L’examen d’accréditation NCLEX-RN cause des maux de tête aux infirmières francophones

Le taux d’échec alarmant des francophones à l’examen suscite bien des questions à travers le pays.

28 août 2018
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Importé des États-Unis et instauré en 2015, l’examen NCLEX-RN (National Council Licensing Examination-Registered Nurse), qui sert d’outil d’accréditation de la profession infirmière au Canada, a été jugé discriminatoire et trop peu adapté à la réalité canadienne. Au cœur de recours judiciaires et de négociations, son avenir est aujourd’hui incertain.

Choisi après un appel d’offre géré par le Conseil canadien des organismes de réglementation de la profession infirmière (CCORPI), l’examen a été institué dans les provinces et les territoires par leurs ordres professionnels respectifs, à l’exception du Québec et du Yukon. Là où il est en place, il est obligatoire de le réussir pour pouvoir exercer.

Cependant, les résultats à cet examen ont mis en évidence une grande disparité entre le taux de réussite national et le taux de réussite des francophones. Selon le CCORPI, le taux de réussite national en 2017 s’élevait à 82,1 pour cent alors que celui des francophones était de 29,7 pour cent.

Le Consortium national de formation en santé (CNFS) avait déjà tiré la sonnette d’alarme en janvier 2016, dans une lettre adressée aux différents ordres professionnels des provinces. L’organisme proposait, à court terme, d’exempter les étudiants francophones de l’examen NCLEX-RN en leur attribuant un permis temporaire de deux ans, le temps d’élaborer un nouvel examen.

La mauvaise qualité de la traduction de l’examen a d’abord été évoquée pour expliquer le taux élevé d’échec, mais selon les étudiants francophones ainsi que les établissements d’enseignement, le véritable problème se trouve dans le manque de ressources en français pour se préparer à l’examen.

« L’examen NCLEX-RN, c’est un examen très complexe. Il est utilisé depuis longtemps aux États-Unis et il s’y est développé beaucoup de matériel pour préparer l’examen. Or, du côté francophone, on n’a pas ce matériel-là », déplore Jacque-Paul Couturier, recteur et vice-chancelier par intérim de l’Université de Moncton.

De son côté, le CCORPI admet que « les organismes de réglementation canadiens sont conscients qu’il existe une différence entre les taux de réussite à la première tentative entre ceux qui le passent en anglais et ceux qui le passent en français », mais assure qu’une « généralisation de ce qui cause cette différence ne peut être faite ».

Le Nouveau-Brunswick, espoir de la cause francophone

C’est au Nouveau-Brunswick que le problème fait le plus de vagues. Seule province bilingue au Canada, le Nouveau-Brunswick dispose d’une loi sur les langues officielles qui garantit l’égalité des chances entre les anglophones et les francophones.

D’après une enquête du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, cette loi aurait été enfreinte avec l’adoption du NCLEX-RN par l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick (AIINB). Selon le rapport de la commissaire Katherine d’Entremont, « les candidats francophones ne sont pas sur un pied d’égalité avec les candidats anglophones ».

Un recours en justice a été entrepris par l’Association des Acadiens du Nouveau-Brunswick (SANB) et la Fédération des étudiantes et des étudiants du campus universitaire de Moncton (FÉÉCUM) a fait de même contre l’AIINB. Alexandre Cédric Doucet, président de la FÉÉCUM, justifie ce recours par les trois ans d’inaction face au problème, et ne cache pas que « le dénouement qu’on aimerait voir, c’est que l’AIINB change l’examen ».

Pour Michel Doucet, avocat en droit linguistique, cette poursuite ne portera pas ses fruits tout de suite : « ça prendra quelques années avant même que l’on se retrouve devant les tribunaux, et le problème c’est que pendant un certain temps, l’AIINB et le gouvernement refusaient de dialoguer à cause de cette poursuite ».

Un refus qui a pris fin le 30 juillet dernier, avec la nomination par le ministère de la Santé du Nouveau-Brunswick d’une médiatrice pour faciliter les négociations entre l’ordre professionnel, les étudiants en sciences infirmières et l’Université de Moncton.

Plusieurs solutions à court et moyen termes sont envisageables selon M. Doucet. « On pourrait par exemple chercher à faire une entente avec l’ordre des infirmières du Québec pour les étudiants francophones, ou suspendre temporairement l’exigence du NCLEX-RN en attendant qu’un nouvel examen soit développé », propose-t-il.

Dans tous les cas, l’AIINB avait jusqu’au 3 septembre pour répondre aux recommandations faites par la commissaire aux langues officielles. Invoquant de « nombreuses erreurs factuelles » dans le rapport de la commissaire d’Entremont, l’association a déposé le 21 août une requête en révision judiciaire à la Cour du Banc de la Reine dans le but d’invalider le document.

Des conséquences majeures

En attendant, les impacts se font sentir… Certains diplômés francophones continuent d’échouer à l’examen après parfois jusqu’à dix essais. Ce qui représente un préjudice mental souvent accompagné d’un préjudice financier puisqu’ils doivent débourser des frais d’inscription de 360 dollars à chaque tentative.

« Certains étudiants ont un dossier ouvert depuis cinq ans et pourraient perdre leur droit de repasser l’examen, explique M. Doucet. On assiste à un véritable drame humain. »

Déjà en 2016, le CNFS craignait que cette situation ait des répercussions sur le taux d’inscription des étudiants dans les programmes de sciences infirmières. Dans sa lettre, il dénonçait le fait que « les nouveaux étudiants hésitent maintenant à s’inscrire à un programme d’études en français ». Enfin, Jacque-Paul Couturier évoque même des risques de pénurie d’infirmières et particulièrement d’infirmières francophones dans sa province, mais aussi dans les autres provinces anglophones si rien n’est entrepris pour inverser la situation.

Un examen peu adapté à la réalité canadienne

L’examen NCLEX-RN est loin de faire l’unanimité à l’échelle du Canada, et ce, toutes langues confondues. « C’est un examen américain, qui n’est pas construit en fonction des priorités de pratique en milieu canadien et qui n’est pas adapté à notre réalité », assure M. Couturier.

L’Association canadienne des écoles de sciences infirmières partage cet avis et travaille présentement à un autre examen bilingue pancanadien. Toutefois, le choix de l’examen d’accréditation revient à chaque ordre professionnel et NCLEX-RN a un avantage majeur, raison même du remplacement de l’ancien examen, soit son faible coût.

Dans une réponse envoyée par courriel, le CCORPI défend son choix, assurant que « le processus continu et multicouche de l’élaboration de l’examen comprend des représentants canadiens à chaque étape » et il insiste sur le fait que l’examen ne teste pas des connaissances, mais qui est plutôt « axé sur des scénarios cliniques pertinents pour les soins infirmiers ».

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