La réputation du Canada sur le marché international des études est-elle en danger?

Les universités craignent que le nouveau plafond imposé pour les permis d’études ne conduise à des réductions de programmes et à une hausse des droits de scolarité.

30 janvier 2024

Après des mois de signaux indiquant que le gouvernement fédéral envisageait d’introduire des changements en ce qui concerne son accueil des étudiant.e.s provenant de l’étranger, le secteur de l’enseignement supérieur canadien a été pris au dépourvu par une nouvelle mesure d’envergure qui affectera les établissements postsecondaires à travers le pays.

Le 22 janvier, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, confirmait en effet que le pays plafonnerait les permis d’études accordés aux étudiant.e.s de l’étranger, et ce, afin de serrer la vis aux établissements qui abusent du système et de stabiliser les effectifs en provenance de l’étranger. Rappelons que M. Miller avait pourtant comparé une telle mesure à « une chirurgie pratiquée au marteau » en octobre dernier lorsqu’il avait expliqué aux journalistes que le gouvernement voulait user d’une approche plus précise pour résoudre un « problème aux complexités multiples ».

En vigueur pendant deux ans, la nouvelle politique autorise l’approbation de quelque 360 000 permis en 2024, ce qui correspond à 65 % des 500 000 permis approuvés l’an dernier. Cette mesure ne s’applique pas aux permis actuels, aux cycles supérieurs et aux études primaires et secondaires. Le gouvernement entend réévaluer la situation d’ici la fin de l’année avant de fixer le plafond pour 2025.

Une source gouvernementale a confié au Globe and Mail qu’on prévoyait voir le nombre d’étudiant.e.s provenant de l’étranger grimper à 1,4 million d’ici la fin de l’année si aucun plafond n’était adopté. En décembre dernier, le Canada comptait déjà un million de titulaires de permis d’études, dont pas moins de la moitié sont inscrit.e.s dans des établissements ontariens.

Un système déjà sous pression

Pour appliquer la nouvelle politique, le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté accordera un seuil à chaque province et territoire selon la taille de sa population. Les provinces et territoires pourront ensuite répartir le nombre de permis autorisés entre les collèges et universités sous leur autorité.

Les répercussions seront plus lourdes pour les provinces ayant une population disproportionnée d’étudiant.e.s provenant de l’étranger. En Ontario, par exemple, le plafond vient couper de moitié l’afflux étranger. La Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse devront également s’attendre à une diminution. Inversement, les provinces ayant une proportion plus faible d’étudiant.e.s de l’étranger, comme Terre-Neuve-et-Labrador, pourraient avoir la possibilité d’accorder plus de permis d’études.

À la suite de cette annonce, le premier ministre du Manitoba, Wab Kinew, a déclaré aux journalistes qu’Ottawa n’avait pas encore communiqué de détails à son gouvernement : « Nous avons posé des questions, mais nous n’avons pas de réponses pour le moment. » Le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, a de son côté dit à la CBC que la province avait reçu du gouvernement fédéral des chiffres préliminaires le 27 janvier et qu’il comptait réclamer des exceptions dans des « secteurs névralgiques » comme les soins de santé et les métiers spécialisés.

L’ampleur réelle des effets de la politique restera incertaine jusqu’à ce que davantage d’informations sur sa mise en œuvre soient disponibles. Pour sa part, Universités Canada (éditrice d’Affaires universitaires) « craint que l’imposition de plafonds provinciaux n’exerce une pression supplémentaire sur un système déjà fragilisé ».

Soulignons que les établissements postsecondaires canadiens sont devenus largement tributaires des étudiant.e.s provenant de l’étranger, en grande partie sous l’effet de deux orientations provinciales : la réduction du financement de l’enseignement supérieur et la déréglementation des droits exigés aux étudiant.e.s de l’étranger. Pour combler leur manque à gagner, les universités ont imposé une facture de plus en plus salée, si bien que dans certains établissements, les étudiant.e.s de l’extérieur peuvent représenter pas moins de 90 % des revenus issus des droits de scolarité. Au pays, on parle de milliards de dollars en droits de scolarité à l’échelle de l’écosystème postsecondaire. Un.e seul.e étudiant.e de l’étranger peut avoir à payer plus de 60 000 dollars en droits par année, comparativement à entre 6 000 dollars et 11 000 dollars pour ses collègues du Canada.

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En Ontario, où le financement par étudiant.e demeure le plus faible au pays dans la foulée de la décision du premier ministre Doug Ford de diminuer – puis de geler – les droits de scolarité pour les étudiant.e.s du pays, près de la moitié des universités affichent un déficit. Steve Orsini, président-directeur général du Conseil des universités de l’Ontario (COU), a demandé au gouvernement fédéral de revenir sur sa décision. « Nous croyons qu’il serait préférable d’adopter une approche plus raffinée et plus ciblée, qui épargnerait les bons établissements qui dépendent du financement et des droits de scolarité des étudiant.e.s de l’étranger », a-t-il affirmé à la CBC.

