Viser la Lune
Un regain d’intérêt à l’endroit du plus proche voisin de la Terre permet aux universitaires de développer l’expertise du Canada en matière d’exploration spatiale.
La Lune se profile comme la nouvelle frontière du Canada en matière d’études interdisciplinaires. Grâce à un financement gouvernemental substantiel, des chercheurs de tout le pays s’unissent pour trouver des manières de mener des travaux de recherche sur la surface lunaire.
Il s’agit de la nouvelle « ruée vers la Lune ». Ces dernières années, la Chine a envoyé des modules d’atterrissage non habités sur la Lune et sur Mars, et prévoit de nombreuses autres missions ambitieuses. Des responsables de la NASA ont décrit la Chine comme un joueur sérieux de l’exploration spatiale et ont lancé des avertissements contre d’éventuelles conséquences en matière de sécurité à mesure que ce pays étend sa portée dans l’univers. L’agence a maintenant pour objectif de faire atterrir des humains sur la Lune d’ici 2025, ce qui constituerait la première mission de ce type depuis plus de 50 ans.
La NASA travaille avec une coalition de partenaires comprenant des agences spatiales d’Europe, du Japon et, bien sûr, du Canada. Notre pays fournira un nouveau bras robotique, le Canadarm3, pour faciliter les arrivées sur Gateway, la station spatiale qui sera en orbite autour de la Lune. Le projet s’inscrit dans une tradition d’utilisation des bras spatiaux canadiens dans le cadre de missions d’exploration spatiale qui remontent aux balbutiements du programme de la navette spatiale de la NASA, mis en place dans les années 1970.
« Il s’agit d’un moment crucial et le financement disponible aux États-Unis est conséquent », explique Myriam Lemelin, professeure adjointe à l’Université de Sherbrooke. Celle-ci est en lice pour participer au Programme d’accélération de l’exploration lunaire (PAEL), géré par l’Agence spatiale canadienne (ASC), qui promet un financement de 150 millions de dollars. « Il était primordial que le Canada puisse coordonner ses recherches au même moment [que les Américains], afin que nous puissions nous associer à nos partenaires américains et à d’autres partenaires étrangers », explique Mme Lemelin.
Pour l’ASC, viser la Lune était un choix évident parce qu’elle offre un terrain propice à la création d’emplois de haute qualité et à l’accroissement de l’expertise canadienne dans les domaines des sciences, de la technologie, du génie et des mathématiques.
Le PAEL prévoit des activités qui se dérouleraient en orbite lunaire ou sur la surface de la Lune, avec l’objectif de s’étendre éventuellement à d’autres destinations (y compris des endroits reculés sur Terre). Selon Erick Dupuis, directeur du développement de l’exploration spatiale à l’ASC, le programme aidera le Canada à « tirer profit de l’économie lunaire naissante. L’espace n’est pas encore une marchandise qu’on achète, mais on assiste à une lente transformation de la façon de faire des affaires dans l’espace, ajoute-t-il. En vérité, nous voulons nous assurer de bien positionner le Canada, et en particulier l’industrie et la communauté spatiales canadiennes, pour tirer parti de ce qui se profile à l’horizon ». De plus, M. Dupuis souligne que l’espace est un outil diplomatique puissant, car il exige que les pays travaillent de concert pour résoudre des problèmes complexes.
Survivre à la nuit lunaire
Le plus médiatisé des projets du PAEL est un microrover lunaire canadien, qui devrait prendre son envol dès 2025. La planification est encore embryonnaire, mais M. Dupuis indique que l’ASC élabore depuis plus d’un an les exigences contractuelles auxquelles devront répondre les entreprises qui souhaitent participer au projet.
Le potentiel pour le milieu scientifique canadien est énorme, car le projet permettra de réunir des équipes de concepteurs de partout au pays, poursuit M. Dupuis, et de les préparer à une mission lunaire qui pourrait mener à d’autres travaux d’exploration spatiale. Toutefois, les exigences sont considérables pour quelques années de recherche seulement. L’ASC vise à placer au moins deux instruments scientifiques sur le rover : l’un sera de fabrication canadienne et l’autre, de fabrication américaine.
