Les sciences invisibles au cœur des sociétés
Pour Pierre Noreau, la plupart des problèmes collectifs sont inhérents aux « comportements humains », éléments fondamentaux des sciences humaines et sociales.
Juriste, politologue de formation et professeur au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, Pierre Noreau s’est entretenu avec Affaires universitaires sur la place centrale qu’occupent les sciences humaines et sociales dans le « monde de la
connaissance ». Celui qui siégeait comme président de l’Acfas entre 2008 et 2012 évoque aussi la nécessité d’un lien fort entre les sciences et la société, un enjeu au centre des préoccupations actuelles et de l’époque.
Un impact sur la collectivité
« Il faut considérer qu’une bonne partie des difficultés collectives que nous avons ne sont pas d’ordre technologique, ni physique, mais sont bien liées aux comportements humains », explique M. Noreau d’entrée de jeu.
Les problèmes liés à l’environnement en sont des exemples. Indissociables de nos « comportements », ils sont déterminés essentiellement par « l’activité humaine ». Selon lui, les sciences humaines et sociales jouent un rôle important afin de comprendre les répercussions de nos agissements, et ce, pour résoudre les « difficultés collectives ».
« Il faut considérer qu’une bonne partie des difficultés collectives que nous avons ne sont pas d’ordre technologique, ni physique, mais sont bien liées aux comportements humains »
Cette situation est récurrente dans nos sociétés, affirme M. Noreau.
« C’est la même chose pour de nombreuses situations et pathologies humaines, qui sont le produit des habitudes et des pratiques que l’on a développées. A priori, elles ne sont pas des problèmes de nature physique ou chimique », ajoute-t-il.
D’après lui, c’est « l’usage » que l’on fait des « possibilités qu’offre la nature » qui entraîne des conséquences, positives ou négatives. En abordant les choses de cette façon, il est donc possible d’agir dans une perspective non seulement « curative », mais aussi « préventive ».
« Évidemment, il faut que nous réfléchissions aux comportements qui ont des effets immédiats, et donc agir de façon curative dans certains cas. Pour l’essentiel, nos problèmes peuvent être évités si on les aborde comme étant liés à nos agissements », explique le chercheur.
Des sciences « invisibles »
M. Noreau définit souvent les sciences humaines et sociales comme
« invisibles ». Le fait que les politiques publiques soient construites en fonction des découvertes issues des sciences sociales et humaines témoigne d’une certaine interdépendance entre les sciences, soutient-il.
Il faut donc reconnaître l’impact « important » des sciences humaines et sociales sur notre rapport à la « collectivité et à la vie », même si cela passe souvent « inaperçu » comparativement à celui des sciences pures.
Un phénomène qui, évidemment, n’est pas propre au monde francophone, mais aussi au monde anglo-saxon, où les sciences humaines et sociales sont parfois mises de côté dans certaines universités, et ce, en raison de cette « invisibilité », précise M. Noreau.
« Est-ce que les sciences sociales et humaines sont suffisamment reconnues pour leur rapport au développement des sociétés, de nos modes de vie? Je pense que non », avance M. Noreau.
Pour appuyer son propos, il prend l’exemple des technologies, qui, selon lui, sont devenues « une science en soi ». En effet, d’après lui, il ne faut pas oublier que « l’élément déterminant » de notre société reste la « pratique sociale » de ces technologies.
« Est-ce que les sciences sociales et humaines sont suffisamment reconnues pour leur rapport au développement des sociétés, de nos modes de vie? Je pense que non. »
« Ce n’est pas l’invention qui fait vraiment la différence, c’est l’usage que les gens en font. C’est de cette façon que la société se construit. Le plus important réside donc dans cette réappropriation sociale, cette pratique sociale, qui se développe autour de cette technologie », souligne M. Noreau, sans toutefois aller jusqu’à juger les technologies comme étant complètement « neutres ».
Le fruit d’une longue « maturation »
Le « développement de la pensée » en sciences sociales et humaines est aussi le fruit d’une longue « maturation » et évolue avec le temps, ce qui est « remarquable », ajoute le chercheur. Un trait distinctif par rapport aux différentes branches des sciences pures où, selon lui, une génération est souvent « poussée en arrière par une génération qui monte ». C’est le cas des mathématiciens, qui, après un certain temps, « doivent parfois cesser leurs propres travaux parce qu’ils ne parviennent plus à avoir une contribution réelle, ou bien ils ne sont plus certains qu’ils peuvent en avoir une ».
« Ce n’est pas l’invention qui fait vraiment la différence, c’est l’usage que les gens en font. »
Pour sa part, M. Noreau révèle n’avoir « jamais été autant en
possession » de ses moyens dans le domaine des sciences sociales et humaines qu’aujourd’hui. De ce fait, il entrevoit un « grand avenir » pour ces sciences.
Dans ses travaux, le professeur aborde des sujets qui s’inscrivent pour la plupart dans la sociologie du droit. Cette « maturation » se traduit ainsi par des intérêts de recherche portant notamment sur la déontologie judiciaire, les conditions de recherche interdisciplinaire en droit, l’accès au droit et à la justice, la diversité ethnoculturelle ainsi que sur le fonctionnement et l’évolution du système judiciaire.
Il conclut en faisant un lien avec son mandat à l’Acfas. « Ce que nous avons fait de fort à l’époque était de réfléchir au rapport entre les sciences et la société. C’était le grand thème de cette période. Et si l’on devait avoir un nouveau thème, maintenant, ce serait celui de l’internationalisation de la science en français et des connaissances en français », explique le chercheur.
Il fait aussi état du caractère « unique » dans la Francophonie d’une association « proprement interdisciplinaire » comme l’Acfas, qui est non seulement un regroupement de scientifiques et de chercheurs, mais qui est également une « force de proposition » considérable.
« Je pense que la personne qui prend la responsabilité de l’Acfas porte une partie de l’histoire sur ses épaules. Elle prend quelque chose, elle doit laisser quelque chose. C’est pour cette raison que l’on arrive à 100 ans d’histoire. »
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