En plus du nouveau plafond, le gouvernement fédéral exigera que les étudiant.e.s provenant de l’étranger obtiennent une lettre d’attestation d’une province ou d’un territoire avant de demander un permis. Actuellement, le Québec est la seule province à disposer d’un système de ce type : pour pouvoir demander un permis d’études, il faut d’abord demander un Certificat d’acceptation du Québec. D’ici à ce que les autres provinces lui emboîtent le pas – elles ont jusqu’au 31 mars pour mettre en place leur processus –, le gouvernement a suspendu le système de gestion des demandes des étudiant.e.s de premier cycle. Dans une déclaration, Universités Canada a souligné que cette nouvelle exigence pourrait prolonger les délais de traitement et inciter les étudiant.e.s à choisir un autre pays pour poursuivre leurs études.

Abondant dans le même sens, Peter Halpin, directeur général de l’Association des universités de l’Atlantique, a déclaré à Affaires universitaires que le plafond, combiné à la décision gouvernementale de doubler le montant à avoir en poche pour pouvoir obtenir un permis d’études, pourrait nuire à la réputation du Canada sur le marché international des études supérieures. « Personne ne souhaite cela. Nous voulons que le Canada demeure une destination de choix », déclare-t-il, ajoutant que 56 % des ressortissant.e.s de l’étranger qui viennent étudier en Atlantique y demeurent après avoir obtenu leur diplôme, jouant un rôle crucial dans la prospérité, la vie socioculturelle et la croissance démographique de leur région.

Des conséquences pour les étudiant.e.s

La Migrant Workers Alliance for Change, un groupe qui représente les étudiant.e.s de l’étranger actuel.le.s et ancien.ne.s, demande au gouvernement fédéral de modifier certaines de ses décisions du 22 janvier. Par exemple, selon ce qu’a annoncé M. Miller, les conjoint.e.s des étudiant.e.s ne sont plus admissibles au permis de travail ouvert, sauf dans le cas des étudiant.e.s inscrit.e.s à un programme de maîtrise ou de doctorat. Pour la coordonnatrice nationale de l’Alliance, Sarom Rho, ce changement aura pour effet de séparer des familles.

Par ailleurs, dès septembre, le gouvernement cessera d’accorder un permis de travail postdiplôme aux personnes qui entament des études dans des écoles à partenariat public-privé (PPP), un modèle qui permet aux collèges publics d’admettre des étudiant.e.s, mais de sous-traiter l’enseignement à une institution privée. Les permis de travail constituant l’un des principaux incitatifs attirant les étudiant.e.s dans ces établissements à partenariat public-privé, le gouvernement espère que le changement aura un puissant effet sur les collèges privés sous-réglementés, qui distribuent les diplômes comme dans une « usine à chiots », pour reprendre les mots de M. Miller.

À première vue, il peut sembler que le changement concernant le permis de travail postdiplôme n’affectera que les futur.e.s étudiant.e.s, mais Mme Rho a déclaré que cela perturbe les plans de certain.e.s étudiant.e.s actuel.le.s. En ce moment, effectuer deux années d’études donne accès à un permis de travail de trois ans, certaines personnes s’inscrivent dans un programme d’un an en PPP dans l’intention de poursuivre par la suite un second programme dans le même collège. Comme l’explique Mme Rho à Affaires universitaires, ces personnes doivent faire des pieds et des mains pour s’inscrire dans un collège public, en plus de subir une énorme pression financière.

C’est pourquoi, a-t-elle ajouté, il est impératif que celles et ceux qui possèdent des permis d’études valides – et les personnes qui ont déjà demandé un permis d’études dans des PPP – soient inclus.es dans le programme de permis de travail postdiplôme. Autrement, elle craint qu’une partie des étudiant.e.s en situation de grande précarité subissent injustement les conséquences de mauvaises décisions gouvernementales.

D’autres, dont le premier ministre Kinew, préviennent que les établissements pourraient augmenter les droits de scolarité imposés aux étudiant.e.s de l’étranger pour compenser les sommes perdues. C’est une crainte que soulève également Mme Rho, ajoutant que les étudiant.e.s provenant de l’étranger pourraient se faire encore plus exploiter qu’auparavant. « Pour régler le problème, il faut nous demander qui sont les vrai.e.s responsables et leur faire investir dans l’éducation publique, dans le logement et dans les services pour améliorer la situation de tout le monde – y compris nos étudiant.e.s provenant de l’étranger. »

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