Budget fédéral : les universités et les organismes subventionnaires laissés en plan

Certaines personnes estiment que le dernier budget fédéral est une occasion ratée d’appuyer les chercheurs et chercheuses en début de carrière et d’appliquer les recommandations du Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche.

29 mars 2023
Chrystia Freeland au Parlement du Canada.

Si les hautes instances gouvernementales ont misé sur l’innovation pour le verdissement de l’économie dans le budget fédéral, le milieu de l’enseignement postsecondaire figure à peine dans le plan financier libéral, et ce, pour une deuxième année consécutive. Déposé le 28 mars par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, dans un contexte de ralentissement économique mondial, le budget de 2023 fait la part belle à l’abordabilité, aux soins de santé et aux technologies propres, mais reçoit un accueil assez tiède de la part du milieu universitaire.

Lobbyistes et porte-paroles ont beau réclamer une augmentation significative du financement fédéral accordé au Programme de bourses d’études supérieures du Canada, intouché depuis 20 ans, rien n’a été prévu dans le budget pour corriger le tir.

Cité dans un communiqué, le président-directeur général d’Universités Canada, Paul Davidson, est particulièrement critique à l’égard du gouvernement pour « l’absence de soutien important pour la recherche canadienne ». Ces investissements, le milieu en a pourtant « besoin de toute urgence pour maintenir sa compétitivité », ajoute-t-il.

Le gouvernement indique dans le budget qu’il « examine attentivement » les conseils du Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche, qui a récemment recommandé de hausser de 10 % par an pendant cinq ans le budget des conseils subventionnaires, en plus d’autres investissements. Le Comité consultatif a aussi sévèrement critiqué les niveaux de financement aux cycles supérieurs et au postdoctorat, observant que le financement actuel n’est pas concurrentiel et qu’il en est « à un point de rupture ». Marc Johnson, professeur à l’Université de Toronto et membre organisateur de la campagne Soutenez notre science, est consterné par le fait que les recommandations du Comité aient été totalement exclues du budget, et ce, même si elles ont été présentées au gouvernement plus tôt cette année.

« Il n’y a vraiment aucune excuse », déclare M. Johnson, particulièrement dépité de l’absence de toute hausse du financement aux cycles supérieurs et postdoctoraux. « On assiste à un exode national de nos plus brillants cerveaux et le budget montre que la ministre Freeland et le premier ministre Trudeau ne pensent pas que le Canada doit se montrer compétitif sur l’échiquier mondial. »

 Ce qui s’est taillé une place dans le budget : collèges, bourses et prêts d’études, recherche spatiale et innovation

 

Programme d’innovation dans les collèges et la communauté
Le milieu de l’enseignement postsecondaire fait tout de même l’objet d’un investissement important : les collèges, les cégeps et les instituts polytechniques du Canada reçoivent 108,6 millions de dollars sur trois ans par l’entremise du Programme d’innovation dans les collèges et la communauté administré par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Selon le document budgétaire, la somme servira à aider les entreprises à accéder à l’expertise et aux installations de recherche appliquée et de développement.

Pour Janet Rossant, professeure émérite à l’Université de Toronto et membre du Comité consultatif, il faut reconnaître l’importante contribution des collèges dans la formation et dans la recherche présentant des applications commerciales pour le secteur privé. Elle estime toutefois que ces nouveaux investissements ne vont pas assez loin. « Nous devons continuer d’investir dans le milieu canadien de la recherche, et soutenir à la fois les organismes subventionnaires ainsi que les stagiaires, les étudiant.e.s aux cycles supérieurs et les postdoctorant.e.s qui deviendront le personnel très compétent dont le pays aura besoin pour mener à bien une grande part des initiatives d’innovation annoncées dans budget. »

Meric Gertler, président du conseil d’administration d’Universités Canada et recteur de l’Université de Toronto, a déclaré par écrit à Affaires universitaires qu’en omettant de consentir d’importants investissements attendus depuis trop longtemps pour la recherche fondamentale dans les universités canadiennes ainsi que les personnes qui y travaillent, le gouvernement « rate une grande occasion de renforcer les fondements de l’économie du savoir ».

