Combattre le feu par la science
Alors que les forêts canadiennes partent en fumée, une nouvelle génération de spécialistes investit les bois avec de puissants outils d’analyse
En 2020, alors qu’elle était candidate au doctorat à l’Université de Toronto et qu’elle travaillait au ministère des Richesses naturelles (MRN) de l’Ontario, Melanie Wheatley a passé son été à analyser l’efficacité de six types d’avions-citernes utilisés pour éteindre les feux de forêt du pays. Elle devait notamment recueillir les gouttelettes de bombardiers à eau à l’aide de 500 contenants de plastique répartis sur un vaste champ, pendant qu’une caméra infrarouge montée sur une tour mesurait les fluctuations de température de la zone arrosée. Ce travail s’inscrivait dans une étude à long terme dont les résultats servent maintenant à orienter les tactiques de gestion des feux de forêt.
Elle travaille toujours pour le MRN, aujourd’hui à titre de chercheuse sur les feux de forêt à Sault Ste. Marie, où elle se penche sur la portée nécessaire des interventions aériennes pour lutter efficacement contre ces phénomènes. Ses travaux visent notamment à prédire la quantité d’eau et de produit ignifuge nécessaire pour faire passer un feu de cime hors de contrôle embrasant des centaines de mètres à la fois à un feu de profondeur que les équipes au sol peuvent combattre.
En s’appuyant sur la Méthode canadienne d’évaluation des dangers d’incendie de forêt et d’autres outils d’analyse, elle aide les autorités provinciales à planifier le positionnement et le déploiement de leurs flottes de bombardiers à eau – comme le Canadair CL-415, capable de puiser 6 100 litres d’eau dans les lacs environnants plusieurs fois par heure.
D’un bout à l’autre du pays, des chercheuses et chercheurs comme Mme Wheatley étudient la science derrière ces catastrophes naturelles, alors que chaque saison des feux de forêt apporte son lot de pertes tragiques dans le monde entier.
Saisons records
À la mi-juillet, on recensait 502 incendies actifs au Canada, dont 150 étaient considérés comme « hors de contrôle » par le Centre interservices des feux de forêt du Canada, qui rapportait 4,6 millions d’hectares brûlés cette année, contre environ 923 000 hectares à la même période l’an dernier.
En 2023, une année tristement célèbre pour ses feux records, 6 623 incendies distincts ont détruit plus de 15 millions d’hectares de forêts canadiennes – soit neuf fois la superficie de l’Île-du-Prince-Édouard – en plus de forcer l’évacuation de près d’un quart de million de personnes.
L’année dernière, les feux de forêt étaient trois fois moins nombreux, mais les nouvelles n’en ont pas été plus réjouissantes : une bonne partie de Jasper (Alberta) a été ravagée à la fin juillet, lorsque des flammes de 50 mètres, parties de trois campings voisins, ont déferlé sur la ville. Six mille hectares du parc environnant et un tiers du territoire urbain ont été rasés avant que l’on arrive à maîtriser le brasier.
Avec les changements climatiques, la situation ne fera qu’empirer, mais les universités du pays multiplient leurs efforts pour limiter les dégâts.
Évaluation du danger
David Martell, professeur émérite à l’Institut de foresterie et de conservation de l’Université de Toronto, rattaché à la Faculté d’architecture, de paysage et de design John H. Daniels (aussi appelée Faculté Daniels), a étudié le comportement des feux de forêt pendant près de 50 ans. « Il y a des gens qui savent comment gérer les feux », a-t-il expliqué lorsqu’on l’a interrogé sur le rôle des universités dans le domaine. « Nous sommes là pour fournir des connaissances et [des outils] de planification et de prise de décision. »
Dans les années 70, alors qu’il était étudiant aux cycles supérieurs, M. Martell a participé à la mise au point de ce qui deviendrait plus tard la Méthode canadienne d’évaluation des dangers d’incendie de forêt, un outil standardisé pour mesurer les menaces d’incendie qui pèsent sur une région. Le « danger d’incendie » est évalué selon «la facilité d’allumage et la difficulté de maîtrise » d’un feu de forêt. La méthode s’appuie à la fois sur les données historiques et actuelles et facilite le déploiement des ressources humaines (équipes sur le terrain) et matérielles (aéronefs).
Au fil des ans, la Méthode s’est affinée grâce à l’intégration d’un indice météo (pour calculer les effets du vent, de la pluie et de la chaleur) et d’une méthode de prévision du comportement des incendies (pour prédire les mouvements du feu), permettant aux équipes provinciales et fédérales d’évaluer la réaction des flammes aux « combustibles » (les forêts de conifères brûlent plus rapidement que les forêts mixtes) et à la topographie.
