Les pièges de la parité professionnelle

Les femmes ne devraient pas se sentir obligées d’accepter un poste de direction pour combler l’écart entre les hommes et les femmes, car elles le font déjà tout simplement en évoluant dans le milieu universitaire.

29 mai 2018

J’ai récemment assisté à une conférence où, à la fin d’une table ronde, une de mes étudiantes aux cycles supérieurs, Chantal Maclean, a levé la main et posé la question suivante : « Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes au sein de votre groupe d’experts? » Nous avons toutes les deux trouvé très révélatrice la conversation qui a suivi. D’abord, tant les organisateurs que les membres du groupe se sont démenés pour justifier la composition de la table ronde. Les membres se sont excusés. Ils ont reconnu qu’ils avaient peut-être inconsciemment un parti pris sexiste, qu’il n’y avait pas assez de femmes en sciences et qu’ils connaissaient beaucoup de femmes plus intelligentes qu’eux. Les organisateurs, quant à eux, ont tenu à souligner qu’ils avaient en fait invité de nombreuses femmes, mais qu’elles avaient toutes d’autres engagements professionnels, et que c’était la raison pour laquelle le groupe d’experts était entièrement constitué d’hommes.

Sollicitées de toutes parts

Cette remarque m’a fait réfléchir. Je crois que cette expérience démontre une menace constante qui pèse sur les chercheuses, et certainement sur de nombreux groupes minoritaires, mais dont je n’ai jamais entendu parler ailleurs. Dans sa hâte à corriger le déséquilibre entre les sexes (entre autres) à la haute direction, au sein de comités et de forums, le milieu universitaire ne laisse pas le temps aux femmes d’approfondir leurs travaux de recherche et d’être reconnues comme expertes dans leur discipline. Contrairement aux hommes, les femmes invitées à se joindre au groupe d’experts avaient toutes trop d’engagements professionnels pour y participer.

Lorsque je suis devenue professeure adjointe, un collègue plus âgé m’a avertie : « Tous les comités essaieront de te recruter parce que tu es une femme. Apprends à dire non. »

Lorsque j’étais professeure agrégée, on m’encourageait fréquemment à soumettre ma candidature pour devenir doyenne associée, ce qui était selon moi prématuré compte tenu de mon expérience relativement limitée. J’ai refusé ces propositions parce que je voulais me concentrer sur mon programme de recherche et que j’avais été témoin de la baisse de productivité à cet égard d’autres scientifiques ayant accepté des postes de direction.

À l’époque, je me demandais si les efforts pour éliminer le déséquilibre entre les sexes à la direction n’accentuaient pas le problème en recherche. La transition rapide des femmes à un poste de direction universitaire explique peut-être en partie leur faible représentation dans les publications universitaires et parmi les auteurs expérimentés (p. ex. Sugimoto et coll., Nature, 2013).

Je me demandais aussi si cette situation pouvait en partie expliquer que je sois la première femme à devenir professeure titulaire dans ma faculté depuis sa création 15 ans auparavant. De toute évidence, l’idée d’écrire cet article a germé dans mon esprit il y a cinq ou six ans… mais mes travaux de recherche me tenaient trop occupée. C’est la question de Chantal qui m’incite aujourd’hui à aborder le sujet.

Le problème me semble plutôt ironique, car on recommande souvent de confier des postes de haut rang à des femmes pour contrer « les forces locales et historiques qui contribuent subtilement aux inégalités systémiques limitant la représentation et la progression des femmes en sciences » (ibid.). Quelle stratégie faut-il donc adopter pour atteindre plus rapidement l’égalité des sexes? Confier davantage de postes décisionnels à des femmes, qui pourront à leur tour appuyer les demandes de financement et les initiatives de collaboration internationale de femmes scientifiques; ou laisser à ces femmes le temps de bâtir leur propre programme de recherche complet et novateur et les nommer à des postes de direction plus tard dans leur carrière, selon le modèle qui existait lorsque l’université était avant tout un milieu d’hommes?

Aucune obligation

Je ne sais pas quelle stratégie résorberait le plus rapidement le déséquilibre entre les sexes, mais je suis persuadée que, dans tous les cas, ce processus prendra du temps. Je crois que les femmes doivent être honnêtes avec elles-mêmes et leurs superviseurs et faire ce dont elles ont vraiment envie. Elles ne devraient pas se sentir obligées d’accepter un poste de direction pour combler l’écart entre les hommes et les femmes, car elles le font déjà tout simplement en évoluant dans le milieu universitaire.

Les universitaires de la prochaine génération auront leur propre perception de la parité et de l’égalité entre les sexes. « En tant que scientifique et jeune femme, je récolte les fruits des efforts de tous ceux qui m’ont précédée et ont ouvert la voie aux femmes dans le milieu universitaire, déclare Chantal. Il reste beaucoup à faire, et ma génération a le devoir de poser des questions difficiles et d’amorcer le dialogue nécessaire pour faire avancer les choses. » Chantal n’a pas peur de poser des questions difficiles, et je sais qu’elle contribuera au changement.

Nicola Koper est professeure de biologie de conservation à l’Université du Manitoba.

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