Faire l’université dehors

À quelque chose malheur est bon. La pandémie de COVID-19 a forcé l’émergence d’un nouveau mode d’apprentissage dans l’enseignement supérieur : la pédagogie en plein air.

01 octobre 2021
student study in garden

La pédagogie en plein air est peu associée au monde universitaire. Ou plutôt, était; l’automne dernier, l’Université de Sherbrooke (U de S) a mis en place des classes extérieures sur son campus. Le but de cette expérience inusitée, qui s’est poursuivie au printemps à la faveur du retour du beau temps : permettre à une bonne partie de ses quelque 41 000 étudiants d’assister en personne à leurs cours en tout respect des règles sanitaires associés à la COVID-19.

Une année plus tard, le bilan dressé par l’établissement estrien est somme toute positif. Du moins, assez pour l’encourager à pérenniser ce mode d’enseignement et en faire « un legs important de la pandémie », lit-on sur son site Web. « Si le contexte sanitaire a été la bougie d’allumage de ce projet, le retour en classe et la fin de l’enseignement à distance de la rentrée ne sonnera pas sa fin », confirme Christine Hudon, vice-rectrice aux études à l’U de S.

Du bon et du moins bon

Plusieurs commentaires ont été recueillis tout au long de cette expérimentation. Un des plus fréquents émit par les étudiants : celui de pouvoir prendre l’air dans un contexte d’apprentissage beaucoup plus stimulant qu’entre quatre murs. « Réussir à briser la monotonie dans un cours universitaire, c’est toujours gagnant, souligne Mme Hudon qui est aussi professeure au Département d’histoire de l’U de S. Les étudiants aiment être surpris et nos données semblent valider que cela a été le cas. »

N’empêche, quelques irritants se sont manifestés en cours de route. Ainsi, la question des distractions est ressortie comme étant un enjeu majeur. « Quand il y a une classe en plein air, on ne devrait pas entretenir la pelouse ou tenir un marché public extérieur à proximité, illustre-t-elle. Ce sont de petits détails qui font toute la différence. »  Autre ombre au tableau : le confort rudimentaire des sites extérieurs ciblés pour ce type d’enseignement, où Éole est parfois venu jouer les trouble-fêtes.

Ces leçons apprises à la dure ont notamment forcé l’U de S à mieux cibler les lieux consacrés à la pédagogie en plein air, qui passeront d’ailleurs d’une dizaine à trois dès cet automne. « Nous comptons investir dans du mobilier urbain plus confortable, parce qu’on s’entend que suivre un cours assis sur une roche, ce n’est pas l’idéal. Il est aussi question de bâtir des lieux couverts dédiés à cette formule d’apprentissage d’ici les prochaines années », énumère la vice-rectrice.

Un intérêt manifeste, mais…

Les professeurs qui se sont prêtés au jeu – ils n’y étaient pas contraints – n’ont pas été laissés à eux-mêmes. Au contraire : l’U de S a mis à leur disposition un guide pédagogique afin de les soutenir dans cette démarche. « Chaque heure d’enseignement compte à l’université. On ne peut pas se permettre de perdre du temps à tâtonner et faire des essais et erreurs », explique Jean-Philippe Ayotte-Beaudet, professeur à la Faculté d’éducation de l’U de S et auteur principal dudit document.

Preuve de l’engouement pour la pédagogie en plein air dans les établissements d’enseignement supérieur, ce guide disponible en libre accès aussi bien en français qu’en anglais aurait été téléchargé plus de 3500 fois jusqu’à maintenant. « J’aurais été surpris s’il l’avait été à 300 reprises!, s’exclame celui qui est aussi directeur du Centre de recherche pour l’enseignement et l’apprentissage des sciences. On ne pensait pas qu’il y avait un besoin aussi important d’information, c’est une surprise. »

À l’heure actuelle, peu d’universités québécoises emboîtent le pas à l’U de S, révèle un rapide coup de sonde effectué par Affaires universitaires. À l’Université Laval, un comité de travail ayant comme mandat de réfléchir à l’aménagement et au développement d’espaces d’enseignements extérieurs a bel et bien été constitué à l’automne 2020. Néanmoins, « il n’y a pas de déploiement d’infrastructures dédiées à ce type d’enseignement à prévoir dans les prochains mois », assure un porte-parole de l’établissement par courriel.

À l’Université du Québec à Montréal, quelques classes en plein air ayant pour but de renforcer des projets in situ menés de manière habituelle ont eu lieu pendant la pandémie. Mais, elles ont été suspendues lorsque la situation sanitaire s’est détériorée dans la métropole. Même chose à l’Université Concordia, dont le campus situé au centre-ville rend difficile ce genre d’expériences, et à l’Université de Montréal, où on s’interroge sur la valeur ajoutée que cette modalité pédagogique peut générer avant de l’instituer.

Gare à la pensée magique!

M. Ayotte-Beaudet se fait très critique sur ce dernier point. « On ne va pas dehors pour tenir une classe comme on le fait à l’intérieur; ça ne sert à rien! Les environnements extérieurs doivent plutôt être envisagés comme une ressource pédagogique au service des apprentissages », nuance l’expert. Selon lui, les professeurs d’établissements d’enseignement supérieur interpellés par cette approche doivent avant tout se questionner sur la notion d’intention pédagogique.

« Les concepts abordés sur les bancs de l’université ne doivent pas servir qu’à être recrachés lors d’une évaluation. Ils ont trait à de véritables situations que l’étudiant est susceptible de rencontrer à l’avenir, dans sa vie professionnelle par exemple », fait-il valoir. Ainsi, l’architecture ne s’étudie jamais aussi bien que sur le terrain, en déambulant dans les rues d’une ville. Et les sciences biologiques s’enseignent particulièrement bien dans la nature, au sein même des écosystèmes.

Seul problème : il existe encore peu de littérature scientifique relative à la pédagogie en plein air en contexte universitaire. « À l’heure actuelle, l’essentiel des études se concentre chez les jeunes, au niveau primaire et secondaire. Chez les adultes, on se retrouve confronté à un vide de données pour soutenir les éventuels bienfaits de cette approche », regrette M. Ayotte-Beaudet. En ce sens, l’expérience de l’U de S est plus qu’un simple coup de marketing; c’est un véritable laboratoire.

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