Aujourd’hui, Mike Wotton, professeur associé à la Faculté Daniels de l’Université de Toronto et chercheur principal au Service canadien des forêts (SCF), participe, avec une demi-douzaine de collègues, à l’élaboration du prochain outil d’évaluation des menaces de feux de forêt, la méthode actuelle ayant été mise à jour pour la dernière fois en 1992.
Le nouveau système offrira, entre autres, de meilleures prévisions provinciales et nationales concernant le danger de feux printaniers, la propagation des incendies au-delà des zones forestières, les retombées des programmes d’éclaircie et le risque que des tisons emportés par le vent franchissent des pare-feux et propagent les flammes.
Planification locale
Si les feux de forêt relèvent généralement des provinces, Jen Beverly, professeure agrégée au Département des ressources renouvelables et candidate au doctorat Air Forbes à l’Université de l’Alberta, offre aux équipes de gestion de première ligne une suite de logiciels sophistiqués que les municipalités et les communautés autochtones isolées peuvent utiliser pour planifier leurs moyens de défense contre les incendies de forêt.
« Nous le fournissons gratuitement ou à faible coût », indique-t-elle à propos de son progiciel libre fireexposuR. « Il est simple et peu coûteux, en plus d’être rapide et facile à utiliser. »
Basé sur le langage de programmation R, le logiciel permet de créer des cartes instructives combinant divers ensembles de données, comme les renseignements topographiques et les rapports d’inventaire de combustible, les prévisions météo et les plans des infrastructures, des logements et des routes d’évacuation.
Déjà utilisé par plusieurs municipalités albertaines et britanno-colombiennes, fireexposuR sert de modèle auquel on peut ajouter des cartes et données locales pertinentes, afin d’obtenir une analyse statistique et spatiale personnalisée sans avoir à concevoir ses propres outils logiciels. Jusqu’à présent, sept communautés ont utilisé fireexposuR pour évaluer leur exposition aux feux de forêt, en localisant par exemple les quartiers à risque de recevoir des tisons.
« Le programme permet une standardisation à l’échelle nationale de la gestion communautaire des incendies de forêt, explique Mme Beverly. Pour être efficace, le système doit être modulable en fonction des données, de l’échelle et des objectifs locaux. Il est en plus facile d’accès et d’utilisation. »
Le programme connaissant un succès grandissant, sa créatrice a offert des ateliers gratuits aux équipes de gestion de feux de forêt partout au Canada, notamment à Fredericton, dans la Première Nation de Pikangikum (dans le nord-ouest de l’Ontario), à Edmonton et à Whitehorse.
Formation spécialisée de lutte contre les incendies
L’une des principales contributions des universités à la lutte contre les feux de forêt est la formation de spécialistes, ou de « personnes hautement qualifiées », constate M. Martell. Il a d’ailleurs vu plusieurs de ses étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs contribuer à cette lutte, dont M. Wotton, qui travaille principalement à Sault Ste. Marie, au Centre de foresterie des Grands Lacs du SCF. À son tour, M. Wotton a mentoré Mme Wheatley, l’experte des bombardiers à eau.
Mme Beverly a également été l’étudiante du professeur Martell. Avant d’accepter son poste de professeure, elle a travaillé en tant que chercheuse spécialisée en feux de forêt pour Ressources naturelles Canada et dans le secteur privé, ainsi qu’en tant qu’étudiante auprès de diverses équipes d’intervention, notamment à titre de chef d’équipe et de garde-feu au sein d’« helitak », l’unité d’hélicoptères d’attaque.
« La plupart de nos diplômées et diplômés finissent par travailler sur des bases d’avions-citernes, pour Parcs Canada ou pour des entités provinciales», précise-t-elle.
Pour M. Martell, lorsque vient le temps de soumettre une demande de subvention, l’intégration professionnelle de ses étudiantes et étudiants est tout aussi importante que ses publications universitaires.
« Au terme de leurs études, elles et ils apportent leurs connaissances dans leur milieu de travail et maintiennent un lien avec l’université en lançant de nouveaux projets de recherche, explique-t-il. C’est une collaboration étroite.»
Postes vedettes
- Sciences de la terre et de l'environnement - Professeure adjointe ou professeur adjoint (hydrogéologie ou hydrologie)Université d'Ottawa
- Sociologie - Professeure adjointe ou professeur adjoint (féminismes, genres et sexualités dans les mondes noirs, africains et caribéens)Université de Montréal
- Sociologie - Professeure ou professeur (méthodologie quantitative)Université Laval
- l'École d'architecture Peter Guo-hua Fu - Professeure adjointe ou professeur adjoint (menant à la titularisation)Mcgill University
- Aménagement - Professeure adjointe / agrégée ou professeur adjoint / agrégé (design d’intérieur)Université de Montréal
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