Le rover passera au moins un jour lunaire complet (soit environ 14 jours terrestres) à recueillir des images, des mesures et d’autres données sur la surface de la Lune et à les transmettre à la Terre. Il devra ensuite survivre à une nuit lunaire, qui dure également 14 jours terrestres. Les températures chuteront à au moins -208 °C et le rover sera privé d’énergie solaire. S’il résiste à ces conditions, le rover disposera d’un autre cycle terrestre de deux semaines de pleine lumière pour poursuivre l’exploration.
« Concrètement, c’est toute une série de technologies canadiennes qui s’envoleront vers la Lune »
« Concrètement, c’est toute une série de technologies canadiennes qui s’envoleront vers la Lune », déclare M. Dupuis, expliquant la valeur inouïe du matériel testé en vol pour la communauté spatiale. Dans un secteur qui doit notamment composer avec des radiations élevées et des écarts de température extrêmes, les composantes les plus convoitées sont celles qui présentent un degré de préparation élevé, soutenues par des années de simulations, d’essais en laboratoire et d’expérience en situation réelle qui ont abouti à une mission dans l’espace. Des chercheurs de diverses universités canadiennes participeront à cette passionnante aventure. En discutant avec des universitaires de différents établissements qui travaillent dans le cadre du PAEL, on remarque qu’il agit à titre de catalyseur de la recherche canadienne, permettant ainsi de consolider un réseau de chercheurs novateurs dans tout le pays.
« Nous disposons d’une grande expertise en matière de mégadonnées provenant de notre communauté d’astronomes et de géographes », explique Sarah Gallagher, nouvellement nommée directrice de Western Space, un réseau interdisciplinaire de départements axés sur l’exploration spatiale à l’Université Western. « Nous tablons à la fois sur les observations terrestres et spatiales pour développer cette expertise », précise-t-elle.
Bien que l’Université Western participe à de nombreuses initiatives du PAEL, le projet de microrover nécessitera une collaboration intensive avec d’autres établissements d’enseignement supérieur canadiens, dont les universités de l’Alberta, MacEwan et de Sherbrooke.
Le rover est un explorateur géologique guidé par une expertise scientifique qui utilise des techniques mises au point sur Mars par des robots comme Curiosity et Perseverance, issus du laboratoire de recherche sur la propulsion de la NASA. La Lune a été façonnée par des milliers d’années de collision entre des astéroïdes et sa surface. Ces astéroïdes transportent des molécules volatiles délicates comme l’eau ayant progressivement laissé derrière elles de profonds dépôts de glace qui pourraient être utiles à l’exploration humaine future. Les recherches menées à l’Université Western aideront le rover à découvrir les processus qui façonnent la Lune grâce à la prospection géologique et géophysique.
Concevoir de nouveaux outils
Les ambitions du Canada en matière d’exploration spatiale passent également par la conception d’instruments de précision. Un autre projet du PAEL ciblant la Lune est mené par une équipe de chercheurs des universités Simon Fraser, McGill et du Manitoba. Dirigée par l’Université Simon Fraser, l’équipe prévoit mettre à profit des décennies de recherche sur la mesure des tremblements de terre et la force de gravité de la Terre pour approfondir ses connaissances sur la Lune.
Son environnement présente cependant encore plus de défis que celui de la Terre. Les sismographes et les gravimètres (les appareils qui mesurent les forces gravitationnelles) doivent être miniaturisés, car chaque kilogramme transporté dans l’espace est précieux. Ils doivent également être très autonomes puisque les astronautes seront trop occupés pour les surveiller constamment et les réparer si nécessaire. De plus, la Lune présente des fluctuations de gravité qui sont encore peu comprises, ce qui a compliqué les atterrissages pour les astronautes d’Apollo dans les années 1960 et 1970. La NASA espère que la grande précision qu’offrent les instruments d’aujourd’hui permettra de mieux comprendre son champ gravitationnel afin de protéger les équipages.
L’équipe dirigée par l’Université Simon Fraser vise à créer des sismographes et des gravimètres miniaturisés prêts à affronter les rigueurs de l’espace et capables d’enregistrer des données précises, permettant potentiellement de percer les mystères des phénomènes qui se produisent sous la surface lunaire. Ces travaux pourraient servir à bien d’autres fins que celle d’explorer la Lune, car les scientifiques sont toujours désireux d’approfondir leur compréhension de la Terre et des autres mondes rocheux comme Vénus et Mars.
