L’industrie créative presse Ottawa de protéger ses œuvres face à l’IA
Devant le Parlement, des représentantes et représentants des industries culturelles ont dénoncé le « pillage à grande échelle » de leurs œuvres par les sociétés d’intelligence artificielle étrangères.
Cinq représentantes et représentants des industries créatives ont témoigné devant le Parlement de la menace que représente l’intelligence artificielle (IA) pour les artistes, l’économie créative et la souveraineté culturelle du Canada.
Le 8 octobre, lors de la deuxième de cinq séances du Comité permanent du patrimoine canadien, des cadres du milieu des arts et de la musique ont expliqué comment les sociétés d’IA exploitent des œuvres musicales, artistiques, littéraires et culturelles sans obtenir de permission, mentionner la source ni offrir de rémunération.
Ces entreprises « moissonnent » les données de matériel protégé par le droit d’auteur pour entraîner leurs modèles, ce qui leur permet ensuite de générer des œuvres en concurrence directe avec celles des créatrices et créateurs originaux. Cette pratique nuit à leur subsistance et entretient la confusion sur le marché.
Kelly Wilhelm, responsable du Centre de politique culturelle de l’Université de l’EADO, a plaidé pour l’établissement de normes simples et harmonisées afin de réduire l’incertitude dans un marché déjà précaire, où nombre de travailleuses et travailleurs de la culture vivent de contrats autonomes. « Il ne fait aucun doute que l’IA a des répercussions sur la propriété intellectuelle (PI) créative, le droit d’auteur et le travail de création. Elle a déjà perturbé les chaînes de valeur dont dépendent les secteurs créatifs, les entreprises du milieu et les personnes qui y travaillent », a expliqué Mme Wilhelm.
Elle estime qu’une réglementation claire doit à la fois protéger les droits et la PI des professionnelles et professionnels de la création et leur permettre d’innover de manière responsable.« Les initiatives gouvernementales qui valorisent et appuient les créatrices et créateurs ainsi que leur PI ne briment pas l’innovation : elles la stimulent. »
Violation du droit d’auteur
Les personnes représentant l’industrie de la musique et de l’édition musicale exhortent le gouvernement à faire respecter la Loi sur le droit d’auteur et à reconnaître que l’entraînement des modèles d’IA avec la musique des artistes, sans leur permission, constitue une violation.
Margaret McGuffin, présidente-directrice générale d’Éditeurs de musique au Canada, soutient que l’industrie musicale a déjà été victime d’un « vol à grande échelle » de chansons protégées. Les sociétés d’IA les auraient essentiellement volées deux fois : d’abord en moissonnant les données sans permission, ensuite en produisant des morceaux générés qui copient ou remplacent les originaux. « Presque toutes les chansons composées par des artistes au Canada ont déjà été moissonnées et volées par les sociétés d’IA, sans qu’elles aient obtenu de permission, mentionné la source ou offert de rémunération », a-t-elle déclaré.
La Loi sur le droit d’auteur du Canada (projet de loi C-11) permet la fouille de textes et de données (FTD) à des fins non commerciales par des organismes qui ont légalement accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur, ce qu’on appelle l’exception de FTD. Cette exception ne s’applique donc pas aux sociétés d’IA, qui ont un but lucratif et fouillent donc les œuvres de manière illicite; or, comme la plupart des grandes sociétés d’IA sont établies à l’extérieur du Canada, il est coûteux et juridiquement complexe d’intenter des poursuites contre elles, et par conséquent extrêmement difficile de faire respecter la Loi sur le droit d’auteur.
Les témoins ont invité les décisionnaires à rejeter toute demande d’élargissement de l’exception de FTD. Selon eux, les sociétés d’IA chercheront à justifier une telle mesure en invoquant la croissance du secteur technologique et les investissements. « Nous nous opposons fermement à toute nouvelle exception à la protection du droit d’auteur, a déclaré Jennifer Brown, cheffe de la direction de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Une telle exception ne stimulerait ni la croissance du secteur créatif, ni celle du secteur technologique. Rien ne prouve qu’elle soit nécessaire pour maximiser l’investissement en IA, et elle priverait les créatrices et créateurs des retombées économiques de leur travail. »
Identification du contenu généré par l’IA
Plusieurs témoins ont souligné que le manque de transparence empêchait les artistes de savoir comment et quand leurs œuvres étaient utilisées, ce qui rend impossible l’application du droit d’auteur ou la perception d’une rémunération. Ils recommandent donc l’identification obligatoire du matériel généré par l’IA. « [Cette mesure] aiderait le grand public à choisir de manière éclairée le contenu qu’il consomme », explique Mme McGuffin.
