Permis d’études : le haut taux de refus cause des maux de tête
Les universités de langue française défavorisées par les processus d'octroi de permis aux étudiants internationaux.
Depuis quelques années, les étudiants africains francophones qui souhaitent venir étudier au Canada essuient des taux de refus très élevés, même lorsqu’ils ont été acceptés par un établissement canadien. Les universités de langue française en subissent les contrecoups.
Depuis 2014, le nombre d’étudiants internationaux a grimpé de 142 % à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Le décompte de ceux qui proviennent de pays africains francophones a bondi de 280 %. « Ils représentent 65 % de tous nos étudiants internationaux, soit la plus forte proportion parmi toutes les universités québécoises », précise le recteur Christian Blanchette.
Depuis quelques années, l’UQTR se heurte à un taux anormalement élevé de déni de permis d’étude par le gouvernement fédéral envers les candidats des pays francophones de l’Afrique. Entre 2019 et 2022, ces refus ont oscillé entre 78 et 90 %. En guise de comparaison, 90 % des étudiants chinois inscrits à l’UQTR ont vu leur demande acceptée.
L’UQTR est loin d’être la seule à souffrir de cette situation. Les efforts de recrutement de l’Université de Montréal dans les pays francophones africains se traduisent par une augmentation des demandes d’admission provenant de ces États, mais pas par une hausse des inscriptions.
« On peut penser qu’une partie des étudiants ne s’inscrivent pas parce que le gouvernement a refusé leur demande de permis d’étude, reconnaît la porte-parole de l’établissement, Geneviève O’Meara. Nos statistiques démontrent que nous devons désinscrire plus d’étudiants en provenance d’Afrique que de pays tels l’Inde, la Chine ou le Brésil. Cette disparité a augmenté ces dernières années. »
Le problème touche l’ensemble des universités francophones au Canada. L’Université de Moncton, par exemple, a pris un virage vers l’internationalisation au milieu des années 1990. Elle souhaite s’imposer comme un leader éducatif dans la francophonie. Mais cette volonté se heurte aux refus de permis. « Nous avons reçu 4 000 demandes d’étudiants internationaux cette année et nous avons émis 1 500 offres, mais seulement 200 de ces candidats étudieront finalement chez nous », regrette Denis Prud’homme, recteur et vice-chancelier de l’Université Moncton.
Taux de refus élevés
Si Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) affirme que toutes les demandes de permis sont traitées de façon équitable, un coup d’œil aux statistiques pour 2021 illustre l’ampleur du problème. Cette année-là, le gouvernement a rejeté 72 % des candidatures provenant de pays africains ayant une forte population francophone, contre 35 % pour l’ensemble des autres régions du monde.
Par ailleurs, le nombre très élevé de demandes issues de la Chine et de l’Inde faussent les données. En effet, ces deux pays représentent à eux seuls près de la moitié des demandes. Lorsqu’on les retire des statistiques, l’écart se creuse encore plus entre les États africains francophones et le reste du monde. À peine 17 % des étudiants qui ne proviennent ni d’Afrique ni de la Chine ou de l’Inde ont essuyé un refus.
« Nous avons reçu 4 000 demandes d’étudiants internationaux cette année et nous avons émis 1 500 offres, mais seulement 200 de ces candidats étudieront finalement chez nous. »
Toujours en 2021, on note des taux de rejet de plus de 80 % envers les candidats de neuf pays d’Afrique francophone (Algérie, Bénin, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, République populaire du Congo, Guinée, Togo). Seulement cinq affichent un niveau de refus sous la barre des 60 % (Timor oriental, Madagascar, Maurice, Maroc, Tunisie).
Ce sont principalement les universités francophones qui pâtissent de cette situation. « Cela saute aux yeux quand on voit que le taux d’acceptation des permis d’étudiants internationaux avoisine les 90 % à l’Université McGill, contre à peine 21 % à l’UQTR », souligne Alexis Brunelle-Duceppe, député de Lac-Saint-Jean à la Chambre des communes et vice-président du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration.
De multiples impacts
L’Afrique francophone représente l’un des principaux bassins de recrutement des établissements francophones. « Elles ne peuvent pas se tourner aussi facilement que les universités de langue anglaise vers d’autres régions comme l’Asie, l’Europe de l’Ouest ou l’Afrique anglophone », souligne Étienne Carbonneau, directeur du soutien à l’internationalisation du réseau de l’Université du Québec.
