Équité, diversité et inclusion : virage terminologique pour l’Université de l’Alberta
La décision suscite la controverse dans le milieu universitaire.

Le 2 janvier 2025, l’Université de l’Alberta est devenue le premier établissement canadien à annoncer qu’il délaisserait l’équité, la diversité et l’Inclusion (EDI) en faveur d’un nouveau cadre privilégiant l’accès, la communauté et l’appartenance. La direction de l’Université affirme que ce plan exprime mieux la vision d’authenticité et d’espoir de l’établissement. On lui reproche cependant de chercher plutôt à apaiser un gouvernement provincial qui surveille de près les initiatives d’EDI dans le secteur public.
Annoncée par le recteur Bill Flanagan dans un article d’opinion de l’Edmonton Journal, la décision a pris de court bien des membres du corps professoral et des syndicats. L’administration soutient que le choix des termes est fondé sur des consultations lancées il y a plus d’un an et impliquant plus de 1 000 « interactions » avec l’Université.
« Ce sont les mots qu’utilise notre communauté pour décrire le type d’université que nous souhaitons bâtir, explique M. Flanagan. Le passage de l’EDI à l’accès, la communauté et l’appartenance (ACA) n’est pas un revirement inattendu, mais une évolution vers les principes d’inclusion qui nous tiennent à cœur et l’élimination des obstacles à l’accessibilité pour la population étudiante et le personnel. »
Selon l’administration, le langage de l’EDI était devenu polarisant et source de discorde. « L’objectif n’est pas d’accentuer les différences. À cet égard, je pense que l’accès, la communauté et l’appartenance devraient plus facilement obtenir l’aval du milieu universitaire et d’ailleurs », ajoute M. Flanagan.
Le recteur n’a pas précisé s’il considérait lui-même les termes originaux comme problématiques. « Mon opinion n’a pas vraiment d’importance. Mon travail est d’offrir un milieu accueillant à l’ensemble de la communauté universitaire. Pourquoi continuer d’utiliser un vocabulaire potentiellement polarisant? Ça ne peut que nuire au sentiment d’appartenance. »
Le processus de consultation
Carrie Smith, vice-provost de l’accès, la communauté et l’appartenance (anciennement EDI), explique que l’idée a germé durant le renouvellement du Plan stratégique pour l’équité, la diversité et l’inclusivité publié en 2019. En 2023, son bureau a évalué les progrès de l’Université en matière d’EDI grâce à des consultations, à des témoignages du corps professoral, des départements et de diverses personnes, ainsi qu’à deux sondages menés auprès du personnel et de la population étudiante.
Le rapport subséquent (2023) a mis en lumière l’évolution culturelle et les réussites en matière d’EDI – notamment les efforts pour ancrer l’EDI dans l’enseignement, la recherche et les services – tout en réaffirmant l’engagement des responsables en faveur de ces objectifs. Toutefois, il a également révélé quelques obstacles structurels et organisationnels : les membres du corps professoral et du personnel déplorent le manque de ressources financières et humaines, les incohérences entre les politiques et les processus (comme les conventions collectives et les politiques d’embauche), et la résistance externe (de l’absence d’appui des cadres au harcèlement par d’autres membres du corps professoral, selon le document).
Les données du recensement de 2023 révèlent que la diversité de la main-d’œuvre augmente à pas de tortue. Le sondage sur la diversité de la main-d’œuvre publié en août de la même année indique que les personnes appartenant à une minorité visible sont 2,5 % plus nombreuses sur le marché du travail qu’en 2019. Pour ce qui est des autres groupes, comme les personnes autochtones, de genre non conforme ou ayant un handicap, on constate moins d’un pour cent de variation sur quatre ans.
Mme Smith estime préférable de se concentrer sur « la responsabilisation plutôt que la comptabilisation ».
