Quiconque passe beaucoup de temps sur un campus universitaire canadien, que ce soit pour enseigner, travailler ou étudier, connaît sans doute les conséquences de l’entretien différé : toitures qui fuient, fondations décrépites et installations désuètes, des bibliothèques jusqu’aux laboratoires. Et le problème croît rapidement.
Selon les dernières données comptables de l’Association canadienne du personnel administratif universitaire (ACPAU), publiées en décembre dernier, les arriérés d’entretien différé des universités canadiennes s’élèvent maintenant à plus de 17 milliards de dollars, soit une hausse de 30 pour cent par rapport à 2014.
« Nous avons atteint un point où 36 pour cent des travaux d’entretien différés sont critiques ou peuvent le devenir, affirme Paul Davidson, président-directeur général d’Universités Canada (éditrice d’Affaires universitaires). Chaque université tient un registre des risques pour ses biens matériels, et nous constatons que la situation s’aggrave. »
Les exemples ne manquent pas dans l’ensemble du pays.
En 2013, des auditeurs indépendants ont conclu que le campus principal du Collège d’art et de design de la Nouvelle-Écosse – une série de bâtiments historiques de style victorien majestueux, mais vétustes au centre-ville d’Halifax – était « impropre à l’usage » et nécessitait des travaux de restauration « gigantesques ». En 2017, le comité des finances de l’Université de l’Alberta a déterminé que la plus grande résidence du campus devrait être rénovée au coût de 117 millions de dollars afin d’éviter « une défaillance majeure de ses systèmes ». En 2018, un grand pan de briques s’est détaché du 10e étage de la Nouvelle résidence de l’Université McGill et a écrasé une voiture garée dans la rue. (Le nom est trompeur, car le bâtiment – un ancien hôtel – a été construit en 1977.)
La situation a empiré depuis la pandémie de COVID-19 qui a entraîné la réaffectation des fonds publics et la baisse des inscriptions. Cependant, Universités Canada espère que le prochain budget du gouvernement fédéral contiendra de nouvelles mesures pour ses priorités de relance après la pandémie et que celles-ci aideront les universités à réduire leurs arriérés d’entretien. M. Davidson fait référence aux projets prêts à être mis en chantier d’une valeur de sept milliards de dollars ciblés par Universités Canada; il estime que ces projets peuvent contribuer à stimuler la reprise économique.
Le dernier grand cycle de financement fédéral pour les infrastructures universitaires date de 2016; deux milliards de dollars avaient été affectés à la rénovation des campus par l’intermédiaire du Fonds d’investissement stratégique pour les établissements postsecondaires. Aujourd’hui, M. Davidson espère que le budget comprendra aussi une enveloppe pour les arriérés d’entretien. « Aucun philanthrope n’associe son nom à un système de chauffage, de ventilation et de climatisation. Les fonds du gouvernement fédéral nous seraient d’un grand secours, car nos besoins sont pressants. »
Dans ce contexte, les administrations d’université ont dû faire des choix difficiles en fonction du degré de priorité des réparations.
« Dans une base de données, nous répertorions de manière exhaustive l’état de chaque toiture, de l’enveloppe de chaque bâtiment, des fenêtres, des murs et des systèmes mécaniques et électriques, explique Denis Mondou, vice-principal adjoint à la gestion des installations et aux services auxiliaires de l’Université McGill. À l’aide de ces données, nous déterminons les travaux à exécuter d’urgence et ceux qui peuvent attendre encore un peu. Mais comment établir les priorités à partir de là? C’est un processus qui suit son cours. »
À l’Université McGill, l’arriéré d’entretien s’élève à 1,3 milliard de dollars, d’où l’importance d’établir les priorités. Selon M. Mondou, l’enveloppe des bâtiments passe avant tout. « L’eau qui s’infiltre par la toiture peut endommager tout ce qui se trouve en dessous : l’équipement, les systèmes électriques, etc. »
En outre, M. Mondou explique que la démarche d’entretien vise surtout à assurer que les projets règlent plusieurs problèmes à la fois. Concrètement, cela signifie que certaines réparations sont retardées jusqu’à ce que des travaux plus importants soient entrepris. Par exemple, la durée de vie d’un système de chauffage, de ventilation et de climatisation sera un peu prolongée afin de coordonner son remplacement avec une rénovation de plus grande envergure.