La situation a un impact financier sur les universités, puisque les droits de scolarité sont plus élevés pour les étudiants internationaux que pour les Canadiens. C’est encore plus le cas au Québec, où les frais des étudiants locaux restent relativement bas. Difficile toutefois d’évaluer le manque à gagner. « Les établissements ne savent pas pourquoi le candidat ne se présente pas, déplore M. Carbonneau. Cela complique le calcul du nombre d’étudiants dont l’absence découle d’un refus de permis. »
La situation a également un gros impact sur la lourdeur du recrutement des étudiants internationaux. « Si ça prend 100 candidatures pour obtenir quatre inscriptions, l’établissement doit quand même traiter 100 dossiers et émettre 100 offres, explique M. Carbonneau. Depuis quelques années, le taux de refus pour les étudiants africains francophones est si élevé qu’il empêche toute prévisibilité. »
Les demandeurs de permis de ces pays représentent par ailleurs les premières victimes de ces refus. « Pour eux, c’est souvent tout un projet de vie qui repose sur leurs études à l’étranger, affirme Claire Launay, vice-présidente de l’organisme Le Québec c’est nous aussi. Lorsqu’ils reçoivent une lettre d’acceptation d’une université, c’est le signe que ce projet démarre. Puis, il s’arrête brutalement en raison d’un refus
de visa. »
Des motifs de refus arbitraires
Cet arrêt est d’autant plus violent que les raisons derrière ces refus restent parfois obscures. Parmi les plus fréquemment invoquées par les fonctionnaires d’IRCC, on retrouve la crainte que l’étudiant demeure au pays au-delà de la durée de séjour autorisée. Les candidats doivent prouver qu’ils quitteront le Canada à la fin de leurs études. Pour prendre une décision, les fonctionnaires analysent leur déclaration d’intention, leurs liens familiaux au Canada et dans leur contrée d’origine ou encore l’historique de leurs déplacements.
Par ailleurs, la double intention (venir étudier au Canada et vouloir s’y établir de manière permanente) n’est pas du tout interdite, à condition que le candidat ne reste pas chez nous sans titre de séjour valide. Cependant, des témoins ont affirmé devant le Comité permanent qu’ils conseillaient aux étudiants africains de ne plus dévoiler leur double intention, car elle pouvait leur nuire.
Ce motif de refus va totalement à l’encontre de la volonté affichée des gouvernements canadiens et québécois d’attirer davantage d’immigrants pour combler nos besoins de main-d’œuvre.
En mai dernier, le gouvernement du Québec annonçait qu’à partir de l’automne 2023, les étudiants internationaux inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur francophone situé en région paieront les mêmes droits de scolarité que leurs collègues québécois, à condition d’étudier dans certains domaines spéciques. Les programmes admissibles se trouvent dans les technologies de l’information, le génie, la santé, les services sociaux et l’éducation, qui connaissent tous de graves pénuries de main-d’œuvre.
De son côté, le gouvernement canadien a récemment confirmé l’extension des permis postdiplômes pour les diplômés internationaux. Ainsi, ceux dont le statut temporaire arrive à échéance pourront demeurer plus longtemps au Canada, afin d’augmenter leurs chances d’obtenir leur résidence permanente.
« Les étudiants internationaux originaires de l’Afrique francophone ont étudié en français, décroché un diplôme québécois, développé un réseau social chez nous et ont souvent déjà des offres d’emploi, fait remarquer M. Brunelle-Duceppe. Leur dire de retourner chez eux, c’est totalement contradictoire par rapport à nos besoins et le Québec en souffre particulièrement. »
C’est d’autant plus choquant que les recruteurs professionnels vantent allègrement aux étudiants africains les possibilités de s’établir au Canada. « La perspective d’obtenir la résidence permanente fait partie intégrante des projets d’étude présentés par ces recruteurs, ce qui rend encore plus étonnant le nombre de demandes rejetées par peur que l’étudiant reste au Canada », déplore Mme Launay. Selon elle, cela démontre que les pratiques d’IRCC ne soutiennent plus adéquatement les objectifs d’immigration du Canada (quoique le ministère conteste cette interprétation).
« La perspective d’obtenir la résidence permanente fait partie intégrante des projets d’étude présentés par ces recruteurs, ce qui rend encore plus étonnant le nombre de demandes rejetées par peur que l’étudiant reste au Canada. »
Les fonctionnaires justifient plusieurs refus par leur crainte que l’étudiant ne dispose pas de ressources financières suffisantes. Mais une autre cause de rejet fait bondir le recteur de l’UQTR. En effet, une proportion signicative des demandes des étudiants africains francophones sont refusées parce que le fonctionnaire évaluant le dossier ne croit pas que le programme d’étude choisi soit raisonnable en vertu de leurs études antérieures et de leur parcours professionnel, ainsi que par rapport à d’autres possibilités d’éducation dans leur pays.
« Autrement dit, le fonctionnaire estime que l’université n’aurait pas dû accepter l’étudiant, un jugement qui relève des établissements et non d’IRCC, s’insurge M. Blanchette. Nous disposons de processus et de structures solides pour effectuer ces évaluations. Nous n’admettons pas d’étudiants non qualifiés dans nos programmes. »
Biais et dysfonctionnements
Les raisons derrière les taux de refus très élevés des étudiants africains ne sont pas faciles à cerner. En mai dernier, le Comité permanent déposait aux Communes un rapport très attendu sur le sujet auquel le gouvernement n’a pas encore donné suite. Il a jusqu’au 28 septembre pour y déposer une réponse globale. Le document évoque entre autres l’existence possible de biais raciaux envers les étudiants africains — notamment francophones — au sein d’IRCC. Le ministère a d’ailleurs reconnu en mai 2021 la présence de racisme dans son organisation et a fait part de sa volonté à le combattre. De plus, le 24 mars dernier, lors de sa comparution devant le Comité dans le cadre de cette étude, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, a déclaré : « Il ne m’a pas échappé qu’il y a eu de graves problèmes concernant IRCC. Je ne suis pas ici pour dire qu’ils n’ont pas eu lieu, mais pour m’engager à améliorer la situation. »
Certains dysfonctionnements expliqueraient aussi ce traitement différencié. Par exemple, les documents exigés peuvent varier selon les régions du monde, même pour des programmes similaires.