« Cela dit, on sait que la diversité d’opinions, d’expériences, de disciplines et de savoirs est bénéfique pour l’Université et sa communauté, explique-t-elle. Les données sur la diversité démographique et sur le succès des efforts de rétention ont une réelle importance. »
La vice-provost estime que l’Université doit repenser son approche pour garantir la responsabilisation et prouver que les initiatives d’EDI ne servent pas seulement à se donner bonne figure.
« Si on souhaite véritablement changer les choses à long terme, et non simplement cocher une case dans une liste, il faut aller de l’avant. »
La nouvelle approche est décrite dans le document intitulé Changing the Story: An Integrated Action Plan for transforming our vibrant and connected community (Changer le discours : plan d’action intégré pour transformer notre communauté dynamique et unie). On y explique que l’Université de l’Alberta ne considérera plus l’EDI comme une initiative à part, mais qu’elle l’intégrera à tous ses plans organisationnels.
On y admet aussi que l’Université a fait « des erreurs et des faux pas » dans son approche de l’EDI, qui ont suscité « la dissension et l’exclusion dans toutes les disciplines et les situations sociales ».
Gordon Swaters, président de l’Association du personnel universitaire de l’Université de l’Alberta, fait remarquer que son groupe n’a pas été officiellement consulté avant la publication des documents, et que ses quelque 4 000 membres n’ont à sa connaissance jamais critiqué l’EDI. « À mon avis, ce n’est pas une question de principes, mais d’image de marque, observe-t-il. On verra bien comment les choses évolueront. »
Jacqueline Leighton, vice-doyenne du perfectionnement et des affaires pour le corps professoral, estime toutefois que le virage n’a rien de superficiel ni de régressif : si l’EDI a transformé la culture sur le campus, son application a malheureusement poussé les membres du corps professoral et la population étudiante à s’autocensurer.
En effet, Mme Leighton remarque que de plus en plus de personnes hésitent à critiquer les initiatives d’EDI, de peur qu’on mette en doute leur adhésion aux principes. Elle cite les comités d’embauche en exemple.
« Si quelqu’un mentionne qu’il serait raciste de ne pas étudier telle ou telle candidature, plus personne n’ose rien dire, raconte-t-elle. Personne ne veut se faire accuser de racisme, de sexisme, de transphobie, d’homophobie ou d’intolérance en général. »
Selon elle, M. Flanagan se montre prévoyant. « L’intégration de l’EDI dans les entreprises, le milieu de l’enseignement supérieur et les autres secteurs n’a pas eu les effets escomptés. »
Une drôle de coïncidence
Beaucoup se demandent si la décision de l’Université n’aurait pas plutôt été dictée par le climat politique et ne viserait pas à apaiser le Parti conservateur uni (PCU) de l’Alberta.
L’élimination ou la restriction des programmes dEDI est en effet devenue un pilier du mouvement « anti-woke », né en Floride en 2021. Au moins trois universités du sud des États-Unis ont d’ailleurs adopté leur propre version de l’accès, de l’appartenance et de la communauté, notamment l’Université du Sud du Mississippi. Le 22 janvier, la Maison-Blanche a porté un coup dur aux programmes d’EDI, le président Donald Trump ayant décrété leur annulation au sein du gouvernement fédéral.
Il n’est pas impossible que la première ministre albertaine, Danielle Smith, décide d’adopter une législation similaire. La province a présenté un projet de loi qui lui donnerait droit de regard sur les subventions fédérales à la recherche, une mesure qui, selon Mme Smith, privilégierait les projets de gauche. Lors de son assemblée générale en novembre, le PCU a d’ailleurs adopté à l’unanimité une motion visant à éliminer les programmes d’EDI dans la fonction publique, et à mettre fin au financement public des formations dans le domaine.
Ce mois-là, l’Université de l’Alberta semblait toujours bien décidée à soutenir l’EDI. À l’assemblée générale du Conseil des facultés, le syndicat étudiant et l’association des étudiantes et étudiants diplômés ont proposé une motion demandant à l’établissement de réaffirmer ses engagements en matière d’EDI. (Le conseil, présidé par le recteur de l’Université, est responsable des affaires universitaires et étudiantes.) La motion a été approuvée.
