Oui, il est important de parler aux médias

Dans la mesure où vos commentaires relèvent de votre domaine d’expertise, ils constituent un remède à certaines bêtises qui circulent.

15 novembre 2019
talk to media

À l’ère de la post-vérité, le corps professoral des universités axées sur la recherche joue un rôle encore plus important qu’il y a une décennie à peine. Aujourd’hui, les professeurs représentent l’une des sources d’information les plus crédibles de la société. Selon le Baromètre de confiance Edelman 2019, le milieu universitaire arrive encore en tête des sources fiables d’information, avec une note de 63.

Dans les médias, les professeurs sont cités principalement pour deux raisons : leurs travaux de recherche et leur expertise dans un domaine particulier. Dans les deux cas, le titre de professeur est important, car il sous-entend que nous « professons » notre savoir, et cet acte de profession ne repose pas sur une opinion, mais plutôt sur une étude approfondie de la matière. En effet, la très grande majorité des professeurs ont une maîtrise ou un doctorat; ils ont creusé un sujet pendant de nombreuses années et ont contribué à faire progresser la connaissance humaine dans un domaine pointu. C’est justement par cette méthode de recherche fondée sur la minutie et la réflexion que les professeurs enrichissent l’espace médiatique.

S’en tenir à ce que l’on sait

Je crois qu’en tant que membres du corps professoral, nous devons limiter nos commentaires à notre domaine d’expertise. Bien sûr, nous avons une opinion sur un éventail de sujets, par exemple sur la composition des trios des Canadiens de Montréal, mais elle ne vaut pas plus que celle des autres amateurs. Ayant étudié la direction d’entreprise pendant plus de 25 ans, je pourrais commenter le travail de Geoff Molson en tant que président et chef de la direction, mais je me garde d’émettre mon opinion sur la stratégie déployée sur la glace (sauf avec les gars de ma ligue de garage, dans le vestiaire après notre traditionnel match du lundi soir, mais mon avis ne pèse pas bien lourd là non plus de toute façon).

Selon moi, nos travaux de recherche doivent constituer le point de départ de nos commentaires dans les médias. Souvent, après le doctorat, nos travaux s’élargissent à mesure que nous acquérons les compétences et l’expérience requises pour aborder des sujets plus vastes. Lorsque vous êtes en début de carrière, il peut arriver que d’autres parties interviennent en votre nom auprès des médias pour faire connaître vos idées. Il s’agit souvent du service de relations avec les médias de l’université ou de journalistes d’une revue spécialisée, ou encore de professeurs chevronnés qui soulignent la pertinence de vos travaux de recherche pour un public élargi. Avec le temps, les chercheurs deviennent des références dans leur domaine respectif, et les médias développent le réflexe de communiquer avec eux directement. Une autre façon de promouvoir vos travaux de recherche consiste à publier des articles d’opinion dans différents médias, journaux, revues ou autres. Cela vous attirera l’attention des journalistes.

Ce qui motive les professeurs à collaborer avec les médias sont souvent les opinions farfelues, voire dangereuses, qui circulent à propos de sujets qu’ils connaissent à fond; ils espèrent orienter l’opinion publique dans une direction juste et sérieuse. Outre le fait qu’elle permette d’aborder un sujet précis, la mention de travaux de recherche dans les médias rappelle l’importance de la recherche universitaire pour la société et renforce l’image de marque d’une université particulière auprès de ses étudiants – anciens, actuels et futurs – et de la population en général.

Ce ne sont pas tous les travaux de recherche, y compris ceux du domaine des affaires, qui sont d’intérêt général. Certains travaux de mes collègues professeurs de finance, par exemple, s’adressent à un public spécialisé, et il en va de même dans diverses disciplines universitaires. Cependant, des travaux comme ceux que j’ai réalisés récemment sur les introvertis, les ambivertis et les extravertis chez les cadres supérieurs sont d’un intérêt beaucoup plus général. Mais rédiger de manière à capter l’attention d’un public plus vaste sans trahir les limites de nos travaux de recherche exige parfois des efforts supplémentaires.

