Ce qui se cache derrière les revenus records enregistrés par les universités durant la pandémie

Malgré les gains inattendus, la fragilité des piliers financiers du milieu inquiète certaines personnes.

26 octobre 2022
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En dépit des fermetures, des restrictions de voyage et des coupures dans les services auxiliaires engendrées par la COVID-19, les universités canadiennes ont déclaré en 2020-2021 des revenus excédentaires records s’élevant à 7,3 milliards de dollars, un sommet inégalé depuis que Statistique Canada a commencé à recueillir les données il y a vingtaine d’années.

Le financement provincial et les droits de scolarité demeurent les deux principales sources de revenus des établissements, mais selon le rapport sur le sujet, c’est surtout aux revenus d’investissements de 5,4 milliards de dollars qu’on peut attribuer ces résultats. « C’est du jamais vu », s’étonne André Lebel, chef et gestionnaire de programme au Centre canadien de la statistique de l’éducation de l’agence fédérale. Il note que le surplus coïncide avec un marché boursier bouillonnant. En comparaison, les universités avaient touché en 2019-2020 des revenus d’investissements de 44,3 millions de dollars, et les revenus annuels moyens étaient de 1,4 milliard de dollars au cours des cinq années précédentes. Le rapport indique toutefois qu’en raison du ralentissement du marché depuis le début de 2022, il est peu probable qu’un rendement semblable se produise pour l’année 2021-2022.

On comprend à la lecture du rapport qu’il ne s’agit pas d’un simple enrichissement fortuit, précise M. Lebel. Les revenus d’investissements sont souvent limités à certains cadres précis. Et mis à part ce rendement exceptionnellement élevé, il affirme qu’« il n’y avait pas de grande surprise ». On peut constater que la baisse du financement provincial moyen se poursuit (baisse dans cinq provinces, montée dans cinq autres). Les universités s’appuient également toujours autant sur les revenus des droits de scolarité (en particulier ceux des étudiant.e.s provenant de l’étranger) pour combler le manque à gagner.

Un emballement surprise

Ces revenus records viennent contredire les projections pessimistes de l’année précédente. À l’automne 2021, Statistique Canada avait évalué que les universités canadiennes auraient un manque à gagner de 438 millions à 2,5 milliards de dollars pour atteindre leurs revenus estimés de 2020-2021. L’objectif de l’analyse, souligne M. Lebel, était d’évaluer les potentielles répercussions financières d’une baisse des inscriptions étudiantes. Elle s’appuyait entre autres sur les données des permis d’études d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), des données qui reflètent habituellement les fluctuations dans l’afflux d’étudiant.e.s provenant de l’international. « Il s’est produit quelque chose qu’on n’avait jamais vu : des étudiant.e.s vivant à l’étranger ont commencé leurs études de l’extérieur du Canada, sans permis d’études, parce que les agents d’IRCC n’ont pas pu les émettre à temps », explique le gestionnaire de programme.

Les données de Statistique Canada sur les inscriptions étudiantes en 2020-2021 ne seront publiées qu’en novembre, mais le rapport de l’organisme sur les finances des universités montre déjà une augmentation de 2,7 % des revenus tirés des droits de scolarité par rapport à l’année précédente (ce qui représente toutefois une hausse moins notable que dans les cinq dernières années).

Riaz Nandan, trésorier national de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, affirme que les étudiant.e.s sont de plus en plus touché.e.s personnellement par la hausse de leurs droits de scolarité. « Ça fait des années que les étudiant.e.s en parlent, mais cette année en particulier, tout coûte plus cher », explique-t-il. La Fédération voudrait donc voir ces gains surprises être redirigés vers « les besoins soulignés depuis longtemps par les étudiant.e.s – soit les services essentiels comme les banques alimentaires, les soins de santé mentale, les centres de réussite et de soutien, l’hébergement ou les soins de santé – des initiatives pour combler leurs besoins de base dans la pyramide. Pour les universités, c’est l’occasion de rattraper le retard ».

Selon David Robinson, directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), la stabilité du nombre d’inscriptions étudiantes est rassurante. Tout n’est pas rose, en revanche. « Malgré les surplus considérables dont fait état le rapport dans son ensemble, on remarque que le tout repose sur une assise assez instable que les universités vont devoir examiner, tempère-t-il. Les produits d’intérêt qui ont fait grimper les recettes totales sortent un peu de l’ordinaire. Mais quand on s’attarde à la base – le financement public, les droits de scolarité, tout ça – ça m’inquiète. Ça ne semble pas aller dans le bon sens. »

Une question de coupures

Les revenus ne sont pas le seul élément du tableau à inscrire un record en 2020-2021. Le rapport indique que les universités ont aussi réduit leurs dépenses de 3,8 % par rapport à l’année précédente, la plus grande baisse jamais enregistrée depuis qu’on collige les données, soit en 2000-2001. Les salaires et les avantages sociaux, qui représentent la plus importante dépense, ont baissé de 0,8 %, mais pas de manière uniforme. Les salaires du personnel non enseignant ont baissé de 1,6 % et ceux du personnel enseignant, de 0,2 %.

M. Lebel, qui dirige aussi l’enquête du Système d’information sur le personnel d’enseignement dans les universités et les collèges (SPEUC), indique qu’on a vu une augmentation du personnel enseignant à temps plein et des salaires en 2020-2021. Selon lui, cela sous-entend
une diminution du personnel enseignant à temps partiel dans les universités.

Une hypothèse qui va dans la même direction que les données de l’ACPPU. Malgré la diminution du personnel enseignant contractuel que ces données démontrent, M. Robinson indique qu’on ne peut en tirer des conclusions définitives. « Le problème, c’est que le SPEUC ne recueille aucune donnée sur le personnel enseignant à temps partiel ou contractuel, donc il est impossible d’avoir un portrait clair du nombre de personnes concernées et de leur évolution professionnelle au fil du temps, déploret-il. Il serait pertinent, si on veut que les politiques en tiennent compte, d’avoir des chiffres plus précis sur le nombre de contractuel.le.s et une idée des tendances au fil du temps. »

Les conventions collectives de 85 associations membres de l’ACPPU viendront à échéance d’ici la fin de l’été prochain. Les revenus excédentaires records seront « définitivement » un point abordé dans les négociations, affirme M. Robinson. « Le milieu postsecondaire s’est somme toute assez bien sorti de la pandémie – c’est quelque chose qui va influencer la réflexion, avance-t-il. Il en va de même pour le haut taux d’inflation. Il y a des années que les salaires ne suivent pas. Les gens craignent donc une grosse baisse de leurs salaires et de leur rémunération. D’après moi, il y aura beaucoup de pression à la table des négociations, et ça pourrait chauffer cet hiver. »

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