Par ailleurs, l’utilisation du logiciel Chinook dans le traitement des demandes soulève plusieurs interrogations. Officiellement, cet outil ne sert qu’à appuyer le fonctionnaire, sans prendre aucune décision et sans éliminer personne. Cependant, certaines de ses fonctions pourraient influencer les résultats et contribuer à perpétuer des biais contre les candidats de certains pays.
Nadia Barrou agit comme avocate en immigration depuis plus de 25 ans. Elle pointe un autre phénomène qui aurait nui aux candidats africains. Elle rappelle que les écoles professionnelles privées se sont multipliées ces dernières années et ont beaucoup visé le marché africain, en raison du grand nombre de jeunes là-bas qui souhaitent étudier à l’étranger. Elles ont connu beaucoup de succès, car les études professionnelles sont moins coûteuses et plus courtes que les études universitaires.
Des intermédiaires recrutent des étudiants pour ces écoles, en échange de lourdes commissions. « Les écoles ont diminué leurs droits de scolarité pour demeurer compétitives et payé des commissions de plus en plus élevées aux recruteurs, alors elles n’avaient plus beaucoup d’argent pour nancer leurs programmes, raconte Me Barrou. Peu de leurs diplômés travaillent dans leur domaine. L’inscription à ces écoles servait surtout à pouvoir entrer au Canada. »
Le gouvernement fédéral a voulu contrer ce stratagème en réduisant le nombre de permis qu’il décernait pour ces études professionnelles. « Les intermédiaires ont donc commencé à conseiller aux candidats de se faire accepter dans une université, puis de changer pour une école professionnelle une fois arrivés au pays, poursuit Me Barrou. Cela a alimenté la méfiance envers les demandes des étudiants africains et contribué à la flambée des taux de refus. »
Le rapport du Comité permanent comprend pas moins de 35 recommandations pour tenter de régler ce traitement différentiel des demandes africaines. L’une des plus importantes concerne la nomination d’un ombudsman de l’immigration. « Ça fait longtemps que nous l’exigeons et nous espérons que cette fois soit la bonne, soutient M. Brunelle-Duceppe. L’un des principaux problèmes que nous soulignons dans le rapport réside dans le manque de transparence dans les processus et les motifs de refus d’IRCC. Un ombudsman aiderait à changer cela. »
Le rapport propose aussi, entre autres, l’amélioration des processus de validation des renseignements financiers des futurs étudiants internationaux, la publication par IRCC d’un plan pour réduire le taux de refus élevé des demandes de visa étudiant par des candidats francophones, la simplification des processus de demande, la diminution des délais ou encore un éclaircissement du traitement de la double intention.
Préserver la réputation du Canada
Dan Weber, directeur principal de l’innovation et de la stratégie à ApplyBoard – une entreprise canadienne qui aide les étudiants internationaux à soumettre leurs dossiers pour effectuer des études postsecondaires à l’étranger –, croit que le Canada a beaucoup à perdre s’il n’améliore pas son traitement des demandes africaines. « Beaucoup de pays africains connaissent depuis longtemps une explosion démographique; leur population est jeune et ces pays peinent à répondre à la demande pour des études universitaires de qualité, rappelle-t-il. Cela représente une grande occasion pour le Canada, qui tente justement de recruter plus d’étudiants internationaux et d’accueillir plus d’immigrants. »
« La compétition demeure forte pour attirer les étudiants internationaux, donc si le Canada ne traite pas bien les candidats, sa réputation pourrait en souffrir dans certaines régions. »
Le Canada s’est forgé une réputation enviable au fil des ans, notamment en créant des conditions favorables aux étudiants internationaux, comme la possibilité de travailler pendant et après les études. Mais bien d’autres pays, tels le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis, ont aussi bonifié leur offre. « La compétition demeure forte pour attirer les étudiants internationaux, donc si le Canada ne traite pas bien les candidats, sa réputation pourrait en souffrir dans certaines régions », croit M. Weber.
Chose certaine, les établissements francophones n’entendent pas baisser les bras. « Au contraire, nous accentuons continuellement nos efforts de recrutement, notamment dans les pays dont le taux de refus est très élevé en gardant espoir que les niveaux d’acceptation seront bientôt en hausse, affirme Jérôme Pelletier, porte-parole de l’Université Laval. Nous espérons d’ailleurs que les améliorations proposées dans le rapport du Comité permanent y contribueront. »
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