Ouvrir la voie aux femmes de science
La scientifique de renom Andrée G. Roberge revient sur son parcours personnel en tant que femme dans le milieu des sciences au Canada.
Active dans le milieu scientifique depuis une soixantaine d’années, Andrée G. Roberge nous pousse à réfléchir à l’évolution de la place des femmes dans le milieu universitaire, et ce, en faisant le récit de quelques-unes de ses expériences personnelles.
Membre émérite de l’Acfas, elle ne se fait pas prier pour expliquer les défis auxquels elle a dû faire face en tant scientifique dans un contexte difficile en termes d’égalité femmes-hommes. Elle raconte, entre autres, ses premières années d’université à la fin des années 1950 et le rejet de sa candidature à la Faculté de médecine de l’Université Laval, autrefois difficile d’accès pour les jeunes femmes.
« Il fallait, pour être acceptée à la Faculté de médecine, avoir une famille dont le père était médecin. Il y avait seulement cinq femmes au début. Donc moi, je n’ai pas pu être acceptée, même si j’avais de très bonnes notes. Ne vous inquiétez pas de ce côté-là! On passait beaucoup de temps à les réviser, car on ne croyait pas qu’une femme puisse avoir de si bonnes notes en science. Ça vous donne une idée! »
« Il fallait, pour être acceptée à la Faculté de médecine, avoir une famille dont le père était médecin. Il y avait seulement cinq femmes au début. Donc moi, je n’ai pas pu être acceptée. »
Mme Roberge choisi donc de faire ses études dans un programme nommé à l’époque « diétothérapie » à l’Université Laval. Des années plus tard, disposant d’une notoriété assez importante en tant que directrice de ce département, elle contribuera au changement de nom de celui-ci pour « nutrition humaine ». Après avoir obtenu son premier diplôme universitaire, elle fera une maîtrise en biochimie médicale à la Faculté de médecine du même établissement. Elle y effectuera ensuite son doctorat et terminera son parcours de formation en effectuant un postdoctorat de trois ans à l’Université McGill. À partir de ce moment, en évoluant comme scientifique, petit à petit, elle contribuera à briser les codes d’une société patriarcale.
Dès le début de sa carrière, Mme Roberge s’est toujours « “positionnée” comme femme ». « À l’époque, j’étais membre du Conseil de recherches médicales du Canada donc pas besoin de vous dire que la communauté savait qui j’étais […] Si je recevais une invitation pour un événement, j’y allais tout le temps, même si ma présence n’était pas bien accueillie… Je me retrouvais alors autour des hommes qui jasaient le plus! Personnellement, j’ai dû me “positionner”. »
Au fil des années, en plus de représenter le Canada au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), elle a aussi été invitée de nombreuses fois par l’Organisation Mondiale de la Santé, et ce, en Roumanie, en Suisse et même au Japon. Elle a aussi présidé de nombreux groupes, associations, conseils et instituts.
Après avoir été présidente de l’Acfas en 1989, Mme Roberge a pris les rênes du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie de l’Institut national de recherche scientifique (INRS). Le processus de candidature ne s’est toutefois pas fait normalement. La scientifique n’a pas postulé, c’est plutôt son recteur de l’époque qui a soumis sa candidature. Elle a ensuite appris qu’elle était invitée à passer une entrevue pour le poste : « Je ne croyais pas trop à cette réalité-là », révèle Mme Roberge.
À ses yeux, ces quelques anecdotes sont des prises de position qui lui ont permis de monter les échelons et faire valoir ses compétences dans un milieu traditionnellement réservé aux hommes.
Même si la situation de la femme a grandement évolué depuis le milieu du XXe siècle, un travail de longue haleine est encore à faire pour atteindre l’égalité femmes-hommes dans le domaine des sciences. Encore aujourd’hui, selon un document datant de 2019 du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, les jeunes femmes sont moins nombreuses que les hommes à être inscrites en sciences de la nature et en techniques physiques dans les divers cégeps de la province.
« Si je recevais une invitation pour un événement, j’y allais tout le temps, même si ma présence n’était pas bien
accueillie… »
Mme Roberge tient toutefois à préciser sa pensée concernant l’accès des femmes à certains postes ayant beaucoup de responsabilités. « Pour un poste donné, je ne veux pas absolument du 50/50 : je veux d’abord la qualité », explique-t-elle. Selon la scientifique, la « qualification » est « le [critère le] plus important » et doit « primer ». C’est ce qui donne de la « valeur » aux femmes, ajoute-t-elle.
Un nouvel élan
« Quand j’ai terminé tout ce travail, je pense que j’étais rendue [à me tourner vers la] recherche », ajoute-t-elle, d’où la création de ses entreprises et la commercialisation de sa recherche.
Mme Roberge est actuellement présidente du Groupe Neuro Inc., une entreprise privée qu’elle a fondée dans le but de commercialiser une douzaine de tests sanguins qui « mesurent l’entrée et la sortie [des informations] du cerveau ». Le test sanguin développé par Mme Roberge permet de faire la distinction entre les valeurs chimiques de l’anxiété et celles de la dépression.
La scientifique est aussi, encore aujourd’hui, « énormément » impliquée dans l’étude du stress post-traumatique. Spécialisé dans la relation entre le cerveau et le système immunitaire Mme Roberge a eu l’idée d’un projet unique en Amérique du Nord nommé la « Maison des vétérans du Canada » et qui s’établira prochainement sur le site du Lac-Vert dans la région de Bellechasse, non seulement de prendre soin des personnes atteintes de stress post-traumatique, mais aussi de prodiguer des soins aux familles.
Mme Roberge continue toujours, via son entreprise et dans le cadre de sa plus récente initiative, la Maison des vétérans du Canada, de contribuer au développement de la science en français au Canada.
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