Peu après, le 13 décembre, le plan sur l’accès, la communauté et l’appartenance était présenté au conseil d’administration de l’Université. Selon deux personnes présentes, l’administratrice Janice MacKinnon aurait alors proposé l’élimination pure et simple du bureau de l’équité, de la diversité et de l’inclusion. Elle aurait aussi demandé à ce qu’on retire de la reconnaissance territoriale un passage désignant le Canada comme une « société colonisatrice », arguant que l’histoire canadienne comporte bien d’autres aspects. Le conseil a accepté de modifier la formulation.
Ces événements incitent Laurie Adkin, professeure émérite de sciences politiques à l’Université de l’Alberta, à douter que le nouveau plan soit réellement le fruit de consultations internes. « Il semble assez évident que l’Université a cédé aux pressions du gouvernement et des membres de son conseil d’administration, juge Mme Adkin. C’est une preuve que l’autonomie de l’établissement est menacée – depuis longtemps, même –, en particulier sous le gouvernement du PCU. »
Amy Kaler, professeure de sociologie à l’Université, est du même avis; elle estime d’ailleurs n’avoir entendu aucune « explication cohérente » justifiant la décision. « C’est une tentative d’apaiser notre première ministre, qui ne cache pas ses opinions polarisantes et controversées sur le sujet. Ce n’est pas vraiment le rôle d’un recteur », se désole-t-elle.
Mme Adkin ajoute que le gouvernement de l’Alberta « a mis à profit son autorité pour remplir le conseil d’administration » de membres favorables au PCU ou issus du secteur privé qui gèrent l’université comme une « grosse entreprise ».
Sur les 27 membres du conseil, 10 appartiennent à la population étudiante (actuelle et diplômée), au personnel ou à l’administration de l’Université, incluant le recteur. Parmi les 17 autres, 14 viennent de l’extérieur de la sphère universitaire, notamment du milieu des affaires, et quatre ont travaillé d’une manière ou d’une autre pour le gouvernement provincial. L’un d’entre eux, Ryan Hastman, a été chef de cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur actuel; jusqu’en 2023, il était directeur de la coordination des politiques pour le bureau de la première ministre.
Les deux professeures affirment avoir vu l’Université refuser d’entrer publiquement en désaccord avec le gouvernement et capituler aux demandes provinciales au cours des deux dernières décennies, sans pour autant échapper aux compressions budgétaires et à l’ingérence. « La partie est perdue d’avance », conclut Mme Adkin.
Pendant que les débats se poursuivent à l’Université de l’Alberta, d’autres universités de la province s’engagent dans la même voie. L’Université de Calgary a récemment annoncé qu’elle transformerait son bureau de l’EDI et de l’accessibilité en « bureau des engagements organisationnels », tandis que l’Université de Lethbridge a remplacé le vocabulaire de l’EDI par celui de l’accessibilité, de l’appartenance et de la communauté sur son site Web.
Postes vedettes
- Architecture - Professeur adjoint / professeure adjointeUniversité McGill
- Génie - Professeure ou professeur (systèmes intelligents et systèmes cyberphysiques)Université Laval
- Chaire de recherche du Canada, niveau 1 en économie de la santé (professeure ou professeur titulaire)Uniiversité d'Ottawa
- Musique - Professeure ou professeur (interprétation classique, musique ancienne)Université Laval
- Droit - Professeure adjointe/professeur adjoint (droit du commerce international)Université d'Ottawa
Laisser un commentaire
Affaires universitaires fait la modération de tous les commentaires en appliquant les principes suivants. Lorsqu’ils sont approuvés, les commentaires sont généralement publiés dans un délai d’un jour ouvrable. Les commentaires particulièrement instructifs pourraient être publiés également dans une édition papier ou ailleurs.