Aide financière aux études
Les étudiant.e.s postsecondaires auront droit à un peu de répit sous la forme d’une enveloppe de 813,6 millions de dollars en 2023-2024 afin de bonifier l’aide financière étudiante accordée pour l’année scolaire commençant le 1er août. On prévoit notamment une hausse de 40 % du programme de bourses d’études canadiennes, une promesse énoncée dans le budget de 2019, qui permettra aux étudiant.e.s à temps plein de recevoir un maximum de 4 200 dollars. Cette somme représente toutefois un recul par rapport à la hausse temporaire accordée en 2020 en pleine pandémie; le gouvernement avait alors porté le maximum à 6 000 dollars, une décision reconduite pour deux autres années en 2021, soit jusqu’au printemps 2023. D’après les calculs effectués par la firme Higher Education Strategy Associates, cette année, près de 800 millions de dollars de moins que l’an dernier seront accordés par le biais du programme. Sans préciser dans quelle mesure, le budget indique que les bourses seront également bonifiées pour les étudiant.e.s ayant un handicap ou ayant des personnes à charge.

Par ailleurs, le plafond des prêts d’études canadiens sans intérêt passera de 210 à 300 dollars par semaine d’études. Et pour la première fois en 25 ans, le gouvernement rehausse le plafond applicable aux retraits de régimes enregistrés d’épargne-études (REEE), qui passera de 5 000 à 8 000 dollars pour les étudiant.e.s à temps plein, et de 2 500 à 4 000 dollars pour les étudiant.e.s à temps partiel. D’après le gouvernement, cette mesure pourrait avoir un effet sur quelque 500 000 étudiant.e.s par année.

Le gouvernement s’est aussi engagé à élargir l’admissibilité au programme canadien d’exonération du remboursement des prêts d’études pour inclure les médecins et le personnel infirmier qui exercent leur profession dans des localités éloignées ou rurales de moins de 30 000 personnes, ce qui représente un investissement de 45,9 millions de dollars sur quatre ans à compter de 2024-2025, et de 11,7 millions de dollars par la suite.

Recherche spatiale et exploration
La recherche spatiale et l’exploration se sont également retrouvées dans le budget, le gouvernement libéral ayant annoncé qu’il verserait 2,5 milliards de dollars sur 14 ans à l’Agence spatiale canadienne. Un peu plus d’un milliard de dollars servira à poursuivre la participation du Canada à la Station spatiale internationale et à peu près le même montant ira à la construction d’un véhicule lunaire pour la prochaine mission en 2030.

Innovation et technologies propres
De retour sur Terre, plus de détails ont été annoncés concernant l’investissement de 15 milliards prévu l’an dernier pour le Fonds de croissance du Canada. Plutôt que d’en faire une filiale de la Corporation de développement des investissements du Canada, comme le prévoyait l’Énoncé économique de l’automne 2022, le gouvernement adoptera une loi pour que l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public se charge de la gestion. Cet instrument de placement public sans lien de dépendance vise à attirer des capitaux privés dans l’économie propre du Canada. Les premiers placements sont attendus dans la première moitié de 2023. Pour ce qui est de la Corporation d’innovation du Canada, aussi annoncée dans le budget de 2022, c’est le silence radio. Pourtant, le gouvernement a déposé un plan directeur à cet égard il y a un peu plus d’un mois.

Même si ce budget plus modeste fait moins de place à l’innovation que l’an dernier, les libéraux ont promis 500 millions de dollars sur 10 ans pour le développement et l’adoption des technologies vertes par l’entremise du Fonds stratégique pour l’innovation dirigé par Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Cette décision, couplée à quatre nouveaux crédits d’impôt pour les technologies propres ainsi qu’aux investissements ciblés dans la recherche et le développement pour les secteurs forestier et laitier, montre que le gouvernement libéral entend laisser au secteur privé le soin de gérer la recherche et l’innovation pour verdir l’économie et tenir les universités et leurs chercheurs et chercheuses à l’écart de tout nouvel investissement.

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