Sur la côte Est, l’arriéré d’entretien atteint deux milliards de dollars, selon Peter Halpin, directeur général de l’Association des universités de l’Atlantique. Mais des dizaines de projets sont prêts à être mis en chantier, comme le remplacement de refroidisseurs inefficaces à la bibliothèque de l’Université St. Francis Xavier par un système géothermique et le remplacement d’une bibliothèque au campus de Saint John de l’Université du Nouveau-Brunswick, qui réduirait de 30 pour cent les coûts de l’entretien différé, selon les estimations.
« Le problème de l’entretien différé nuit à la compétitivité de nos universités, constate-t-il. Nos établissements et certaines de leurs infrastructures sont parmi les plus anciens au Canada. Pour continuer d’attirer les étudiants canadiens et étrangers, nous devons avoir des installations à la hauteur. »
À titre d’exemple, M. Halpin mentionne le pavillon des sciences de l’Université Acadia, qui a récemment connu ses premières rénovations depuis des décennies. « Un employé du gouvernement fédéral, diplômé d’Acadia, venu faire l’annonce du financement, a constaté avec stupéfaction que les laboratoires qu’il avait utilisés 30 ans plus tôt n’avaient pas changé. Il a compris l’importance du financement pour l’Université. »
Le manque de fonds oblige les universités à utiliser leurs sources de revenus de façon créative. Par exemple, l’Association étudiante de l’Université de Guelph a instauré en 2007 une cotisation de 10 dollars par trimestre pour les projets d’amélioration du rendement énergétique. Les cotisations ont été égalées par l’Université, et la somme recueillie s’est révélée essentielle à la réalisation de l’initiative Green Gryphon, un projet de 26,2 millions de dollars visant à accroître l’efficacité énergétique du centre sportif Green Gryphons.
Harry Bakker, vice-recteur adjoint aux ressources matérielles de l’Université de Guelph, juge ce genre d’initiatives très utiles, mais croit qu’un financement fiable et régulier n’en demeure pas moins essentiel. Le gouvernement de l’Ontario s’est récemment engagé à verser 809 millions de dollars sur 10 ans aux universités par l’intermédiaire du Fonds de réfection des installations. Même si cette somme ne répondra qu’à une fraction des besoins, il s’agit selon M. Bakker d’une amélioration considérable par rapport aux annonces annuelles imprévisibles.
« Cet engagement sur 10 ans nous permet de planifier davantage, souligne-t-il, mais le montant n’est pas suffisant. »
Comme M. Davidson, M. Bakker espère une nouvelle enveloppe du gouvernement fédéral. L’Université de Guelph a aussi en réserve plusieurs projets qui allient l’entretien avec les priorités du gouvernement fédéral en matière d’accessibilité et de pérennité. L’Université souhaite entre autres rénover son arboretum, créé il y a 50 ans, et le rendre carboneutre, des travaux évalués à 5 millions de dollars.
Selon M. Davidson, cette initiative représente bien l’éventail de projets prêts à être mis en chantier qu’Universités Canada a ciblés à l’échelle du pays et dont environ les deux tiers satisfont aux priorités d’Ottawa en matière d’infrastructure verte, d’efficacité énergétique et de lutte aux changements climatiques.
Le bâtiment le plus vert est celui qui existe déjà, comme on dit.
« Lors des cycles de financement précédents, les nouvelles constructions ont peut-être été privilégiées, souligne M. Davidson. Nous espérons que le prochain cycle adoptera une vision plus large. Nous devons mieux utiliser notre environnement bâti afin de le rendre plus efficace d’un point de vue économique et environnemental. Voilà ce à quoi les étudiants s’attendent et nous devons rencontrer ces attentes. »