Les témoins souhaitent aussi que les sociétés d’IA soient tenues de documenter les ensembles de données utilisés pour entraîner leurs modèles et de les divulguer publiquement. « Les défenseurs de l’IA diront que c’est impossible et qu’ils devraient pouvoir faire main basse sur tout contenu. Mais si l’IA promet de libérer la conscience humaine, ne devrait-elle pas être capable de rédiger une bibliographie ? », a lancé Patrick Rogers, président-directeur général de Music Canada., une association commerciale représentant les principales maisons de disque canadiennes.
Il a également exhorté le gouvernement à sévir contre l’hypertrucage – qui reproduit l’apparence et la voix d’une personne généralement à des fins de désinformation « Et si quelqu’un se servait [d’un hypertrucage] pour détruire votre carrière? Ce qui est illégal sur papier devrait l’être aussi en ligne. Me faire dire ce que vous voulez, ce n’est pas de la liberté d’expression. »
Protection des communautés culturelles et linguistiques minoritaires
Les témoins ont également mis en garde contre le risque d’homogénéisation culturelle provoqué par les grandes plateformes d’IA établies dans la Silicon Valley. En cherchant avant tout à générer des profits, ces sociétés menaceraient la souveraineté culturelle du Canada et la diversité linguistique. « L’IA est essentiellement un outil d’homogénéisation. La machine enregistre et reproduit les modèles qu’elles détectent dans les données qu’on lui présente », explique Mme Wilhelm de l’Université de l’EADO.
Les algorithmes entraînés d’après de vastes ensembles de données vont répliquer les modèles les plus communs, privilégiant ainsi la culture majoritaire et dominante. Marc-Olivier Ducharme, du collectif québécois ArtIA, a ajouté que les communautés autochtones et francophones risquent de voir leurs langues, leurs récits et leurs pratiques artistiques dilués ou ignorés. Selon lui, l’IA représente « la prochaine frontière de colonisation technologique. »
« [On assiste à] l’exploitation des créateurs par des modèles d’IA, qui sont entraînés avec des données dérobées aux créateurs [et] qui marginalisent les collectivités francophones, autochtones et les autres communautés culturelles minoritaires, par exemple les Acadiens. C’est inacceptable », déclare-t-il.
M. Ducharme prie le gouvernement de financer la mise en place d’une infrastructure d’IA culturellement responsable. Il pourrait s’agir de « fiducies de données culturelles », soit une ressource commune permettant la mise sur pied, la protection et le partage d’ensembles de données conformément à des règles établies par la communauté.
« Nous proposons des fiducies de données culturelles, des infrastructures souveraines qui protègent et valorisent nos données culturelles dont les règles de gouvernance et les modalités d’accès sont décidées par les communautés et les artistes », explique-t-il.
En appuyant ce type d’initiative, le gouvernement aiderait les créatrices et créateurs à faire en sorte que les retombées économiques des produits et innovations générés par l’IA profitent aux communautés canadiennes. Selon M. Ducharme, la gouvernance communautaire offrirait des mesures de protection contre l’exploitation et l’entraînement non autorisé de l’IA par des sociétés étrangères.
Pour protéger les communautés linguistiques et culturelles minoritaires de l’influence des sociétés dominantes, le gouvernement doit investir rapidement dans le secteur culturel pour l’aider à affronter l’IA.
« Des géants de l’IA sont financés à hauteur de centaines de milliards de dollars, un écart d’échelle qui crée des positions dominantes qui sont difficiles à contrebalancer », ajoute M. Ducharme.
« Nous voulons protéger notre diversité culturelle plutôt que de subir l’homogénéisation. Le gouvernement canadien a investi 2,4 milliards de dollars en IA, et aucun de ces fonds n’a été alloué directement à la culture. »
Postes vedettes
- Sociologie - Professeure ou professeur (méthodologie quantitative)Université Laval
- l'École d'architecture Peter Guo-hua Fu - Professeure adjointe ou professeur adjoint (menant à la titularisation)Mcgill University
- Aménagement - Professeure adjointe / agrégée ou professeur adjoint / agrégé (design d’intérieur)Université de Montréal
- Sciences de la terre et de l'environnement - Professeure adjointe ou professeur adjoint (hydrogéologie ou hydrologie)Université d'Ottawa
- Génie - Professeures ou professeurs (génie électrique, systèmes embarqués)École de technologie supérieure
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