Quand les restrictions migratoires freinent la recherche

Au-delà des répercussions financières de la diminution des étudiantes et étudiants internationaux pour les établissements, les récentes règles ont des effets bien réels sur la recherche.

21 octobre 2025
Photo courtoisie : iStock.com/sanjeri

Demandes d’admission de l’étranger en chute libre, difficulté à recruter aux cycles supérieurs, retards dans les projets de recherches… Les diminutions du nombre de permis d’études internationaux par le fédéral, puis par Québec, commencent à se faire sentir sur le terrain. 

En plus des conséquences financières pour les établissements, c’est la recherche qui en souffrira. « Les professeurs sont occupés ; ils doivent enseigner, ils ont une foule de tâches administratives, ce qui fait que dans plusieurs disciplines, la recherche se fait par une armée de professionnels de recherches, de postdoctorants et de doctorants », rappelle Olivier Bégin-Caouette, professeur au Département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal. « En tant que professeur, le temps que je peux consacrer au laboratoire est réduit. Je suis plutôt un gestionnaire », confirme Federico Galli, professeur au département de génie chimique et de génie biotechnologique de l’Université de Sherbrooke. 

Un changement de vision 

Depuis les années 1990, plusieurs universités canadiennes ont voulu compenser les baisses de financement fédéral par le recrutement à l’étranger. « Le Québec était dans une dynamique différente et focalisait peu sur ce recrutement », se souvient M. Bégin-Caouette. Pour les universités québécoises, les étudiantes et étudiants internationaux ne sont pendant longtemps pas une source de revenus importante, comme la majorité du recrutement se fait dans le cadre d’ententes d’exemption de droits de scolarité.  

La déréglementation des droits de scolarité mise en place 2018 a mené à une explosion du nombre d’étudiantes et étudiants internationaux. Mais cette déréglementation s’appliquait aux programmes de premier cycle et aux programmes de maîtrise professionnelle. « Les maîtrises de recherche et les doctorants étaient exemptés (et restaient donc moins cher). Le gouvernement québécois comprenait que ces cycles n’étaient pas là pour faire de l’argent », précise M. Bégin-Caouette.   

C’est donc un changement complet de vision qui s’est produit après 2022. « Ça marque l’imaginaire. Depuis 2022, les étudiants internationaux sont vus comme des migrants, et on les associe à des enjeux (logement, francisation, etc.) », note M. Bégin-Caouette. Pourtant, « ce sont des personnes qui vont rester ici, et qui vont contribuer à la société », souligne M. Galli. 

Après avoir élargi la déréglementation, la province a choisi de resserrer le nombre des personnes étudiantes provenant de l’étranger. « Le Québec avait déjà son propre processus pour les immigrants temporaires, et était en dessous des seuils fédéraux. On avait de la marge de manœuvre, mais le gouvernement a tout de même décidé de plafonner le nombre d’étudiants internationaux à son tour », relate M. Bégin-Caouette.  

Des conséquences plus que financières  

Même si les universités ne sont pas les seules à être touchées par la restriction en matière d’immigration temporaire, les conséquences pour elles sont multiples. « Les étudiants internationaux, ce ne sont pas que des machines à sous », remarque M. Bégin-Caouette. Pour plusieurs universités, cet apport de l’étranger leur permet de se positionner dans les grands classements internationaux. « Les meilleures universités du monde sont les universités qui ont la plus grande proportion d’étudiants au cycle supérieur. Lorsque les étudiants nationaux ont peu d’intérêt à faire un doctorat (parce que l’économie va bien), une façon rapide d’augmenter ce nombre, c’est d’attirer les étrangers », explique-t-il.  

Dans un article publié dans la revue Éducation comparée et internationale, le professeur Bégin-Caouette et son étudiant Emile Salomon Zambo Assembe ont constaté que le recrutement d’étudiantes et étudiants internationaux aux cycles supérieurs était fortement lié au niveau de production savante. Leur étude s’appuyait sur les données colligées dans le cadre de l’étude pancanadienne sur la production de recherche universitaire, qui a sondé des professeurs de 10 universités en Alberta, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, en Ontario au Québec.  

Dans un système où la production de savoir repose principalement sur les universités (dans d’autres pays, des institutions indépendantes comme le CNRS, des entreprises ou des ministères occupent une place importante), le Canada et le Québec se privent potentiellement d’une grande capacité de recherche et d’innovation.  

En 2023, 49 % des personnes doctorantes au Québec venaient d’ailleurs. « Si on enlève les étudiants internationaux du jour au lendemain, on met profondément à mal la possibilité de produire de l’innovation. C’est dramatique », croit M. Bégin Caouette. « Je comprends qu’on a une capacité d’accueil au Québec et au Canada, mais il ne faut pas perdre de vue qu’on a besoin de cette main-d’œuvre qualifiée », affirme François Bertrand, directeur de la recherche à Polytechnique Montréal.  

Des effets concrets 

Avant même l’entrée en vigueur des nouveaux plafonds, on rapportait en février 2024 de fortes diminutions des demandes d’admission provenant de l’étranger. Le rapport Savoirs sans frontières. Regards sur l’impact de la communauté étudiante internationale universitaire au Québec a confirmé cette tendance. L’INRS — qui, on le rappelle, offre uniquement des programmes des cycles supérieurs — a ainsi vu une baisse de 32 % des demandes d’admission de l’international. C’est sans compter l’effet dissuasif de ces mesures. « L’effet combiné Canada-Québec a fait que plusieurs ne font tout simplement pas de demande d’admission », avance M. Bégin-Caouette. 

« J’ai beaucoup de problèmes de personnel, les étudiants étrangers n’obtiennent pas leur visa », confie Alexandre Cabral, professeur au Département de génie civil et génie du bâtiment de l’Université de Sherbrooke. Comme son collègue, le professeur Frederico Galli éprouve des difficultés de recrutement depuis plusieurs mois, et observe un ralentissement dans le traitement des dossiers d’immigrations. « Avant, ça prenait 4 ou 5 mois ; là, c’est au minimum le double », constate-t-il. Même en se prenant encore plus d’avance pour recruter, ses projets majeurs ont pris du retard. « Ça n’avance pas, ce qui fait qu’on n’a pas d’effet de levier pour recruter et obtenir du financement… C’est un cercle vicieux », décrit celui qui a lui-même fait le choix de fonder une famille au Québec.   

« Nos étudiants proviennent de 130 pays différents. C’est une richesse, ça donne un milieu incroyable d’échanges », croit M. Bertrand. À Polytechnique, 30 % des 11 000 étudiantes et étudiants sont de l’extérieur ; c’est 64 % du corps étudiant des cycles supérieurs ayant un profil recherché. Avec ses 600 laboratoires de recherche, les retards entraînés par les difficultés de recrutement pourraient grandement affecter l’établissement. « Ça peut retarder ou mettre en péril certains projets de recherches », ajoute-t-il.  

Au-delà des retards entraînés, se priver de cet apport aura aussi un impact sur le contenu même de la recherche. « La diversité au sein d’un groupe de recherche apporte un bagage différent. C’est reconnu, que c’est un atout », conclut M. Bertrand.  

La lecture hebdomadaire
du milieu de l’enseignement supérieur au Canada
Rejoignez des milliers de personnes qui reçoivent chaque semaine des conseils de carrière, des nouvelles, des chroniques d’opinion et des reportages d’Affaires universitaires.