Ils pourraient également servir concrètement sur la Terre. « Par exemple, dans l’industrie minière, il serait envisageable d’utiliser le même type de technologie et de développer de nouveaux dispositifs hypersensibles et compacts à l’usage des mineurs qui étudient la structure souterraine de la Terre », explique Behraad Bahreyni, professeur agrégé à l’Université Simon Fraser qui fait des recherches sur les microsystèmes, les capteurs et le traitement de leurs signaux.
Avant de présenter sa proposition dans le cadre du PAEL, M. Bahreyni s’est entretenu avec des scientifiques qui étudient la Lune et qui proviennent de partout au pays pour comprendre les enjeux qui animent la communauté. L’eau s’est avérée un élément important, mais on souhaite également comprendre les phénomènes sous la surface. À quoi sont attribuables les variations de gravité? Pourquoi le champ magnétique de la Lune est-il si petit et fluctuant? Quelles en sont les incidences sur un vaisseau spatial? « Nous utiliserons les capteurs pour évaluer nos performances et déterminer les données à recueillir à la surface, en vue de trouver le moyen de les transposer au sous-sol, explique M. Bahreyni. Nous devrons également nous assurer que ces objets peuvent être déployés de sorte qu’ils survivent au lancement, à l’atterrissage et à toutes les autres étapes de la mission. »
Évaluer les avantages
Les retombées des investissements dans l’espace semblent toujours progressives. La chirurgie robotique a connu des avancées grâce au bras spatial canadien. Elle n’est toutefois apparue que dans les années 2000, après l’élaboration du bras spatial canadien dans les années 1970 et 1980. D’autres utilisations potentielles sont envisagées en matière de santé, particulièrement pour les personnes vivant dans des régions éloignées, dans des communautés autochtones ou dans des résidences pour personnes âgées, mais elles ne seront peut-être pas réalisées avant des décennies.
À court terme, l’exploration de la Lune pourraient être bénéfiques, selon M. Bahreyni, notamment en stimulant la collaboration d’équipes de différentes provinces et la création d’emplois de qualité pour les étudiants et les jeunes chercheurs, en plus de contribuer à l’enrichissement des connaissances.
Dans les années à venir, l’ASC s’attend également à ce que les réseaux de connaissances ainsi créés produisent des avantages difficiles à prévoir. « Avec le PAEL, nous essayons de bâtir une industrie canadienne solide, diversifiée et dotée de petites et moyennes entreprises dynamiques, explique M. Dupuis de l’ASC. Nous voulons que ces entreprises soient viables, qu’elles aient des marchés commerciaux à long terme et qu’elles soient en mesure de fournir des emplois de qualité aux diplômés qui sortiront de l’université. »
M. Dupuis souligne également que, pour l’ASC, la Lune n’est pas la seule destination possible. Des missions vers des astéroïdes sont également prévues. Le Canada et ses partenaires étrangers ont aussi des visées sur Mars. Dans le milieu, on lance souvent à la blague qu’environ 20 ans séparent le moment présent d’une mission humaine vers la planète rouge. Et en effet, les dernières estimations de la NASA concernant les atterrissages (réalisées alors que l’administration Trump était en place) suggèrent une date possible autour de l’année 2035.
La marche menant vers Mars est haute sur le plan de la complexité, étant donné qu’une mission durerait au moins deux ans et que les astronautes seraient si loin de la Terre qu’il serait difficile de leur venir en aide. Néanmoins, l’ASC, la NASA et d’autres agences spatiales continuent de travailler sur des missions robotiques vers Mars en préparation de missions humaines, y compris le retour sur Terre d’échantillons de la planète rouge dans les années 2030 en vue d’analyses poussées.
« Nous travaillons à la concrétisation de nombreuses autres missions dans le système solaire et dans le domaine de l’astronomie spatiale, indique M. Dupuis au sujet de l’ASC et de ses contrats avec les chercheurs canadiens. La Lune n’est donc qu’une partie du casse-tête que nous réserve l’espace. »
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