Deux voix

Avec le temps, j’ai adopté deux voix : l’une que je réserve aux revues universitaires et l’autre, plus terre à terre, que j’utilise pour rédiger des ouvrages grand public ou m’adresser aux médias. J’ai rédigé ou corédigé 28 articles parus dans des revues à comité de lecture; il y a quelques années, je me suis rendu compte que je m’adressais à quelques centaines de personnes dans le monde qui s’intéressent aussi à la recherche sur la mondialisation dans l’Antiquité et au Moyen-Âge. Inspiré par l’impact des travaux de mon collègue Henry Mintzberg sur le milieu de la gestion, j’ai entrepris d’élargir mon public. J’ai donc écrit un « livre d’aéroport » fondé sur le travail qu’un collègue et moi avions fait sur la mondialisation sous l’Empire assyrien et l’Empire romain (imaginez ma joie lorsque j’ai aperçu mon livre sur les rayons à l’aéroport d’Heathrow). Cet ouvrage a été évalué dans de nombreux médias et a atteint un public beaucoup plus large que mes articles de revue. Pour rendre l’ouvrage plus accessible, j’ai notamment remplacé les quelque 1 500 notes en bas de page par environ 500 notes en fin d’ouvrage – les secondes étant, paraît-il, mieux acceptées que les premières par mon public cible, soit les gens d’affaires. Mon coauteur et moi-même avons aussi employé un langage plus accessible.

Faire ses recherches

Outre nos travaux de recherche, nous sommes nombreux à formuler des commentaires sur un secteur ou un domaine que nous connaissons bien (pour y avoir travaillé, l’avoir étudié, y avoir pris part à titre de conseiller, etc.). Pour ma part, lorsque j’ai quitté Oxford pour l’Université McGill, j’ai soupçonné qu’il y avait deux entreprises montréalaises sur lesquelles le Financial Times, le New York Times et le Wall Street Journal solliciteraient mon avis : Air Canada et Bombardier. Comme formateur auprès des dirigeants de British Airways et d’autres compagnies aériennes d’Europe, j’ai beaucoup appris sur cette industrie. Et il s’avère qu’à Montréal, où se trouve le siège social des deux entreprises, bon nombre de mes voisins, connaissances, coéquipiers de hockey et collègues sont des employés de Bombardier ou d’Air Canada, ou l’ont déjà été. Je dispose donc d’un formidable réseau de personnes à consulter lorsque je suis sollicité pour donner mon opinion.

L’an dernier par exemple, j’ai donné un cours au premier cycle avec un ami qui a été vice-président chez Bombardier et qui a collaboré de près au dossier des avions de ligne de la C Series. Lorsqu’Airbus a pris les commandes, cela faisait déjà plusieurs années que j’entendais parler de ces avions par l’ami en question, mais aussi par un ancien PDG de Bombardier avec qui je donnais un autre cours. Ces connaissances font de moi une meilleure source d’information, une source qui a fait ses devoirs. En réalité, mes échanges avec les médias m’ont aussi été bénéfiques, puisque certains journalistes très bien informés m’en ont aussi appris sur Bombardier et Air Canada. Quand on fait ses recherches avant de commenter, l’opinion que l’on émet n’est peut-être pas toujours parfaite, mais elle est raisonnablement juste. Un ancien PDG de Bombardier m’a dit un jour qu’il n’était jamais vraiment en désaccord avec les commentaires que je formulais sur l’entreprise dans les médias. J’ai trouvé cela encourageant.

À l’ère de la post-vérité, je crois que les professeurs peuvent fournir un remède ô combien nécessaire aux bêtises colportées par un trop grand nombre de sources.

Karl Moore est professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels. En 2017, l’Université McGill lui a remis un Prix reconnaissance pour ses réalisations exceptionnelles en rayonnement médiatique.

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