que le salaire annuel médian à l’UdeT était de 168 425 $ pour les professeurs et de 145 150 $ pour les professeures, soit un écart de 23 275 $, ou de 14 %. « Après 30 ans de carrière, on parle d’un écart cumulé de près de 700 000 $, un chiffre qui fait froid dans le dos », écrit la professeure.
Après avoir utilisé un programme informatique permettant de diviser son jeu de données par sexe, elle a découvert que parmi toutes les personnes de la liste soleil exerçant la profession de professeur, les femmes étaient payées 9 921 $ de moins que leurs homologues masculins, et ce, pour le même niveau de mérite, déterminé au moyen du montant de financement obtenu. « En d’autres termes, l’écart de rémunération entre les genres n’est pas dû au fait que les hommes obtiennent des subventions de fonctionnement plus importantes que celles des femmes et méritent donc des salaires plus élevés », argumente Mme Frederickson dans son article paru sur le site La Conversation Canada.
Si elle admet que des progrès ont été réalisés depuis pour combler cet écart dans les universités canadiennes, elle « encourage les universités à continuer à faire leurs propres analyses et à chercher des moyens d’éliminer les écarts là où ils existent ».
Marcie Penner, professeure au Collège universitaire King’s (CUK), a également étudié l’écart de salaire entre les sexes, mais aussi son effet cumulatif sur les gains et les prestations de retraite au bout d’une carrière universitaire complète. Son constat est saisissant. Mme Penner, spécialiste de la cognition, faisait partie d’un caucus féministe formé de membres du corps professoral et d’autres membres du personnel qui s’est heurté à beaucoup de réticence de la part de l’association des professeures et professeurs au moment de soulever la question de l’iniquité salariale dans le contexte des négociations collectives. Une enquête menée au CUK en 2018-2019 avait révélé que 50 % des membres du corps professoral seulement estimaient que les inégalités salariales constituaient un problème. À cette époque, les femmes représentaient exactement 50 % de l’effectif. « Nous étions tellement en colère », se remémore-t-elle. Le message était clair : rien ne sera fait pour régler la situation si seules les femmes y voient un problème.
Mme Penner s’est donc associée à sa collègue Tracy Smith-Carrier pour rédiger un énoncé de politique à l’intention de son établissement. En sa qualité de spécialiste de la recherche quantitative, elle souhaitait bien entendu quantifier le tout. « Même nous étions choquées », se souvient-elle. L’écart se chiffrait à un demi-million de dollars. En calculant ainsi le manque à gagner, l’équipe a été en mesure d’obtenir des corrections salariales pour les femmes et d’autres personnes victimes d’iniquité.
« Les hommes peuvent se lancer tête première alors que les femmes se butent à des obstacles qui ralentissent leur progression, au détriment de l’obtention de la permanence. C’est vraiment problématique. »
Lutter contre les préjugés liés au genre et les iniquités
De nombreuses associations des professeures et professeurs ont contacté Mme Penner pour lui dire qu’elles avaient utilisé des analyses semblables à la sienne pour quantifier et éliminer les anomalies salariales. Elle a également témoigné l’automne dernier, avec Mmes Smith-Carrier, Andrade, Smith, Bourgeault et bien d’autres, lors des audiences du Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes sur l’écart salarial entre les sexes. Son étude est d’ailleurs citée abondamment dans le rapport final du Comité et a influencé ses recommandations.
Toutefois, Mme Penner déplore l’absence d’une approche systématique et fondée sur les données permettant d’évaluer l’efficacité des solutions mises en œuvre pour lutter contre les iniquités découlant de préjugés sexistes ou autres. « Ça ne veut pas dire que les politiques et les programmes ne fonctionnent pas, mais simplement que nous n’avons pas de preuves de leur efficacité », ajoute Mme Penner, qui a entrepris un relevé systématique de la recherche sur les moyens d’améliorer les perspectives de carrière de tous les membres du corps professoral victimes de discrimination, femmes ou autres.
Mme Andrade note que l’équité entre les sexes dans les établissements canadiens est un sujet de moins en moins occulte. Les universités sont tenues de recueillir des données sur l’équité en matière d’emploi et certaines d’entre elles les rendent clairement accessibles sur leur site Web. Elle donne l’exemple de l’UdeT et de l’Université Queen’s, qui disposent de tableaux de bord sur les tendances en matière d’équité en emploi, notamment en ce qui concerne la proportion de femmes occupant des postes de professeure adjointe ou de professeure agrégée. En moyenne, cette proportion s’est considérablement accrue dans les établissements canadiens, affirmet-elle, « même si l’écart dans plusieurs domaines, comme celui des sciences, demeure grand par rapport au nombre de personnes qui poursuivent des études de premier cycle ou de doctorat ».
Selon Julia Kam, chercheure en neuroscience cognitive à l’Université de Calgary et coautrice d’un article paru en 2021 intitulé Les biais de genre dans le monde académique : un problème de toute une vie qui nécessite des solutions, publié dans la revue Neuron sur les préjugés liés au genre et les solutions possibles, « nous en avons fait du chemin ». Elle souligne l’importance de tenir compte de l’intersectionnalité du genre et d’autres caractéristiques démographiques, par exemple l’appartenance ethnique ou la neurodiversité.
Mme Kam préconise et recommande une formation sur les préjugés qui pourrait aider à se défaire des pratiques discriminatoires présentes dans l’évaluation par les pairs, l’embauche, la titularisation, l’avancement et le choix de présentations. Concernant ce dernier point, par exemple, les responsables de congrès pourraient veiller à assurer une représentation équitable au sein de leur programme et se doter d’un code de conduite proposant une procédure claire en cas de harcèlement.
Mme Moehring est quant à elle « encouragée par les progrès réalisés au cours des 20 ou 30 dernières années » et croit que « l’opinion publique a joué un grand rôle dans cette transformation ». Elle ajoute que, lorsqu’elle était aux cycles supérieurs, tout le monde savait qu’une personne dénonçant un cas de harcèlement sexuel en paierait seule les conséquences. « Les choses ont changé », se réjouit-elle. Le harcèlement sexuel existe toujours, mais il est désormais pris au sérieux à tous les niveaux, et des comptes doivent être rendus. « L’environnement n’est plus du tout le même. »
Aujourd’hui, affirme-t-elle, la grande majorité des personnes qu’elle côtoie comprennent ce qu’est une microagression : « C’est le supplice des mille coupures, l’accumulation de petits gestes qui te font sentir exclue. »
Elle nuance toutefois : « Bien sûr, tout n’est pas réglé », ajoutant qu’il y aura toujours des pommes pourries. « Mais je crois que la majorité des gens veulent bien faire et s’améliorer. »
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